dimanche 2 novembre 2008

Actualités – Etats-Unis

Présidentielle 2008

"Barack Obama est, par essence, un centriste"


Voici l’interview donné par le politologue Pierre Melandri au Monde

La candidature de Barack Obama a suscité un mouvement d'enthousiasme sans précédent aux Etats-Unis ainsi que dans le monde. Est-ce que son programme reflète le changement annoncé par sa campagne ?

Pierre Melandri : Obama détonne par sa personnalité et son charisme, mais à y regarder de plus près, son programme reste dans la continuité de la tradition démocrate. Il est par essence un centriste. En matière de fiscalité, ses idées pour contrer la crise sont très classiques : protéger les classes moyennes en faisant peser les taxes sur les couches les plus aisées de la société. Sur la protection sociale, il reprend des idées portées par John Edwards et Hillary Clinton depuis longtemps. Du reste, ces idées ne sont pas nouvelles. Harry S. Truman, président des Etats-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale, a été le premier à proposer un système de protection sociale universelle. Le Medicaid (programme pour les pauvres avec enfants) et le Medicare (pour les plus de 65 ans) ont été adoptés sous la présidence du démocrate Lyndon B. Johnson.

Qu'est-ce qui le distingue alors de ses prédécesseurs démocrates ?

D'abord, c'est le premier à mettre véritablement l'accent sur l'écologie et les problèmes du réchauffement climatique. Il a compris l'aspiration viscérale des Américains à l'indépendance énergétique. Son idée d'investir 150 milliards d'euros en dix ans dans le développement des technologies énergétiques alternatives est très novatrice. D'après certains experts, ce nouveau secteur d'activité pourrait permettre la création de 5 millions d'emplois. D'autre part, Obama a décidé de s'attaquer à l'état inquiétant des infrastructures nationales. Il propose d'établir une banque spécifique, la National Infrastructure Investment Bank, qui permettrait de financer la rénovation des routes, des ports ou des aéroports. C'est bien vu, comme son projet de l'Employer Patriot Act, qui vise à encourager les entreprises américaines à maintenir les emplois sur le territoire, plutôt qu'à délocaliser. Le vrai problème, c'est le financement de ces réformes, alors que le pays traverse une des plus graves crises financières de son histoire et entre dans une période de récession. Obama a d'ores et déjà expliqué qu'il serait obligé d'établir des priorités, d'atténuer le rythme et donc le coût des réformes, tout en laissant filer le déficit.

Est-il plus progressiste sur les questions de société comme la peine de mort ou la religion ?

Sur des thèmes comme la peine de mort ou la religion, Obama a des positions qui pourraient surprendre les Européens. Il s'est rangé aux côtés de John McCain contre un arrêt de la Cour suprême visant à interdire la peine de mort s'il n'y avait pas eu meurtre. Barack Obama appartient à la société américaine. Il a compris que les démocrates avaient eu tort de se couper des valeurs religieuses. L'Eglise et l'Etat sont séparés dans la Constitution, mais il a toujours existé une extraordinaire osmose entre religion et vie publique. Il a lui-même longtemps été le disciple d'une église très pratiquante de Chicago, celle du révérend Wright. Il est même plus religieux que McCain, mais il parvient à distinguer ses convictions personnelles de son engagement public.

Une éventuelle élection d'Obama annonce-t-elle un vrai changement en matière diplomatique ?

Oui. Le principal problème des Etats-Unis, c'est qu'ils sont cordialement détestés dans une bonne partie du monde. L'élection d'un métis, né d'un père Kényan et d'une mère blanche du Kansas, qui a une demi-sœur indonésienne mariée à un Chinois canadien, bouleverserait l'image que l'on a de l'Amérique. Cela mettrait fin à l'identification entre l'Occident et l'impérialisme de l'homme blanc. Mais diplomatiquement parlant, Obama est avant tout un réaliste. Il s'est opposé à la guerre en Irak parce qu'il considérait que c'était une erreur géostratégique et qu'il fallait concentrer l'effort de guerre sur l'Afghanistan. Tout en étant ouvert au dialogue, il n'a jamais totalement exclu l'option militaire en Iran. Comme l'administration Bush et de McCain, il s'est dit favorable à l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN, contre l'avis des Européens. Enfin face à l'Union européenne, il prône une forme améliorée de multilatéralisme, mais des tensions pourraient naître à cause du conflit afghan.

Propos recueillis par Elise Barthet

© 2008 Le Monde