jeudi 8 décembre 2022

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. «Le système» nous contrôle-t-il?

Est-ce la société qui fait l’individu ou l’individu qui fait la société?

Eternelle question de l’œuf et de la poule.

Eternelle dispute entre psychologues et sociologues avec cette réponse raisonnable qui consiste à conclure qu’il s’agit d’un mix des deux, que chacun influence autant qu’il est influencé avec évidemment des degrés différents dans cette réciprocité selon les observateurs avisés et les sachants spécialisés.

Parce que la société est une création des individus et que leurs comportements l’impacte, parce les individus sont immergés dans la société et influencés par elle.

Certains vont néanmoins plus loin en affirmant même qu’elle les formate et que le flux de l’influence ne vient que de son côté avec des individus qui subissent son emprise sans capacités de s’en extraire.

Dès lors, une autre interrogation doit être discutée dans la foulée d’autant qu’elle trouve une nouvelle fortune avec la déferlante des théories élucubrationistes (complotistes), permise à cette échelle par les nouveaux outils de communication numériques: sommes-nous sous la coupe d’un «système» – qui, pour certains, est représenté par cette dénomination à la mode, un «deep state» (Etat profond) et pour d’autres une sorte d’alliance mondiale de la finance et des multinationales – ou celui n’est-il que la conséquence de ce que nous sommes?

L’affirmation de l’existence d’un «système», précisons-le, a toujours eu un certain crédit parce que, tous, un jour ou l’autre, devant des situations sans espoir ou ubuesques nous avons pesté contre une autorité sans visage, omnipotente et oppressante, qui serait la cause de nos tourments et à laquelle nous voudrions tant demander des comptes.

Ici, ce n’est plus d’interactions qu’il s’agit mais de s’interroger sur un Léviathan ou un Big brother qui, non seulement, nous dirigerait mais nous contrôlerait comme dans les romans dystopiques dont les plus célèbres sont 1984 et Le meilleur des mondes.

Avec cette question existentielle: a-t-on donc réellement la capacité de vivre la vie que nous choisissons et de changer les choses pour y parvenir où «le système» nous fait-il vivre dans le carcan qu’il a mis en place et qui nous empêche tout changement malgré l’existence de quelques esprits libres dont le formatage a échoué, les seuls qui sont «au courant» et «éveillés», qui tentent de résister tout en alertant les autres?

Un peu comme les héros des romans dystopiques précités auxquels se sont identifiés toute une floppée d’élucubrationistes patentés.

Mais la réalité n’est-elle pas beaucoup plus prosaïque et triviale voire désespérante à certains égards: ne s’agit-il pas simplement que nous vivons dans un monde que nous avons créé et façonné où règne le tragique qui s’exprime dans toutes les horreurs, les abominations et les désolations que l’Humanité vit sans cesse et dont certaines lui sont directement imputables, un monde qui est ce qu’il est parce que nous ne pouvions pas en créer un autre au vu ce que nous sommes?

L’hypothèse de l’existence d’un «système» qui serait omnipotent questionne ainsi la factualité d’en changer ou si nous devons sans échappatoire le subir, qu’il soit transcendant ou la conséquence de nos comportements.

En revanche, si nous sommes tous cocréateurs de ce «système» qui n’est en fait qu’un nom magique pour qualifier la société telle qu’elle est, celle que nous sommes capables de créer, pouvons-nous la changer ou tout n’est que simples améliorations cosmétiques.

Prenons l’exemple de la guerre.

En cumulant toutes les guerres ayant eu lieu sur la planète, nous avons passé plus de jours à nous battre qu’à être en paix.

Or, pourtant, nous valorisons sans cesse la paix tout en continuant à nous entretuer…

Les tenants d’un «système» affirmeront que pour des motifs spécifiques (le profit pour le système capitaliste, la domination du monde pour les totalitarismes, la mégalomanie narcissique pour les dictateurs, etc.) nous sommes jetés dans la guerre sans notre consentement éclairé mais par une manipulation mentale qui nous inculque et inocule l’amour d’une organisation sociale fabriquée, la nation, ainsi que la haine de l’étranger ce qui nous fait nous exalter lors de l’entrée en guerre comme en 1914 ou de... matchs de football internationaux!

