jeudi 3 novembre 2016

Vues du Centre – Aris de Hesselin. Médiacratie + médiocratie = Trump

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Aris de Hesselin est un avocat international, centriste et un européen, défenseur d’une mondialisation humaniste. Ses propos sont les siens et non ceux du CREC.

Supporter de Trump
Pour un centriste convaincu qui visite souvent les Etats-Unis et en revient tout juste, l’élection américaine a tout d’une espérance (voir une centriste, première présidente du pays, succéder à un centriste, premier président afro-américain) mais aussi d’un cauchemar (voir un dangereux démagogue incompétent s’installer à la Maison blanche, démontrant la limite d’une démocratie, fut-elle la première du monde).
Car, à moins d’une semaine du scrutin, on ne sait toujours pas si Donald Trump sera, in fine, le prochain président des Etats-Unis.
Cela semble toujours improbable même si les sondages se resserrent après les déclarations inqualifiables du directeur du FBI, monsieur Comey, un républicain, qui a décidé de rouvrir l’enquête sur le compte e-mail d’Hillary Clinton quand elle était secrétaire d’Etat au motif que Anthony Wiener, le mari – même s’ils sont en instance de divorce – d’Huma Abedin, sa plus proche collaboratrice, est sous le coup d’une enquête pour échange de textos à caractère sexuel avec une mineure de 15 ans et que la boite e-mail de ce dernier pourrait contenir – mais personne ne le sait, pas même le directeur du FBI! – des informations venant du département d’Etat via des échanges avec Abedin.
Un motif aussi rocambolesque que scandaleux, sorti à moins de onze jours de l’élection – condamné par les légistes qui y voient une interférence inadmissible dans le processus démocratique – et sans la moindre preuve, alors même que ce même Comey a refusé de divulguer les informations concernant le piratage des comptes du Parti démocrate par les Russes que possèdent le FBI au motif qu’il ne voulait pas influencer le vote des Américains alors que cela aurait gêné le candidat républicain!
Bien évidemment, Donald Trump s’est saisi de cette perche alors que sa campagne sombrait bel et bien dans les profondeurs de la boue qu’il a déversée depuis plus d’un an (le New York Times a publié une double page édifiante où sont recensées toutes les personnes et institutions qu’il a copieusement insultées).
Mais aussi les médias audiovisuels qui ont immédiatement qualifié cela de «coup de tonnerre» sans même avoir la moindre information sur cette affaire Wiener ou ce que contient un seul des e-mails qu’il a reçu de sa future ex-femme…
A tout cela, il faut ajouter cet étonnement constant qu’il puisse encore y avoir des Américains qui veuillent voter pour Donald Trump.
Ces derniers jours, la plupart des médias écrits – qui sauvent l’honneur de la presse américaine – ont publié des articles et des éditoriaux pour montrer la menace que représente Trump et des récapitulatifs comme celui évoqué ci-dessus du New York Times, de toutes ses insultes ainsi que ses propos d’une incompétence rare dans les affaires publiques et internationales, sans plus de résultat sur ses supporters.
Pas même le soutien que vient de lui accorder le journal du Ku Klux Klan ne devrait avoir un effet repoussoir sur ses électeurs…
Car, comme le rappelle fort justement Le Monde, «Depuis qu’il a lancé sa campagne, le candidat est associé à des personnages sulfureux: il a reçu l’appui de David Duke, ancien dirigeant du Ku Klux Klan, celui du Daily Stormer, site néonazi américain et celui du comité d’action politique formé par l’American Freedom Party (parti raciste)». Fermez le ban!
Oui, les Etats-Unis sont aujourd’hui, à nouveau, un pays divisé comme ce fut le cas à certaines périodes de leur Histoire.
Pour autant, jamais – même avec Barry Goldwater – un candidat d’un des deux grands partis qui dominent la vie politique du pays n’a été aussi dangereux pour la démocratie comme l’a fort justement rappelé Barack Obama.
Comment expliquer ce qui semble assez inexplicable dans le phénomène Trump, une fois que l’on a laissé de côté la tarte à la crème de la «colère» des Américains qui, si elle est une raison justifiée de celui-ci n’en est pas forcément la principale.
Il faut bien avouer, dès lors, que la possibilité pour une vedette de la téléréalité aux idées populistes d’accéder à la plus haute fonction des Etats-Unis est bien un produit deux des principaux maux qui menacent nos démocraties républicaines, la médiacratie et la médiocratie.
En cela, il faut séparer les cas Reagan et Trump, car le premier, après une carrière d’acteur, avait fait ses armes dans la politique en étant, notamment, gouverneur de Californie alors que le dernier n’a jamais exercé la moindre fonction publique de toute sa vie.
Alors, oui, ce qui produit un Donald Trump est bien l’addition d’une médiacratie en quête constante de taux d’audience ainsi que de «breaking news», créatrice de plus de personnages médiatiques en carton pâte qui accèdent à une notoriété sans commune mesure avec leurs capacités réelles, et une médiocratie où la médiocrité d’une large partie du personnel politique n’est que l’écho d’une médiocrité d’une partie importante de l’électorat, toujours friand de ces personnages plus virtuels que réels.
Une addition qui se retrouve à des degrés divers dans d’autres pays, en France comme aux Philippines, en Espagne comme en Grèce, en Russie comme en Autriche ou en Hongrie.
Le manque de responsabilité des médias qui s’abritent derrière le «devoir d’information» pour monter en épingle tout et n’importe quoi, pour annoncer des nouvelles qui devront être démenties plus tard, dans ce qui s’apparente de plus en plus à un exercice de désinformation où ceux-ci tentent de ne pas se laisser larguer par le flot d’inepties et de théories complotistes venues d’internet allié au manque de discernement d’une partie de la population où les déficiences en matière d’éducation et les carences en véritables informations, produisent des votes complètement épidermiques et affectifs sans lien avec la réalité de la situation et la personnalité des politiciens sont, au minimum, un devoir d’interrogation de la démocratie républicaine sur ce qu’elle est devenue ou, plutôt, sur son incapacité à évoluer vers un système qui ne ferait plus de l’élection une grande foire doublée d’un défouloir où l’on vote plus «contre» que «pour» sans se préoccuper plus que cela de la capacité de ceux que l’on va porter au pouvoir.
Malheureusement, il semble bien qu’il n’y ait pas de solutions miracles immédiates, ce qui peut-être assez inquiétant voire cauchemardesque dans les années à venir où le phénomène risque de s’amplifier.
Néanmoins, la victoire d’Hillary Clinton serait un message fort envoyé à tous les populistes démagogues qui, tel Trump, tentent de phagocyter le pouvoir pour le plus grand danger des pays où ils se présentent.
Dès lors, il nous reste à espérer en la sagesse d’une majorité d’Américains tout en réfléchissant, dès maintenant, à comment faire pour que les électeurs de Donald Trump et ceux de tous les populistes et les démagogues d’ailleurs, ne soient plus tentés par des personnages aussi malsains que nuisibles et, en plus, ridicules.

Aris de Hesselin