samedi 9 juin 2018

Actualités du Centre. Combien de temps Bayrou peut-il continuer à encenser Macron tout en le critiquant fortement?

François Bayrou
François Bayrou s’essaie depuis quelques temps à un nouvel exercice politique: faire des louanges à propos de la personne d’Emmanuel Macron lors de toutes ses déclarations publiques tout en critiquant fortement son action en s’en prenant, non pas à lui directement, mais à son gouvernement.
Ainsi, le leader du Mouvement démocrate ne tarit pas d’éloges sur le jeune président de la république dont il s’attribue toujours une grande part de son élection et, en même temps, estime qu’il faut remettre l’action gouvernementale sur les bons rails – malgré le nombre de succès qu’il égrène –, c’est-à-dire et bien sûr, sur les rails que lui-même a défini.
On a l’impression qu’il veut faire passer le message selon lequel ses ministres et le premier d’entre eux, Edouard Philippe, trahissent les promesses électorales de Macron qui, lui, n’aurait pas changé.
Exercice pour le moins périlleux et quelque peu fallacieux.
En tout cas, la ficelle est un peu grosse.
Aujourd’hui, il s’agit surtout de s’autoproclamer héraut du social dans une majorité présidentielle qui serait libérale mais pas très sociale.
Mais il a enfourché également le rôle du justicier pour un monde politique honnête et transparent, estimant que les mesures prises par le gouvernement ne correspondent pas aux promesses que lui aurait faites Emmanuel Macron.
Le problème actuel est que sa voix est très peu entendue et malgré ses dires, il n’a pas l’air d’avoir beaucoup l’oreille du président.
Alors, fidèle à son comportement, il occupe les médias avec un discours critique qui a mis à mal tant de ses «alliés» et «amis» au cours de sa carrière politique.
C’est à cet exercice qu’il s’est encore attelé lors d’une interview à la chaîne LCP dont voici les principaux extraits.

L’élection de Macron
Cela a été un extraordinaire moment politique qui a permis le renversement du monopole du pouvoir qu’exerçaient depuis 50 ans deux partis minoritaires dans la vie politique française, et ça a été un événement, je crois, extrêmement heureux. Les Français ont découvert, non pas seulement un homme politique jeune et entreprenant, mais un vrai président de la république, avec la dimension personnelle qu’il faut pour être à la hauteur de ces interlocuteurs internationaux, dans un moment où tout le monde voit la vie politique du monde, la vie politique de la planète et diplomatique exposée à des tourments qui sont incroyablement risqués et incroyablement révélateurs. 

Le sens de l’élection de Macron
Un, c’est vraiment cette attente-là qui a été depuis un an entendue et couronnée de réalité. En même temps, va dans le bon sens une grande partie des réformes qui ont été initiées. Et troisièmement, oui, en effet, la promesse qui a été celle d’Emmanuel Macron et de l’élection d’Emmanuel Macron, cette promesse doit servir à chaque instant de guide à toutes les décisions qui sont prises. Donc je vais expliciter ce qu’est cette promesse. La promesse de l’élection d’Emmanuel Macron, c’est le renouvellement profond, non seulement de la vie politique, mais aussi de la manière de diriger l’État. C’est cela la promesse d’Emmanuel Macron. 

Les promesses de Macron ont-elle été tenues?
Cette promesse-là impliquait plusieurs éléments, le premier de ces éléments: on va rendre à la France sa vitalité, son optimisme, la capacité d’entraînement et de faire face au problème du monde au lieu d’avoir peur et d’être recroquevillé sur soi-même. Deuxièmement, on va le faire en pensant à ceux qui n’ont pas la chance d’être du côté des privilégiés, et troisièmement on va le faire en changeant la vie politique. Donc sur ces points-là, vous voyez bien qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire, et c’est pour moi le sort de ces cinq années, c’est là qu’il va se jouer, cette capacité de renouvellement et de justice, et pas la réédition de la manière de gouverner qu’on a connue pendant des décennies. 