Ceux qui sont défendeurs de la thèse que la société n’est que le reflet de ce que nous sommes, pointeront que la violence dans toutes ses formes est une pratique tout autant collective qu’individuelle depuis que l’humain existe ou fait société et que nous n’avons pas besoin d’une autorité au-dessus de nous pour nous y livrer.

Ceux qui, dans ce dernier groupe pensent que l’Humanité progresse, estimeront que nous pouvons collectivement changer nos comportements vis-à-vis de la violence et construire un monde pacifié.

Autre exemple, «le système» nous conditionnerait par des techniques marketing – inventés au 20e siècle notamment parce que les industriels s’inquiétaient de ne plus pouvoir écouler leur production une fois les vrais besoins de la population pourvus – afin que nous ayons une soif sans fin de consommer pour le plus grand profit des entreprises et de leurs propriétaires.

Mais notre désir de bien-être et de possession n’est pas seulement issu de techniques si sophistiquées soient-elles pour l’exacerber.

Elles jouent sur une propension à chercher toujours plus sans souvent se préoccuper du toujours mieux.

Ceux qui pensent que l’accumulation de richesse est un trait humain font valoir que le vol, la prévarication, la corruption et tous les moyens de s’enrichir de manière illicite ont toujours existé et montre que nous sommes naturellement attirés par posséder le plus possible.

Cependant, de même que pour la guerre, les tenants du progrès humain estiment que l’on peut tendre vers le mieux sans le plus et faire en sorte de changer la société pour qu’elle soit plus juste et plus soutenable donc moins vulnérable à la tentation et qu’une autre forme de développement existe.

Prenons maintenant l’exemple des totalitarismes dont les romans dystopiques se sont inspirés pour créer leurs systèmes fictionnels et qui sont la preuve pour les tenants du «système» de son existence dans la réalité de leurs convictions (ce qui permet d’ailleurs à certains d’entre eux de prétendre que la démocratie est un régime totalitaire…).

Le problème est que si les régimes totalitaires ont bien une volonté d’instaurer un «système» comme c’était la cas en Union soviétique, dans l’Allemagne d’Hitler et aujourd’hui dans la Chine de Xi et la Corée du Nord de Kim, n’oublions pas qu’il ne s’agit que de quelques Etats dans le monde dans l’histoire récente et que, pour certains, ils ont été mis en place grâce au peuple, comme en Allemagne pour le nazisme dont la population n’avait pas du tout été conditionnée par un quelconque Big brother pour donner autant de voix à Hitler.

D’ailleurs, pour les tenants de la thèse selon laquelle la société ne serait que le reflet de ce que nous sommes, le choix de certains de faire confiance à des partis extrémistes et à voter pour eux dans un régime démocratique serait la démonstration que nous sommes responsables de la création nous-mêmes de ces régimes et de leurs systèmes.

Pour ceux qui pensent que l’on peut se défaire du totalitarisme par volonté qui n’est donc pas empêchée par un quelconque endoctrinement et qui n’est pas sous la coupe d’une «vérité» dont nous ne serions sortir, l’exemple de tous ceux qui se battent dans les autocraties et les dictatures pour les détruire sont la preuve que rien n’est figé par un «système» et les effondrements de certaines la démontrent.

Se pose aussi la question du complot et de son importance dans l’affirmation qu’il existe bien un «système».

Si j’ai choisi d’utiliser le mot «élecubrationisme» pour parler du complotisme c’est pour faire une distinction entre les fantasmes abracadabrantesques sur un complot tel le «deep state» ou qui est brandi comme arme politique par les populistes extrémistes et le fait que, depuis toujours, des complots ont existé.

