samedi 3 décembre 2022

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. De l’individu aux identités multiples face à la responsabilité

Nous vivons dans un monde où l’individu évolue dans plusieurs environnements (public, lieu de travail logement, etc.), dans plusieurs espaces relationnels (familial, amical, professionnel, etc.) avec des interactions dimensionnelles différentes (rationnelles, émotionnelles, impliquées, indifférentes, etc.) dans lesquels il possède plusieurs identités (citoyen, travailleur, consommateur, contribuable, etc.) qui lui permettent psychologiquement de n’être vraiment jamais responsable en tant que personne singulière de sa situation en rejetant la faute sur l’une d’elle et de se prétendre victime de celle-ci.

Ici, je ne parle pas de ses identités politique, ethnique, culturelle(s), nationale(s), géographique, physiologique, générationnelle, de genre et sociale qui interagissent évidemment entre elles et avec celles que j’ai listé ci-dessus mais qui n’ont pas leur caractère potentiellement schizophrène dans sa vie quotidienne.

Ainsi, son moi citoyen veut bien lutter efficacement contre le changement climatique mais son moi consommateur l’en empêche.

Et ce même moi consommateur, à la recherche du prix le plus bas, menace constamment son moi travailleur qui lui-même cause des contrariétés au moi consommateur lors de grèves, manifestations et autres mouvements sociaux.

Et de fustiger ce moi citoyen qui l’empêche de consommer comme bon lui semble, ce moi consommateur qui met en péril son existence et son activité professionnelle et ce moi travailleur qui lui cause des nuisances dans son quotidien!

Sans oublier le moi contribuable qui peste sans cesse contre les mois multiples qui bénéficient des services publics que les impôts qu’il paye permettent de faire fonctionner.

Cela ne signifie pas, néanmoins, que le moi consommateur ne comprenne pas le moi citoyen ainsi que le moi travailleur et inversement, idem pour le moi contribuable et les mois récipiendaires mais que devant une sorte d’incapacité mentale à les relier et les synthétiser, il ne puisse, non seulement, les réconcilier, mais agir rationnellement en prenant en compte ces différentes identités pour se forger une vision unique et défendre des intérêts cohérents.

Ces conflits entre ces identités peuvent dégénérer et aboutir à ce que l’individu se croit constamment persécuter par un «système» et lui permettent d’élaborer une sorte de victimisation avec des théories élucubrationistes (complotistes) et de se réfugier dans une attitude négative qui se répercute dans son comportement et dans son vote.

Ces identités multiples sont évidemment problématiques pour l’individu pour son existence et ses choix de vie mais elles ont également des répercussions négatives sur la société.

Elles instaurent des tensions constantes qui aboutissent parfois à des contradictions que le politique tente de gérer dans une sorte de quadrature du cercle.

Dans une société démocratique apaisée si l’on ne peut éviter ces tensions, peut-on tendre malgré tout vers un individu unifié ou, en tout cas, plus capable de faire la part des choses?

C’est évidemment le rôle que doit occuper au premier chef la responsabilité, laquelle ne peut s’acquérir en l’espèce que grâce à la formation d’une personne éveillée capable de, non seulement, comprendre les contradictions au sein même de sa vie mais de les résoudre par la raison et non de l’émotionnel superficiel, dans l’agir lucide et non dans le renoncement victimaire souvent bien plus confortable.

Prenons un exemple que nous fournit malheureusement l’actualité, l’invasion de l’Ukraine par Poutine.

Si je décide de soutenir le peuple ukrainien contre cette agression, à la fois parce que je suis solidaire avec lui mais aussi parce que je défends mon mode de vie et ma liberté, je sais ou dois savoir, en tant que citoyen, qu’il y a des conséquences à ce choix comme l’aggravation de la crise énergétique et l’inflation.

Dès lors, je ne peux me plaindre, en tant que consommateur, des conséquences de mon choix mais bien de la raison de celui-ci qui est, en l’occurrence, la décision du régime en place en Russie.

Bien évidemment, cela ne veut pas dire que je ne suis pas impacté négativement par la situation et que je ne peux en souffrir et l’expliciter mais sans en rejeter la faute sur une de mes identités et sur tel ou tel groupe voire sur ceux qui me représentent qui n’en peuvent mais.

Parce qu’alors, par mon comportement de refus d’en assumer les conséquences, je fragilise le régime de liberté qui m’a permis de choisir.

Je peux évidemment changer d’avis mais je ne peux alors mettre à égalité des identités aux choix divergents, l’une d’elle devant avoir la prééminence, en l’occurrence dans l’exemple, le citoyen ou le consommateur.

C’est une question de rationalité avec moi-même qui n’empêche évidemment par les émotions de participer à ma décision de hiérarchiser mes identités.

Entre parenthèses, cet individu aux différentes identités est du pain béni pour les lobbys qui défendent des causes particulières et qui tentent d’en jouer à leur profit.

D’où cette impératif pour la société de donner à chaque personne la capacité d’être à même de faire les bons choix pour ses intérêts et ceux de la communauté dans laquelle elle vit et non de faire un mélange sans priorités des revendications de ses identités multiples au risque de créer le désordre et le chaos à la fois pour elle et la société.

Cela passe par la formation et l’information de l’individu, comme toujours dans une société démocratique, seules susceptibles de lui permettre d’être responsable de sa vie donc ses choix, donc de ses conséquences.