L’abandon de la création d’une banque de la démocratie n’est pas accceptable
J’ai vu, je dois dire avec surprise, les déclarations du gouvernement au Sénat disant que ce n’était pas la peine, que ce n’était pas un engagement personnel. Le programme d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, la délibération du Conseil des ministres quand j’ai porté la loi de moralisation, c’était le texte de la loi d’habilitation qui a été voté par les deux assemblées et qui était donc devenu, en quelque sorte, la loi de la République. Pourquoi? Pour une raison extrêmement simple qui n’est pas du tout celle qui a été avancée par le gouvernement ou qui n’est pas seulement celle qui a été annoncée par le gouvernement, la raison qui a été avancée par le gouvernement, c’est les campagnes électorales. Mais ce n’est pas l’essentiel. (…) C’est le fait de donner aux banques privées droit de vie et de mort sur une formation démocratique. 
Je prends des exemples simples: il se trouve que j’ai, comme beaucoup d’autres, vécu moi-même la décision de grandes banques qui vous refusent des avances de trésorerie alors même que vous avez la garantie nécessaire. Si vous n’avez pas la garantie, je comprends qu’on puisse hésiter, mais si vous avez la garantie nécessaire et une formation politique qui se crée… J’ai beaucoup parlé avec Emmanuel Macron de la création d’En Marche. Les difficultés qu’il a rencontrées étaient les mêmes, même s’il avait naturellement l’oreille d’un certain nombre de ces décideurs-là. 
Donc l’idée la plus d’ouverture sur une vie politique plus souple, plus sincère, plus honnête, non trafiquée, cette idée était de dire: comme on a fait une banque pour l’industrie, il y aura une banque pour la démocratie, ouverte aux formations démocratiques politiques et syndicales, adossée à la Caisse des dépôts et  consignations - dont je rappelle qu’il n’est pas l’argent de l’État, mais l’argent des Français et que c’est spécifié dans la loi de manière absolument claire, adossée à la Caisse des dépôts et consignations. Vous allez avoir un établissement dont la mission sera d’imposer l’équité dans ce genre de choses et la protection de l’argent public. Si vous n’êtes pas sûr d’avoir les voix, on vous impose de prendre une assurance ou on vous demande si vous avez des garants, des cautions, par exemple 100 000 Français qui vous cautionnent pour 50 euros chacun, ça fait 5 millions. Et vous voyez bien que ce n’est pas du tout la même chose d’avoir un organisme public dont c’est la mission, au lieu d’avoir une banque privée où on vous dit: «monsieur, le comité d’engagement (qui est-il et quelle est la légitimé des décisions prises?) a décidé qu’on ne vous aidait pas». Et sur ce point, il y a beaucoup de formations politiques qui rencontrent des difficultés, ce sont des formations politiques avec lesquels généralement je ne suis pas dans l’accord.
(…) On avait l’occasion de régler tout cela. Cela avait été décidé par le Conseil des ministres et voté par le Parlement. Le gouvernement annonce qu’il l’abandonne, je n’accepte pas cette décision et je me battrai pour que cette réflexion soit reprise. 

Le bilan de la première année de pouvoir d’Emmanuel Macron
Il se trouve que l’engagement depuis la première seconde qu’Emmanuel Macron a présenté devant les Français, et qu’il respecte, c’est qu’il ne sera pas un président partisan, s’il était élu. C’est-à-dire qu’il ne serait pas le président d’un intérêt contre un autre intérêt. Ceci est une dimension absolument obligatoire de son action parce qu’on a besoin de rassembler la France et pas de la diviser. Alors tous ceux qui insinuent et veulent introduire dans l’esprit des gens que les décisions qui sont prises sont des décisions de clan, ceux-là essaient évidemment de nuire à l’action du président de la République. 
Faut-il que la France soit adaptée au monde comme il est? La réponse est oui. Y-a-t-il un certain nombre de rigidités qu’il fallait à tout prix surmonter? J’espère qu’on l’aura fait, j’espère que dans les réformes récentes, on l’aura fait. Mais il y en a beaucoup, je vais en citer une, dans laquelle la droite de gouvernement et la gauche de gouvernement ont été identiquement engagées et dont je voudrais que la période qui s’est ouverte résolve les problèmes, c’est la manière dont l’Etat fonctionne. L’Etat, centralisé, «administrativo-technocratique», si je voulais faire des formules, cet Etat-là doit être changé en profondeur. La décision concentrée au sommet, pas de pacte de confiance entre le terrain et le sommet, ça, c’est un problème majeur pour la France. 
(…) Est-ce que les orientations qui sont prises sont des orientations justes, est-ce qu’elles concernent tout le monde ou seulement une partie? J’ai appris à connaître Emmanuel Macron. Il a ça en lui, mais on n’a pas l’impression que l’application des décisions telle qu’elle se fait dans la machine gouvernementale va toujours dans ce sens. 
(…) Cet incroyable moment historique d’un homme jeune qui s’avance tout seul, qui trouve des alliances avec lesquelles on emporte toutes les barricades et tous les châteaux forts qui résistaient depuis 50 ans, ce moment-là, il porte en soi un engagement personnel d’Emmanuel Macron comme homme. Cet engagement exige en effet que toute l’action gouvernementale en soit inspirée. 
L’action gouvernementale, ce n’est pas une action de gestion, c’est une action politique. Et cette action politique porte naturellement des réformes, on a vu qu’elles étaient proposées, imposées, mais elle porte aussi cette idée qu’Emmanuel Macron avait traduite par «en même temps», qui est la prise en compte de ceux qui ne sont pas du côté favorisé. 
(…) On a fait beaucoup de choses, on a fait l’allocation adulte handicapé, ce n’est pas une petite chose, l’augmentation d’un certain nombre de minimas de vie, ce n’est pas une petite chose, tout ça est important. Mais on ne l’a pas entendu, et c’est le président de la République qui a comme vocation, comme mission de le faire entendre. 

