samedi 24 juin 2017

Une Semaine en Centrisme. L’état du Centre après les élections

L’élection présidentielle et les législatives ont vu une victoire pour le moins inattendu du Centrisme, tel que le CREC le définit depuis toujours, grâce à Emmanuel Macron.
Et, il y encore quelques jours, on aurait affirmé dans la foulée qu’il s’agissait aussi d’une victoire des centristes.
Or ceci n’est plus du tout évident.
Pourtant, les chiffres semblent parler d’eux-mêmes.
Avant les élections, il y avait 29 députés centristes, tous de l’UDI, quelques résidus de centristes élus à LR et aucun ministre.
Après les élections, on trouve 370 députés appartenant à des partis «centristes», plusieurs ministres et… un Président de la république.
Ce sera sans doute difficile de faire mieux.
Néanmoins, les situations des diverses organisations centristes sont contrastées.

- Le Mouvement démocrate
Avant: 0 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 42 députés, 2 ministres/secrétaire d’Etat
Le MoDem a vécu un double-paradoxe où, en voie d’extinction, il s’est vu ensuite sur le toit du monde avant de redescendre, proche désormais des enfers avec son poids politique en question.
Moribond, avec un candidat virtuel à la présidentielle qui ne dépassait pas les 6% d’intentions de vote, sans aucun député et dans des difficultés financières inextricables, le MoDem a joué end début d’année 2017 sa dernière carte avec un succès inespéré.
Après la défaite à la primaire de LR d’Alain Juppé qu’il avait soutenu tout en le mettant souvent en difficultés par ses propos (souvent exprès) et voyant qu’il ne pourrait pas être élu à l’Elysée ce qui pourrait le faire sortir de la politique (et de l’Histoire…) par la petite porte, François Bayrou a décidé de s’allier avec Emmanuel Macron.
De cette façon, il espérait sauver sa peau politique (et du même coup son avenir) et celle de son parti qu’il avait pourtant si malmené depuis sa formation du fait de ses ambitions présidentielles qui primaient sur le développement de ce dernier.
Et, dans un premier temps, cela a été un succès que peu aurait pu prévoir.
Non seulement, Emmanuel Macron était élu mais le Mouvement démocrate pouvait faire élire une quarantaine de députés et installé deux de ses membres au gouvernement dans des ministères importants (la Justice et les Affaires européennes), même s’il a espéré en avoir plus.
Mais, comme d’habitude, François Bayrou en a fait trop.
Son hubris démesurée l’a amené à se croire l’égal du nouveau président de la république et qu’il allait pouvoir être une sorte de co-président, voire de vice-président à défaut d’avoir été nommé premier ministre.
Quand il a vu que ce ne serait pas le cas, il a bombé le torse jusqu’à ce que l’affaire des attachés parlementaires européens du MoDem le rattrape et sorte à un moment où il semblait devenir incontournable.
Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est qu’il n’y a aucune preuve de l’incrimination de Bayrou pour l’instant.
Mais l’homme a tellement accumulé d’ennemis et de haines dans le monde politico-médiatique ces dernières années – ce qu’il a été incapable de voir – qu’il a été emporté par une tourmente qui, au-delà de son cas personnel, pose bien des questions sur le fonctionnement de la démocratie et de la présomption d’innocence.
Toujours est-il que de ressuscité, le Mouvement démocrate pourrait, malgré ses députés, ne pas se relever de cet épisode où son chef, seule incarnation de son existence par sa propre volonté, risque sa carrière politique.

- L’UDI
Avant: 28 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 18 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
L’UDI peut être satisfaite, elle a réussi à garder 18 députés quand des projections lui en donnaient 10.
Sauf qu’elle en avait 29 dans la précédente assemblée et que les erreurs politiques et stratégiques ont décrédibilisé un parti qui n’avait déjà pas bonne presse dans l’opinion et qui apparait aujourd’hui comme un cartel d’opportunistes à la recherche d’une identité quelconque si cela lui rapporte et prêts à toutes les compromissions pour obtenir une visibilité médiatique.
Les dernières déclarations de son président, Jean-Christophe Lagarde, où il se dit, à la fois, dans l’opposition, mais aussi dans le soutien à Emmanuel Macron sont les derniers développements d’un comportement totalement erratique de celui qui a été capable en quelques mois d’affirmer que l’UDI aurait un candidat à la présidentielle (et de se faire élire président de l’UDI sur cette promesse), puis qu’elle n’en aurait pas puis qu’elle pourrait soutenir Emmanuel Macron puis qu’il n’était pas question qu’elle puisse soutenir le même Macron puis qu’elle soutenait Alain Juppé puis qu’elle aurait un candidat si Jean-Louis Borloo se présentait puis qu’elle soutenait François Fillon puis qu’elle ne soutenait plus François Fillon puis qu’elle aurait un candidat si Borloo voulait bien se présenter puis qu’elle soutenait François Fillon.
Le tout dans un vide de projet et de programme d’une confédération où les haines sont plus nombreuses que les amitiés.

