Du haut de la tribune des Nations Unies à l’occasion de son
assemblée générale annuelle et plus particulièrement de la conférence sur la «solution
à deux Etats», le Président de la République française a donc décidé de reconnaître
l’Etat de Palestine avec cette formule «le temps est venu».
En cela, il ne fait que se conformer aux décisions que cette
même ONU a pris après la Deuxième guerre mondiale lorsqu’elle a reconnu le
droit à l’existence des communautés juives et arabes sur la terre de Palestine.
Et la solution à deux Etats est sinon la meilleure (la plus
vivable économiquement parlant et en termes de gestion des ressources naturelles
comme l’eau, serait en réalité un seul Etat fédéral) du moins celle qui le plus
réaliste.
Mais, évidemment cette reconnaissance par Emmanuel Macron n’a
de sens, après la chevauchée barbare du Hamas le 7 octobre 2021 et la sale
guerre de Netanyahu contre les civils de Gaza, que si elle est une étape
importante et refondatrice, dans le processus qui amènera à cette solution à
deux entités nationales israéliennes et palestiniennes.
Ici, point de rétribution au Hamas comme l’affirme un
Netanyahu qui s’enferme dans sa logique guerrière pour des motifs peu
recommandables mais, point non plus, de geste autant spectaculaire que sans
aucune portée comme le prétend la gauche française dans sa logique d’opposition
et de critique systématique à Macron.
Non, une décision prise parce que le Hamas et Netanyahu,
dans une alliance objective pas aussi improbable que cela de la part de deux
extrémismes radicaux, veulent détruire cette possibilité à deux Etats en
rejetant, pour le Hamas, les juifs à la mer et, pour Netanyahu, en déplaçant de
force les arabes dans d’autres pays, sans autre avenir que des camps de
réfugiés.
► Discours
d’Emmanuel Macron aux Nations-unies lors de la conférence pour la solution à
deux Etats.
Nous sommes là car le temps est venu. Le temps est venu de libérer les 48
otages détenus par le Hamas. Le temps est venu d’arrêter la guerre, les
bombardements à Gaza, les massacres et les populations en fuite. Le temps est
venu car l’urgence est partout. Le temps de la paix est venu, car nous sommes à
quelques instants de ne plus pouvoir la saisir. C’est pour cela que nous nous
retrouvons aujourd’hui ici. Certains diront trop tard, d’autres diront trop
tôt. Une chose est sûre nous ne pouvons plus attendre.
En 1947, cette Assemblée décidait du partage de la Palestine mandataire entre
deux Etats, l’un juif et l’autre arabe, et reconnaissait ainsi le droit de
chacun à l’autodétermination. La communauté internationale consacrait là l’Etat
d’Israël, accomplissant le destin de ce peuple, enfin, après des millénaires
d’errance et de persécution, et qui put fonder là une si belle démocratie. La
promesse d’un Etat arabe, elle, reste, jusqu’à ce jour, inachevée.
Depuis lors, c’est un long chemin d’espérance et de désespoir mêlés
qu’Israéliens et Palestiniens ont parcouru chacun à leur manière. Et nous, nous
avons cheminé avec eux, chacun d’entre nous selon son histoire et sa
sensibilité. Mais la vérité est que nous portons la responsabilité collective
d’avoir failli jusqu’ici à bâtir une paix juste et durable au Proche-Orient.
C’est l’évidence même qui s’est imposée à nous le 7 octobre 2023, lorsque le
peuple israélien a subi la pire attaque terroriste de son histoire. 1224
hommes, femmes et enfants tués. 4834 hommes, femmes et enfants blessés. 251
hommes, femmes et enfants enlevés.
La barbarie du Hamas et de ceux qui ont collaboré à ce massacre a stupéfait
Israël et le monde. Le 7 octobre est une blessure encore vive pour l’âme
israélienne comme pour la conscience universelle. Nous la condamnons sans
aucune nuance car rien, jamais, nulle part, ne peut justifier de recourir au
terrorisme. Nous pensons en ce jour, aux victimes et à leurs familles. Nous
disons notre compassion aux Israéliens et exigeons avant toute autre chose que
tous les otages encore détenus à Gaza soient libérés sans aucune condition.
Nous Français avons rendu un hommage national à nos 51 compatriotes assassinés
ce jour-là, et à toutes les victimes du 7 octobre 2023. Nous ne les oublierons
pas. Jamais. Comme jamais nous ne cesserons le combat existentiel contre l’antisémitisme.
