mercredi 21 novembre 2018

Actualités du Centre. Bayrou tente la posture du sage tout en critiquant le pouvoir

François Bayrou
Le mouvement populiste des gilets jaunes permet à beaucoup de politiques d’adopter des postures qui, ils l’espèrent, leur donneront plus de visibilité et/ou un gain électoral quelconque.
C’est bien sur le cas des pathétiques Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont Aignan, Laurent Wauquiez (qui est allé jusqu’à organiser une fausse manifestation de gilets jaunes!) et de leurs affidés qui jouent sur le mécontentement et les slogans haineux vis-à-vis d’Emmanuel Macron pour se positionner en défenseur du peuple opprimé que, eux seuls, ont évidemment compris et dont ils veulent être les porte-paroles.
Mais il y en a d’autres qui se targuent également d’avoir compris le sens profond de ce mouvement et qui préfèrent, avec tout autant un désir de récupération, se positionner en sages et en facilitateurs de compromis.
C’est le cas de François Bayrou qui, dans un entretien au Figaro, tente à nouveau un comportement dangereux d’équilibriste en étant, à la fois, un allié et un critique du gouvernement et du président de la république et qui propose ses solutions qui vont à l’encontre des décisions prises et des déclarations faites par le pouvoir.
Plus, il demande «un nouvel acte du quinquennat», estime que les dirigeants ne font que des «injonctions» au peuple et que le gouvernement n’a aucun plan à long terme, tout juste à «30 jours»…
Ce qui permet à nouveau de poser la question: à quel jeu joue Bayrou?

Extraits
- Comment comprenez-vous le mouvement des «gilets jaunes»?
Il y a dans ces manifestations des aspects choquants et inacceptables. Mais il faut comprendre qu'un tel mouvement est un révélateur d'une crise profonde de la société française. Le prix du carburant est un sujet, mais peut-être pas le vrai ni le seul sujet. C'est un élément déclencheur, un détonateur, mais la matière explosive est plus large. Une sorte de sécession de la base de la société contre son prétendu sommet. Cette rupture vient de très loin, de plusieurs décennies, et elle concerne tous les pays démocratiques occidentaux, tous touchés par la mondialisation, le gouffre entre le monde qu'on voit à la télévision et le monde réel, la distance des pouvoirs. Mais c'est plus grave en France, pays unitaire, qui aime l'égalité. 
- Comment se manifeste cette rupture?
De nombreux concitoyens se sentent étrangers aux débats, aux orientations, aux décisions qui sont prises en leur nom mais dont ils ont le sentiment qu'elles sont prises contre eux. Les mots même qui sont utilisés pour décrire la réalité leur sont étrangers. Nous devons entreprendre une remise en cause profonde de la manière dont nous pensons le pouvoir et dont nous l'exerçons depuis trente ans. Il ne suffira pas de dire qu'on ne change rien pour que le mouvement s'arrête. Il faut une redéfinition profonde de la manière d'être et de penser. 
- Le gouvernement met-il de l'huile sur le feu en se montrant inflexible?
La première mission de l'Etat est de faire régner l'ordre. Et de cela nous devons être solidaires. Mais les responsables politiques qui sont les animateurs de notre démocratie doivent aller plus loin. Il leur faut des antennes pour comprendre ce qui se passe. Au travers de tels mouvements, ce sont les courants profonds d'une société qui s'expriment, même là où on ne les attend pas. Ils doivent affronter ce défi d'un pays fracturé, et donc conduire un très gros travail de pensée et d'imagination. C'est ce qui manque le plus.
- Comment y répondre alors?
D'abord il y a le court terme. Une nouvelle étape d'augmentation des taxes sur les carburants est prévue au mois de janvier. Cela mérite que nous y réfléchissions. La trajectoire définie à partir de 2007, sous l'impulsion de Nicolas Hulot, était claire: une augmentation progressive des prix pour conduire à une baisse de la consommation des hydrocarbures. Mais peut-être n'avons-nous pas assez réfléchi au «progressivement». Par exemple, on pourrait reprendre l'idée d'une modulation des taxes en fonction du coût du baril du pétrole, pour que le prix à la pompe ne subisse pas de fluctuations trop pénalisantes. 
- Le premier ministre répète pourtant qu'il ne changera pas de cap.
Le premier ministre défend la ligne du gouvernement dont nous sommes solidaires. Mais une démocratie, ce n'est pas que le gouvernement, c'est aussi un Parlement et des mouvements politiques qui ont la responsabilité d'ouvrir le débat. Si l'on veut que la politique réussisse, il est impératif de ne pas être en rupture avec le pays. Sinon tout se bloque. 
- L'exécutif ne semble pas très réceptif à la main tendue par Laurent Berger. Est-ce une erreur?
Pour répondre à une telle crise, la proposition d'un travail avec les organisations syndicales et les associations est positive. Mais il faut qu'un tel travail soit fait sur le terrain et élargi: il serait souhaitable qu'il implique même - si on peut - des représentants de ceux qui manifestent. Il faut qu'on puisse parler avec la société dans toutes ses composantes. Il ne suffira pas de dire «c'est comme ça et ce n'est pas autrement», car à l'instant même où vous perdez le soutien ou en tout cas l'assentiment de la société, le pouvoir se retrouve paralysé. 
- C'est un risque aujourd'hui?
Depuis des décennies, le pouvoir en France est très endogamique, très souvent technocratique, avec l'idée que c'est, au sommet, dans l'administration et au sein des cabinets qu'on a raison. Or la société ne peut pas fonctionner par injonctions avec des dirigeants qui se tournent vers les citoyens pour dire «c'est ça qu'il faut faire et pas autrement». C'est ce modèle de pouvoir à la française qu'il convient de remettre en question.
- Le président avait pourtant été élu sur un renouvellement des pratiques…
L'élection d'Emmanuel Macron portait cette promesse. Et cette promesse était juste. C'est ce qu'évoquait par exemple la notion de bienveillance. Une bienveillance qui devrait être un devoir de la part de ceux qui se pensent au sommet par rapport à ceux qui, à la base, sont réellement le socle du pays. Une sympathie, une empathie. C'est pourquoi aujourd'hui il est impératif d'ouvrir un nouvel acte du quinquennat qui réponde à cette rupture: un nouvel acte civique, social et populaire.
- Qu'entendez-vous par un «nouvel acte» du quinquennat?
Une réponse à la question: pourquoi sommes-nous un pays où le socle populaire, depuis un quart de siècle, ne comprend plus son État et les dirigeants qu'il a pourtant élus?
- Il faut refaire société?
Société, étymologiquement, cela veut dire compagnonnage. Nous devons retrouver le compagnonnage de bon aloi qui fait que nous ne vivons pas en étrangers les uns avec les autres. On ne peut pas en rester à cette ambiance d'affrontement. Si on commence à y apporter des réponses alors on aura une nation, si on n'apporte pas des réponses il y aura une explosion.
- Les priorités du quinquennat doivent-elles être repensées?
Les priorités sont bonnes, encore faut-il les hiérarchiser et les simplifier. Ce qui me frappe depuis longtemps, c'est que la France vit sans stratégie. La Chine a un plan à 30 ans, la France 30 jours, et encore… Les points saillants étaient apparus pendant la campagne d'Emmanuel Macron: un impératif de répondre à la compétition internationale, la redéfinition de ce qu'est la solidarité en sortant de nos méthodes habituelles, par exemple le dédoublement des classes ou la deuxième chance, l'esprit de responsabilité dans toute la société. Autant d'approches qui ont touché les Français. Maintenant, il faut se servir des événements que nous vivons et qui ne s'arrêteront pas sur un claquement de doigts, pour revenir à l'essentiel. 
- Le clivage «nationalistes contre progressistes» proposé par Emmanuel Macron pour les européennes vous semble-t-il pertinent?
Ces mots ne sont pas les miens. La vérité est qu'il y a un clivage fondamental entre ceux qui pensent qu'en Europe «l'union fait la force» et ceux qui veulent le «chacun pour soi». Si ce sont ces derniers qui l'emportent, ce sera mortel. Des forces colossales sont en œuvre: Trump, Poutine et leurs affidés ne rêvent que d'une chose: que l'Europe se divise. Emmanuel Macron a choisi le vrai mot: l'Europe est la seule garantie de notre souveraineté. 


Actualités du Centre. UDI: de l’«opposition constructive» à la confrontation dure?

Jean-Christophe Lagarde
Au moment même où Alain Juppé affirme que les réformes du gouvernement sont nécessaires et que les taxes carbones sont une nécessité, Jean-Christophe Lagarde, qui se prétend pourtant proche du maire de Bordeaux, se lance dans des diatribes contre ce même gouvernement et semble se diriger vers une confrontation dure, notamment en votant contre le projet de loi de finances en deuxième lecture à l’Assemblée nationale après s’être abstenu lors du premier scrutin.
Tout est sujet à critique du pouvoir selon le président de l’UDI, du budget à la gestion du mouvement des gilets jaunes, en passant par la réforme de la justice, la loi contre la manipulation de l’information, etc.
Selon Lagarde, «nous avons toujours été dans l’opposition à ce gouvernement mais constructifs, ça voulait dire que nous étions prêts à voter des textes quand ils sont bons. Je regrette de voir qu’ils sont de moins en moins bons. Je regrette que le gouvernement, au fur et à mesure que ses difficultés augmentent, écoute de moins en moins. Il devrait faire l’exact inverse.»
Concernant la transition écologique, il estime que le gouvernement l’a «bâtie sur le dos des gens».
Puis de s’en prendre à un pouvoir qui veut «recentraliser la France» et qui n’a aucune considération pour les élus locaux.
Et d’affirmer qu’«il n’y a pas de compréhension s’ils (le gouvernement) ne sont pas capables d’écouter. Ils ne sont plus capables d’écouter».
Cette sortie contre la majorité en place a plusieurs raisons.
La première est cette incapacité du président de l’UDI d’avoir un discours apaisé avec des emportements aussi nombreux qu’inconséquents où il peut s’en prendre aujourd’hui violemment à ce qu’il défendait hier sans que l’on sache quelle est sa position finale.
La deuxième est que l’UDI est dans une situation délicate.
Comme on l’a dit, Alain Juppé et ses proches, en particulier les membres du parti Agir, se rapprochent du pouvoir avec, entre autres, l’entrée au gouvernement de Franck Riester, chef de file d’Agir à l’Assemblée nationale, nouveau ministre de la Culture.
Du coup, non seulement l’UDI se retrouve un peu plus seule mais de plus en plus isolée  dans sa soi-disant «opposition constructive» qui consiste à ne pas voter le budget tout en se lamentant de ne pas avoir de ministre dans le nouveau gouvernement!
De plus, plusieurs députés ont quitté le parti récemment pour aller fonder le nouveau groupe à l’Assemblée nationale, Libertés et Territoires, dont l’ancien président du groupe UDI, Philippe Vigier, et Charles de Courson (tous deux proches d’Hervé Morin).
Cerise sur le gâteau, alors que Lagarde clame partout qu’il veut constituer une liste UDI pour les prochaines élections européennes (un congrès, le 15 décembre, tranchera la question), non seulement, les intentions de vote dans les sondages demeurent ridiculement basses (entre 2% et 4%) mais le parti européen auquel est affilié la formation française, l’ALDE (Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe) a décidé, lors de son dernier congrès de faire alliance avec Emmanuel Macron et La république en marche pour ce scrutin mettant le parti centriste en total porte-à-faux.
La troisième est que l'UDI est de plus en plus inaudible et n’est souvent invitée dans les médias que pour critiquer le gouvernement et le président de la république, ce qui ne fait pas un projet ni un programme politiques.
A nouveau, se pose la pérennité de son existence qu’elle a réussie jusqu’à présent à assurer malgré les aléas divers et variés.
Alors, pour ressouder une formation qui est plutôt un cartel électoral (même si le départ de certains élus a renforcé une certaine homogénéité), quoi de mieux qu’une ligne dure contre un adversaire, qui plus est, le gouvernement.
Mais cette stratégie que Lagarde semble privilégier désormais possède un risque majeur: isoler encore plus l’UDI et ne pas lui rapporter grand-chose politiquement et électoralement parlant.
Ainsi, si un pouvoir centriste échoue, ce ne sera sans doute pas vers d’autres centristes que se tourneront les électeurs.
Car, rappelons que l’UDI, parti qui se dit centriste, est dans l’opposition à une majorité centriste ou, ad minima, centrale.
Une contradiction qui risque de se payer cher in fine.