Utiliser la même terminologie pour exprimer une réalité et un fantasme est un non-sens, plus une faute grave de communication puisque  cela permet aux élucubrationistes de prétendre que leurs théories fantasmagoriques du complot, de pures inventions d’où ils ne peuvent produire une seule évidence incontestable de leur existence, ont la même valeur que les complots avérés par des faits établis et vérifiés avec la certitude requise.

Maintenant, dire qu’un «système» est inexistant, ce n’est pas pour autant faire preuve d’optimisme!

De même que de démontrer que nous avons la capacité de changer les choses si nous le voulons.

Parce qu’alors pourquoi attendons-nous encore pour supprimer la violence, le crime, l’assassinat, la pauvreté et tous les fléaux sur lesquels l’action humaine a prise?

Est-ce que c’est parce que ces sociétés ne sont que notre reflet, donc que nous ne pouvons nous passer de ces fléaux et/ou que nous n’en avons pas vraiment envie tant cela nécessiterait de dépenses d’énergie et d’investissement dans la collectivité?

Et que le changement que nous sommes capables de mettre en place n’est que superficiel ou, tout au mieux, limité?

Alors, quelle conclusion?

D’abord que si «système» il y a, c’est que nous en sommes collectivement les créateurs parce qu’il n’y a jamais eu dans l’Histoire de preuve de l'existence d'un Léviathan caché et exogène dirigé par une caste secrète.

Pour parler d’une caste dirigeante, la royauté et son aristocratie, par exemple, ont toujours agi au grand jour.

Ensuite que, oui, il y a des profiteurs de la société mais cela n’en fait pas les instigateurs d’un «système» qui l’auraient édifié de A à Z dans l’ombre en nous manipulant et nous cachant la vérité.

Ils ne sont souvent que les parasites issus de nos manquements.

Oui, également, il y a des complots comme il en a toujours été mais qu’aucun n’est dirigé par un «système» qui contrôlerait tout ou partie de la société et/ou de la population.

Certains peuvent réussir comme certains coups d’Etat ou détournements financiers à grande échelle mais leur succès ne prouve en rien qu’ils sont connectés comme voudraient nous le faire croire les élucubrationistes.

Enfin, oui, nous avons la capacité de changer la société, de la faire progresser.

L’existence d’une société démocratique dans plusieurs pays le démontre.

Pour autant, voulons-nous vraiment utiliser cette capacité pour changer le monde collectivement ou, même si nous le voulons, sommes-nous de toute façon contraints à un immobilisme parce que les profiteurs et les séditieux et autres factieux agissent pour faire en sorte que nous n’y parvenions jamais?

Disons plutôt que nous ne nous donnons pas les moyens de changer le monde malgré les profiteurs, les séditieux et autres factieux donc que nous sommes, collectivement, complices de leurs agissements.

Et c’est sans doute parce que nous sommes ce que nous sommes, des êtres vivants imparfaits et contradictoires, mus par nos intérêts individuels et ceux de nos proches.

Un manque de confiance dans l’autre nous empêche également de nous lancer dans un changement où nous suspectons toujours d’être ceux qui seront in fine lésé par rapport à d’autres.

Nous devons faire avec la nature humaine, sachant qu’elle ne nous interdit pas le changement, ni même une possible évolution de nos comportements au-delà de la couche superficielle.

Reste que le juge de paix en la matière est la dignité humaine.

Son respect partout et toujours sera la preuve ultime que nous avons réellement décidé de changer le monde et que nous sommes passés effectivement aux actes.

Nous n’en sommes pas là après tant de temps où nous peuplons cette planète et nous préférons souvent – et parfois par simple lâcheté – invoquer un «système» qui nous empêcherait de changer car, voilà également, une des raisons pour lesquelles, nous, les humains l’avons inventé: pour nous donner bonne conscience et nous dédouaner à peu de frais de notre irresponsabilité, de notre pusillanimité et le de notre veulerie.

Même si dans ce monde incertain où ne savons pas pourquoi nous sommes ce que nous sommes et la raison de notre présence, nous avons des excuses…

 

 

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