Français, nous savons la morsure du terrorisme. Nous portons au cœur le
souvenir du témoignage de fraternité offert après les attentats commis à Paris
le 7 janvier 2015, par des dizaines de dirigeants étrangers manifestant avec
eux, au premier rang desquels le premier ministre israélien et le président de
l’Autorité palestinienne.
Nous savons qu’aucune faiblesse n’est possible face aux terroristes.
Nous savons aussi le danger des guerres sans fin. Nous savons que le droit
toujours doit l’emporter sur la force. Nous savons enfin de notre Histoire que
l’attachement à l’universel et à la paix est l’héritage des siècles passés
comme la condition du salut. J’affirme cela au nom de notre amitié avec Israël,
à qui notre engagement n’a jamais fait défaut. Au nom de notre amitié aussi
avec le peuple palestinien pour qui nous voulons que la promesse initiale des
Nations unies, celle de deux Etats vivant côte à côte en paix et en sécurité
devienne réalité.
Or à cette heure, Israël étend encore ses opérations militaires à Gaza dans
l’objectif déclaré de détruire le Hamas. Mais ce sont les vies de centaines de
milliers de personnes déplacées, blessées, affamées, traumatisées qui
continuent d’être détruites. Alors même que le Hamas a été considérablement
affaibli et que la négociation d’un cessez-le-feu durable reste le moyen le
plus sûr d’obtenir la libération des otages.
Rien, rien ne justifie plus la poursuite de la guerre à Gaza. Rien. Tout
commande au contraire d’y mettre un terme définitif maintenant, à défaut de
l’avoir fait plus tôt. Pour sauver des vies. Les vies des otages israéliens
encore détenus dans des conditions atroces. Les vies des centaines de milliers
de civils palestiniens accablés par la faim, la souffrance, la peur de mourir,
le deuil de leurs proches. Sauver toutes les vies. Car depuis désormais près de
deux ans, c’est bien la négation de l’humanité de l’autre et le sacrifice de la
vie humaine qui prévalent. Oui, depuis le 7 octobre, c’est bien la vie de
l’autre qui est niée.
Nous le disons depuis le premier jour de la guerre à Gaza: une vie vaut une
vie. Je le sais pour avoir pris dans mes bras les familles des otages
rencontrées à Tel Aviv puis à Paris. Je pense à cet instant à la mère d’Eyatar
David, otage affamé et montré à la foule par ses bourreaux. Je pense à Nimrod
Cohen, otage de dix-neuf ans, dont je viens de saluer le père. Je le sais pour
être aussi allé au chevet des victimes palestiniennes des opérations militaires
israéliennes, réfugiées à Al-Arish, des femmes, des enfants, dont je
n’oublierai pas le regard.
Je le sais, pour avoir rencontré des jeunes de Gaza accueillis en France et je
pense à Rita Baroud qui aurait dû être avec nous aujourd’hui et qui continue de
témoigner de la détresse de ses proches à Gaza.
Une vie vaut une vie. Et notre devoir à tous est de protéger les uns et les
autres, devoir indivisible, comme l’est notre humanité commune.
Une solution existe pour briser le cycle de la guerre et de la destruction.
C’est la reconnaissance de l’autre, de sa légitimité, de son humanité et de sa
dignité. Que les uns et les autres rouvrent les yeux et voient des visages
humains là où la guerre a placé le masque de l’ennemi ou les traits d’une
cible. C’est la reconnaissance qu’Israéliens et Palestiniens vivent dans une
solitude jumelle, solitude des Israéliens après le cauchemar historique du 7
octobre 2023, solitude des Palestiniens à bout de force dans cette guerre sans
fin.
Le temps est venu. Car le pire peut advenir, qu’il s’agisse du sacrifice de
tant d’autres civils, de l’expulsion de la population de Gaza vers l’Egypte, de
l’annexion de la Cisjordanie, de la mort des otages détenus par le Hamas, ou
des faits accomplis qui changent de manière irréversible la situation sur le
terrain. C’est pour cela, c’est pour cela que nous devons aujourd’hui, ici même
ouvrir ce chemin de paix, car depuis juillet dernier, l’accélération des
évènements est terrible. Au point où nous en sommes, il est à craindre que les
accords d’Abraham ou de Camp David soient remis en cause par l’action d’Israël
et que la paix devienne impossible pour longtemps au Moyen-Orient. Il pèse donc
sur nous une responsabilité historique. Nous devons tout faire pour préserver
la possibilité même d’une solution à deux Etats, Israël et la Palestine, vivant
côte-à-côte en paix et en sécurité.