La mise en place d’un «nouveau contrat social»
J’ai constamment défini ça. En revanche, est-ce que pour autant il n’y a rien à faire? Je plaide exactement le contraire. Je plaide pour un nouveau contrat social, un nouveau projet social. Ce nouveau projet social, sur quoi est-il fondé? Sur l’idée qu’on doit donner à chacun des Français, ou au plus grand nombre, le désir et les moyens de s’en sortir et de progresser dans sa propre vie, le désir et les moyens, et les moyens, c’est, je vais en citer un très simple, l’éducation. Vous êtes un enfant qui est né dans un milieu qui n’était pas le milieu des relations ou de la culture ou de l’argent, l’école doit vous fournir le moyen de vous en sortir, et à votre famille le désir et la fierté de vous aider à le faire. C’est ce qui est en train d’être fait. Jean-Michel Blanquer conduit une politique dont on avait besoin depuis très longtemps, qui est le retour de la transmission des fondamentaux. Je bénis la providence d’avoir fait qu’enfin on sorte du cycle mortifère dans lequel on était et qui était l’abandon de la transmission. Quand Emmanuel Macron s’est exprimé sur la deuxième et troisième chance : quelqu’un qui a raté quelque chose, en France il est rayé. Mais on doit imaginer de toutes les manières qu’il ait la possibilité de trouver une chance nouvelle, de recommencer quelque chose, ça veut dire des adaptations du ministère de la Justice, des adaptations vis-à-vis de l’administration. Tout cela, c’est le nouveau projet social dans lequel on doit entrer, la possibilité, le désir et les moyens de s’en sortir… 

Sur l’Europe
Protectrice, c’est un mot qui est assez souvent utilisé, qui est juste, mais qui ne suffit pas. Il faut que l’Europe devienne entraînante, qu’elle soit reconnue dans la vie de tous les jours des citoyens et il faut que l’Europe devienne enfin unie. Alors unie, ça ne veut pas dire à des questions administratives, unie dans la volonté politique sur les sujets de fond, le sujet de fond que je viens d’évoquer devant vous, la question démocratique que Fabien Roland-Lévy indiquait et qui est évidemment très importante, ce qu’il se passe en Italie. Ce qu’il se passe en Italie, c’est la Grèce puissance 10. 

Sur la stratégie pour les élections munciipales
Si j’avais eu cette responsabilité, ce n’est pas la stratégie que j’aurais choisie. La stratégie que j’aurais choisie, c’est de dire : nous allons – cette force politique formée de la République en Marche et du MoDem, qui s’est réunie au moment de l’élection présidentielle et qui a l’intention de changer la vie politique du pays – nous allons constituer des équipes dans toutes les villes. 
Des équipes dans toutes les villes, et après nous verrons quelle est la démarche la plus juste et la plus crédible. Est-ce que ces équipes proposent aux électeurs un choix? Est-ce qu’au contraire ces équipes vont rechercher des ententes? Ce n’est pas moi qui vais vous dire que chercher des ententes, c’est mal, j’ai toujours plaidé le contraire. 
Pour moi c’est une option stratégique qui n’est pas la mienne. Je pense que le moment était à s’affirmer, à constituer des équipes, à dire que ce grand courant novateur et central, ce grand courant existe, qu’il va faire sortir des personnalités parce que, mettez-vous dans la tête du maire LR ou PS qui n’était pas avec nous au moment de l’élection présidentielle, et à qui on dit: «mais on est prêt à s’entendre». Est-ce que vous croyez que ça le pousse à être plus ouvert ou au contraire à dire: «maintenant, je suis tranquille»? Vous voyez ce que je veux dire. Alors, je ne sais pas pourquoi cette option stratégique a été prise, mais il me semble qu’il faut y réfléchir. Le contrat initial que je rappelais au début de cette émission, «renouvellement de la vie politique», on n’est pas ici dans une démarche de renouvellement de la vie politique au sens propre du terme, on est dans une démarche d’accommodement avec ceux qui sont en place. Je suis moi-même un maire en place, je suis assez heureux, content et fier de mon bilan et je crois que mes concitoyens aussi, mais je ne suis pas prêt à abandonner l’idée du renouvellement. 

À quoi sert le MoDem aujourd’hui? 
C’est le deuxième parti de la majorité et le troisième groupe de l’Assemblée nationale et le seul fait que vous en parliez indique l’importance, je crois, clé de ce qu’est une formation politique très différente d’En Marche. En Marche, c’est une formation politique nouvelle, qui s’est créée en 2017. Nous, nous avons un enracinement, un passé, une vision du monde, une doctrine, comme on voudra, une très forte solidarité entre nous, et une implantation sur l’ensemble du territoire français. 
Ceci est une originalité, chacun a sa personnalité. En effet, nous sommes avec cette personnalité différente, avec ces atouts différents, ces faiblesses, peut-être. Nous sommes une partie de la majorité, c’est-à-dire en situation de défendre les principes qui ont fait l’élection d’Emmanuel Macron. En tout cas les principes tels que nous les avons défendus pendant la campagne et tels qu’Emmanuel Macron, à de très nombreuses reprises, les a défendus. La question est: est-ce que les Français ressentent l’action gouvernementale comme correspondante à cette promesse? C’est ça la question.