dimanche 12 avril 2020

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Redécouvrir la fragilité de la vie pour mieux la protéger

Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi nous accordons une si grande importance à cette épidémie de covid19 alors qu’elle a fait pour l’instant nettement moins de victimes que la grippe saisonnière, ou que le nombre annuel de morts du au cancer ou que celui qui endeuille les routes de la planète.
Et, de ce point de vue, ils ont raison.
Mais ils se trompent gravement dans leur analyse de cette crise.
D’abord, nous ne savons absolument pas combien de personnes vont mourir et cette incertitude est extrêmement anxiogène.
Comme l’est, l’arrivée de ce virus, sorti de «nulle part», sans prévenir et qui s’est répandu si rapidement dans le monde entier.
De plus, nous n’avons pas encore trouvé une parade à sa virulence et nous ne savons s’il va muter et s’il recèle en lui une capacité de nuisance encore plus grande.
On peut même comprendre l’emballement médiatique qui accompagne l’épidémie, tant nous voulons comprendre et sommes sidérés de sa survenance, même si son traitement journalistique sacrifie trop souvent au spectaculaire, à la controverse pour la controverse, à l’approximation, à donner la parole à des incultes notoires qui ne nous livrent que leur fantasmes affligeants sur le virus voire, plus grave, aux fake news et aux thèses complotistes.
En réalité le covid19 est un révélateur d’une puissance inégalée sur notre condition humaine, nous qui croyions pouvoir maîtriser ce type d’événement grâce à notre science, notre médecine et notre technologie, le terrasser par notre intelligence.
Surtout, il est un révélateur de la fragilité de notre vie sur Terre.
Cette «redécouverte» – plutôt une remontée à la surface de nos angoisses existentielles en la matière – qui se manifeste de manière aussi abrupte peut être un moment-clé de notre modernité qui nous amène à reconsidérer la façon dont nous devons la protéger ainsi que les moyens que nous consacrons à le faire.
Ce coronavirus pourrait du coup avoir un impact puissant pour nous ramener à l’essentiel, à cet humanisme qui se préoccupe d’abord de l’être et qui donne à la vie cette grandeur et cette valeur indépassables.
Parce que si nous nous gargarisons sans cesse de mots emphatiques sur notre attachement à sauver des existences, force est de reconnaître qu’en l’espèce, l’impréparation, dont nous sommes tous responsables, du système de santé dans tous les pays sans exception, montre que nous avons fait des choix que nous payons actuellement.
Comme pour les accidents de la route où notre immobilisme tue.
S’il y a un «monde d’après» (au sens d’un changement), ce qu’il faut souhaiter, c’est qu’il soit, avant tout le plus respectueux de la vie.
Ceci impliquera évidemment que nous fassions collectivement des choix qui changeront notre regard et notre agir profondément.
Mettre la vie et sa préservation réellement au centre des préoccupations de nos sociétés nécessite un véritable bouleversement dans notre approche collective des buts que nous poursuivons.
Donner les moyens nécessaires pour que nous luttions efficacement contre les épidémies, les maladies, les violences, la faim et la soif, les accidents de toutes sortes, les fléaux naturels que nous pouvons combattre mais aussi toutes les causes externes qui les créent ou les favorisent, comme la pauvreté, ne se décrète pas même face à une épidémie qui nous atteint si intensément dans sa charge émotionnelle.
Nous nous sommes habitués à ce que les morts évitables continuent à faire partie de notre environnement comme une sorte de legs du passé où nous ne savions pas comment les empêcher et par une sorte de fatalisme où nous estimons, entre autres, qu’il serait trop onéreux de s’y attaquer.
Si nous parvenions à changer cette approche suite à cette épidémie, nous accomplirions une vraie révolution dont les conséquences seraient gigantesques sur nos existences individuelles et collectives.
Nous ferions mentir ce fatalisme selon lequel nous n’apprenons jamais rien des terribles événements qui nous frappent.
De ce point de vue, je serais heureux d’avoir si souvent eu tort…