Le temps est venu. C’est pourquoi, fidèle à l’engagement historique de mon pays
au Proche- Orient, pour la paix entre le peuple israélien et le peuple
palestinien, je déclare que la France reconnaît aujourd’hui l’Etat de
Palestine.
Cette reconnaissance est une manière d’affirmer que le peuple palestinien n’est
pas un peuple en trop. Qu’il est au contraire ce peuple qui ne dit jamais adieu
à rien, pour parler avec Mahmoud Darwich. Un peuple fort de son Histoire, de
son enracinement, de sa dignité.
La reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien n’enlève rien aux
droits du peuple israélien, que la France a soutenus dès le premier jour et au
respect desquels elle n’est pas moins attachée. Précisément car nous sommes
convaincus que cette reconnaissance est la solution qui seule permettra la paix
pour Israël. Jamais la France n’a manqué à Israël quand sa sécurité était en
jeu, y compris face aux frappes iraniennes.
Cette reconnaissance de l’Etat de Palestine est une défaite pour le Hamas comme
pour tous ceux qui attisent la haine antisémite, nourrissent des obsessions
antisionistes et veulent la destruction de l’Etat d’Israël.
Cette reconnaissance de la France est accompagnée par celles qui seront
annoncées aujourd’hui entre autres et je les en remercie, celles d’Andorre, de
l’Australie, de la Belgique, du Canada, du Luxembourg, de Malte, de Monaco, du
Portugal, du Royaume-Uni, de Saint-Marin qui ont attendu avec nous ce moment et
saisissant l’appel de juillet dernier, ont fait le choix de la responsabilité,
de l’exigence et de la paix. Cela, après le choix fait par l’Espagne,
l’Irlande, la Norvège et la Slovénie en 2024, et tant d’autres auparavant.
Cette reconnaissance ouvre le chemin d’une négociation utile aux Israéliens
comme aux Palestiniens.
Ce chemin est celui du plan de paix et de sécurité pour tous que l’Arabie
Saoudite et la France ont soumis au vote de cette assemblée, qui l’a adopté à
une très large majorité. Il porte notre ambition commune de briser l’engrenage
de la violence et de changer la donne sur le terrain. Nous avons su faire un
pas les uns vers les autres, sortir de nos postures habituelles et nous donner
des objectifs concrets. Il nous appartient maintenant, ensemble, de déclencher
une mécanique de paix répondant aux besoins de chacun.
Le premier temps ce plan de paix et de sécurité pour tous, est celui de
l’urgence absolue, celle de coupler la libération des 48 otages et la fin des
opérations militaires sur tout le territoire de Gaza. Je salue les efforts du
Qatar, de l’Egypte et des Etats-Unis pour y parvenir et demande à Israël de ne
plus rien faire qui entrave leur aboutissement. Le Hamas a été vaincu sur le
plan militaire par la neutralisation de ses chefs et de ses décideurs. Il doit
l’être sur le plan politique pour être véritablement démantelé. Dès lors que le
cessez-le-feu aura été agréé, c’est un effort massif que nous devrons produire
collectivement pour porter secours à la population de Gaza. Je remercie
l’Egypte et la Jordanie de leur engagement ici et rappelle à Israël l’obligation
absolue qui est la sienne de faciliter l’accès humanitaire à Gaza pour aider
une population aujourd’hui démunie de tout.
Le deuxième temps est celui de la stabilisation et de la reconstruction à Gaza.
Une administration de transition intégrant l’Autorité palestinienne, la
jeunesse palestinienne accompagnée de forces de sécurité dont nous accélérerons
la formation, aura le monopole de la sécurité à Gaza. Elle mettra en œuvre le
démantèlement et le désarmement du Hamas, avec le soutien des partenaires
internationaux et les moyens qui seront nécessaires à cette mission difficile.
La France est prête à contribuer à une mission internationale de stabilisation
et à soutenir, avec ses partenaires européens, la formation et l’équipement des
forces de sécurité palestiniennes. Dès lors que la négociation le permettra, le
Conseil de sécurité pourra décider le déploiement d’une mission de soutien
civil et sécuritaire, en liaison avec les autorités palestiniennes, avec le
consentement des autorités israéliennes.
Il reviendra aussi à l’Etat de Palestine de rendre espoir à sa population
éprouvée par des années de violence, d’occupation mais aussi de division et
d’incurie. Il lui reviendra donc d’offrir à son peuple un cadre d’expression
démocratique, renouvelé et sécurisé. Le président Mahmoud Abbas en a pris
l’engagement auprès du prince Mohamed bin Salman et de moi-même.