- L’Alliance centriste
Avant: 3 députés, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 1 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
L’Alliance centriste aurait pu espérer un meilleur traitement avec le ralliement très rapide de son ancien président et fondateur, Jean Arthuis, à Emmanuel Macron puis celui de la formation centriste qui, dans la foulée, s’est fait exclure de l’UDI.
Son président, Philippe Folliot, peut estimer que le bilan est bien mitigé.
Il faut dire que l’Alliance centriste ne représente pas grand-chose et ne pouvait sans doute pas espérer beaucoup mieux pour ces ralliements.
Sauf que le soutien indéfectible d’Arthuis à Macron a montré aux autres centristes la voie à suivre et, de ce point de vue, a été important.
D’où certainement une certaine amertume d’Arthuis.

- La République en marche (En marche!)
Avant: 0 député, 0 ministre/secrétaire d’Etat
Après: 308 députés, 8 ministre/secrétaire d’Etat
La République en marche (En marche!) est un mouvement hybride.
Positionné au Centre, il n’est pourtant pas composé uniquement de centristes, loin s’en faut.
Sa victoire éclatante est une première dans la politique.
Reste maintenant à prouver qu’il peut être un parti de gouvernement, ce qui n’est pas gagné d’avance.
En revanche, s’il y réussit tout en gardant son orientation actuelle, alors il pourra être, avec Emmanuel Macron, le symbole de ce nouveau centriste du XXI° siècle que l’on attendait en France et que l’on avait vu à l’œuvre avec Barack Obama aux Etats-Unis, sauf que ce dernier n’avait pas eu dans le Parti démocrate, une LREM américaine dévouée à son entière ambition politique.

Un petit mot sur les «centristes» de LR qui sont les grands perdants avec l’UDI de cet épisode électoral.
Mais en y regardant de plus près, on s’aperçoit que la plupart d’entre eux n’était plus centriste depuis longtemps.

Il y a d’autres questions qui se posent après cet épisode électoral qui a bouleversé le paysage politique français.
Il en est, ainsi, des relations des centristes qui sont au pouvoir.
On a vu que celles qui se sont établies entre En Marche! et le Mouvement démocrate ne sont pas excellentes.
Les pressions de Bayrou sur le président de la république et son parti, ses impairs et ses déclarations où ils se posaient en père de la victoire ont plus qu’énervé les leaders macronistes.
De l’autre côté, le président du MoDem a peu d’estime pour ceux-ci.
Si, aujourd’hui, il n’est pas (encore) question de différends politiques qui remettraient en cause l’alliance entre les deux formations, rien ne dit que cela sera le cas dans six mois, un an, avant ou après, tellement Bayrou est imprévisible.
Mais les relations sont exécrables dès à présent entre les personnalités centristes qui ont soutenu et rejoint Macron.
Ne parlons même pas des relations entre Corinne Lepage qui est à l’origine des problèmes politico-judiciaires de Bayrou et du MoDem – elle n’avait pas accepter les rodomontades du président du MoDem à propos des investitures aux législatives sans oublier un ressentiment du temps où elle faisait partie de ses proches – qui laissent augurer une atmosphère pour le moins tendue entre eux.
Il y a aussi, pour les mêmes raisons, un casus belli entre Jean Arthuis, aussi un ancien proche, et le même Bayrou qui  tout fait pour empêcher les candidats soutenus par l’ancien président de l’Alliance centriste de se présenter et de mettre ses créatures à leur place.
Le tweet qu’Arthuis a envoyé après le deuxième tour des législatives résume à lui seul l’état des relations entre les deux hommes: «La République en Marche dispose d’une majorité à l’Assemblée, sans le MoDem. Maintenant au travail»!
Et puis il y a les anciens UDI qui n’ont pas été très bien servis et qui n’ont aucune sympathie pour le Mouvement démocrate et ses dirigeants.
On compte ici également l’Alliance centriste qui, en tant que parti politique, a également rejoint les rangs de la macronie en quittant l’UDI.
Plus quelques personnalités, dont Jean-Louis Borloo ou Jean-Paul Delevoye, qui l’ont fait titre personnel.
Tout ce petit monde sera difficile à gérer et à faire travailler ensemble.
Et, avec le temps, comme d’habitude en politique, les fortes et irréductibles inimitiés entre membres d’une même coalition se transformeront en conflits plus ou moins ouverts.
De ce point de vue, Macron aura certainement du pain sur la planche.
L’autre question essentielle est de savoir si les centristes ralliés ne vont pas être absorbés petit à petit dans La République en marche.
Si le Mouvement démocrate a gardé son indépendance, il n’a obtenu des députés que parce qu’il présentait ses candidats sous la bannière du mouvement politique d’Emmanuel Macron.
D’un certain côté, cette intégration serait normale et, sans doute, plus rationnelle.
Mais pour être légitime, il faudra que LREM démontre dans le temps que son caractère centriste n’était pas de circonstance.

Pour conclure, le Centre connait une période faste mais qui devrait également aboutir à une recomposition de l’espace centriste où, s’il y aura des gagnants, il y aura aussi des perdants.

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC