vendredi 6 février 2009

Actualités – Grande Bretagne

Anthony Giddens : "Il ne faut surtout pas revenir à une dichotomie droite-gauche traditionnelle"


Anthony Giddens, un des théoriciens britanniques de la Troisième voie (Third way) inaugurée par Bill Clinton aux Etats-Unis puis par Tony Blair et son New Labour en Grande Bretagne estime, dans une interview au quotidien Le Monde que la crise économique ne remet pas en question cette voie centriste.

Alors que les gouvernements nationalisent les banques et injectent des millions dans le système financier, la troisième voie reste-t-elle d'actualité ?

Pour moi, la troisième voie n'a jamais été assimilée à un gouvernement, que ce soit celui de Tony Blair ou celui de Bill Clinton. La troisième voie, c'est un label de modernisation de la social-démocratie, au-delà du socialisme et des marchés. Elle a été rendue nécessaire par les changements très importants intervenus dans les années 1980 et 1990 : une mondialisation croissante, une économie des pays développés où l'industrie ne représente plus que 20 % du PIB et le besoin d'une redéfinition des rapports entre l'Etat et les citoyens, qui ne veulent plus se faire imposer des mesures venues d'en haut. Tous les gouvernements qui ont connu un certain succès ont été réformistes et ont cherché la troisième voie. Cela reste d'actualité.

La crise actuelle ne la menace-t-elle donc pas ?

Les gouvernements doivent faire très attention d'éviter deux erreurs. La première serait de revenir à une version traditionnelle de l'Etat et de faire du keynésianisme, alors que le monde a totalement changé. A l'époque de Keynes, la mondialisation n'avait pas eu lieu.

Aujourd'hui, il faut trouver autre chose. Il ne faut surtout pas revenir à une dichotomie droite-gauche traditionnelle. La deuxième erreur, qui nous guette, serait de vouloir trop réduire le rôle des marchés. Nous avons besoin d'eux. Ainsi, la lutte contre le réchauffement climatique passera aussi par les marchés et des instruments financiers complexes, par exemple pour assurer les pays contre des catastrophes naturelles dont les Etats n'ont pas provisionné les dégâts.

Avec la crise du secteur financier, la Grande-Bretagne ne paye-t-elle pas le fait d'avoir tout misé sur les services au détriment de l'industrie ?

Non. L'industrie pèse de moins en moins dans le monde entier. A plus long terme, les technologies vont encore réduire les industries à fort contenu de main-d'oeuvre. Il faut donc continuer à miser sur les services et l'intelligence. Les enjeux liés au réchauffement climatique vont encore renforcer ce phénomène. L'erreur de la Grande-Bretagne n'a pas été de laisser mourir son industrie, mais de donner trop d'importance aux services financiers.

Les travaillistes ont investi énormément d'argent dans le service public, sans progrès remarquables. Fallait-il s'y prendre autrement ?

Le service de santé marche mieux qu'avant, mais c'est loin d'être idéal. En matière d'éducation, les universités ont reçu beaucoup. Mais les réformes du système éducatif n'ont eu, c'est vrai, qu'un succès relatif. Le gouvernement n'a rien fait dans le domaine des écoles privées et il a ainsi entretenu des inégalités fortes. De manière générale, le grand échec de M. Blair, c'est de n'avoir pas su - ou pas pu - réduire les inégalités économiques.

Propos recueillis par Virginie Malingre

© 2009 Le Monde