Il a condamné avec force les attaques terroristes du 7 octobre 2023. Il a
affirmé son soutien au désarmement du Hamas et s’est engagé à l’exclure de la
gouvernance à venir de Gaza comme de l’ensemble du territoire palestinien. Il a
affirmé son engagement à lutter contre les discours de haine et a promis une
rénovation en profondeur de la gouvernance palestinienne.
La France sera attentive à la pleine mise en œuvre de chacun des engagements
pris auprès d’elle. Cette Autorité palestinienne renouvelée est une condition
nécessaire à la réussite de l’indispensable négociation qu’il faudra reprendre
pour parvenir à un accord sur chacune des questions relatives au statut final.
C’est dans ce cadre, aussi, que je pourrai décider d’établir une ambassade
auprès de l’Etat de Palestine, dès lors que tous les otages détenus à Gaza
auront été libérés et qu’un cessez-le-feu aura été établi.
L’exigence de la France à l’égard d’Israël ne sera pas moins grande. Avec ses
partenaires européens, elle indexera le niveau de sa coopération avec lui sur
les dispositions qu’il prendra pour mettre fin à la guerre et négocier la paix.
C’est bien grâce à ce chemin que nous obtiendrons un Etat de Palestine
souverain, indépendant et démilitarisé regroupant l’ensemble de ses
territoires, reconnaissant Israël, et étant reconnu par Israël, dans une région
qui connaîtra enfin la paix.
J’attends aussi de nos partenaires arabes et musulmans qui ne l’ont pas encore
fait, qu’ils tiennent leur engagement de reconnaître l’Etat d’Israël et d’avoir
avec lui des relations normales dès lors que l’Etat de Palestine aura été
établi. Ainsi ferons-nous la démonstration d’une double reconnaissance au
bénéfice de la paix et de la sécurité de tous au Proche-Orient.
Voici quel est notre plan de paix. Il établit un engrenage exigeant pour sortir
de la guerre et entrer dans une phase décisive de négociation. Il permet que la
paix israélo- palestinienne soit le premier pilier d’une nouvelle architecture
de paix et de sécurité au Proche et Moyen-Orient. Il crédibilise aussi la
possibilité d’une plus grande intégration économique.
Rien ne sera possible sans que les autorités israéliennes s’approprient
pleinement notre ambition renouvelée de parvenir enfin à la solution des deux
Etats. Je sais leurs réticences et leurs craintes. J’entends avec beaucoup de
respect le peuple israélien, sa tristesse et sa fatigue, et je veux croire que
les autorités israéliennes l’entendront également et sauront s’engager à leur
tour. Je sais que le peuple israélien et ses dirigeants peuvent en avoir la
force.
Je me souviens du jeune homme que j’étais, apprenant l’assassinat terrible
d’Yitzhak Rabin, il y a près de 30 ans, tué pour avoir voulu la paix. Au moment
où la mort allait le ravir, le guerrier héroïque de l’Etat d’Israël venait de
prononcer ces mots : « J’ai fait la guerre aussi
longtemps qu’il n’y avait aucune chance de faire la paix ». Cette chance existe
là aujourd’hui. 142 Etats proposent cette paix, main tendue prête à être
serrée.
Alors, oui, le temps est venu d’arrêter la guerre à Gaza, les massacres, la
mort, tout de suite. L’urgence nous le commande. Le temps est venu pour Israël
de vivre en paix et en sécurité, de la Galilée à la mer Rouge, par la mer
Morte, par le lac de Tibériade, et par Jérusalem. Le temps est venu de ne plus
discuter nulle part l’existence d’un Etat d’Israël et d’en faire une évidence.
Le temps est venu de rendre justice au peuple palestinien et ainsi de reconnaître
un Etat de Palestine, frère et voisin, à Gaza et en Cisjordanie et par
Jérusalem. Le temps est venu de chasser de ces terres le visage hideux du
terrorisme et de bâtir la paix. Oui, bâtir la paix, c’est ce qui nous rassemble
ici. Et telle est l’espérance qui peut se construire. Alors que pour certains
commence une année nouvelle, c’est un choix à faire et c’est notre devoir. La
paix est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les
guerres.
Mais le temps est venu.
[Retrouvez quotidiennement ce billet rédigé par l’équipe
du CREC concernant l'actualité du jour]