lundi 26 décembre 2011

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. La démocratie doit proposer un vrai «service public de l’information» indépendant du pouvoir


Savoir et être capable d’utiliser le savoir acquis pour être un citoyen responsable et une personne capable de se prendre en charge et de bâtir sa vie en toute connaissance de cause, voilà une des bases essentielles de notre existence. Voilà une des missions que s’assigne la démocratie républicaine représentative, délibérative et participative. Voilà une tâche au cœur même du projet politique que propose le Centrisme.
Le savoir, qui est constitué d’informations que nous acquérons tout au long de notre vie, est, depuis toujours, un pouvoir. C’est pourquoi, dans les régimes dictatoriaux ou autoritaires, celui-ci est contrôlé, filtré, détourné, utilisé, voire inaccessible, pour permettre la construction d’une réalité tronquée qui sert les dirigeants et une idéologie. Dans les siècles passés, il était réservé à l’élite qui s’était approprié le pouvoir.
Afin d’être capable de vivre libre et de prendre en main sa vie ainsi que de participer aux affaires de la cité, il faut donc savoir et être au courant de ce qui se passe autour de soi. Et ceci vient, entre autres, par les informations relatant les événements qui se déroulent dans le monde, chez nous et ailleurs, que nous recevons grâce à de multiples médiateurs.
Nous devons être informés et nous devons l’être correctement.
Or, ces capacités et cette participation deviennent de plus en plus difficile à exercer dans un monde où nous sommes abreuvés d’informations (au sens basique du terme) venues de partout et de nulle part, de médias, de propagandistes, de communicateurs, de contacts sur les réseaux sociaux du net, etc.
Comme on le dit désormais, trop d’information tue l’information. Et c’est loin d’être une formule creuse.
Ainsi, avoir plusieurs sources d’information pour comprendre et avoir une opinion sur un fait ou une idée est, évidemment, un plus que de n’avoir qu’une source qui pourrait nous manipuler.
C’est même la base de la liberté de la presse qui assure, concrètement, la diffusion de la pensée et de la parole libres, sans quoi la démocratie n’existerait pas.
Cependant, à un certain moment, la multiplication sans fin des sources commence à créer une confusion qui nous éloigne du but recherché, être capable d’utiliser concrètement et rationnellement les informations.
Beaucoup plus grave encore, de plus en plus, ces flux d’informations, dont beaucoup sont aux mains de communicants et de propagandistes et non de journalistes, désinforment et, au lieu d’éclairer le citoyen, le système informationnel et communicationnel brouille les informations et met chacun de nous dans une confusion qui permet à tout démagogue, à toute personne voulant faire passer un message et un peu maligne de prétendre tout et n’importe quoi en étant cru car étant crédible, face à nous, crédules...
Dès lors, au lieu d’être des citoyens responsables, nous ne sommes plus que des consommateurs d’informations incapables d’en tirer une consistance utile et une aide dans notre citoyenneté.
A l’ère de la communication de masse, du «village global», de l’infinité de réseaux informationnels, il semblerait que nous sommes condamnés à vivre dans un monde manipulé de plus en plus virtuel.
Heureusement, cela n’est une fatalité.
Il est bien évidemment hors de question de revenir sous une quelconque forme que ce soit sur la liberté d’expression (d’autant que si c’était le cas, je ne pourrai écrire ce que j’écris en ce moment!). Car le problème de fond n’est pas qu’il y ait une infinité de médiateurs et que chacun raconte son histoire à sa façon (sauf s’il s’agit de mentir ou de diffamer volontairement) mais que ceux qui reçoivent l’information soient capables de la comprendre, de la décortiquer et de faire la différence entre transmission des faits et diffusion de propagande.
Pour cela, le système éducatif doit jouer un rôle de premier plan. Nous ne développerons pas plus cet aspect fondamental qui n’est pas notre propos ici.
Nous devons, d’abord, comprendre qu’il y a des informations essentielles pour que chacun de nous soit un «citoyen éclairé» capable d’agir et de décider en toute connaissance de cause, avec responsabilité et au mieux de ses intérêts, afin que la démocratie ne soit pas seulement un mot sans contenu.
Nous appelleront ces informations, des «informations citoyennes». Celles-ci nécessitent une déontologie renforcée de la part des médiateurs qui les diffusent.
A côté, on trouve des informations qui vont, soit cultiver, soit divertir. Nous les appelleront des «informations loisirs» sans que cela soit péjoratif pour celles-ci. Elles ont une importance évidente dans nos existences mais elles ne sont pas prioritaires et «utiles» pour pouvoir nous déterminer en tant que citoyens.
Les «informations citoyennes» sont celles qui concernent les domaines politique, économique, social, international et scientifique.
Elles doivent faire l’objet d’un traitement éthique. Non pas pour être monolithiques, bien évidemment, mais pour que le citoyen qui recherche une telle information puisse la trouver au moins dans un média sérieux et indépendant.
Il faut qu’elles y soient présentées de la manière la plus factuelle et la plus neutre possibles, diffusées avec le plus d’«objectivité» et le plus de responsabilité possibles de la part du médiateur en question.
Certains estimeront que les propos tenus ci-dessus vont à l’encontre d’une vision libérale de la société.
On peut ainsi arguer quatre objections à la création d’un service public de l’information.
Première objection: Il existe déjà un service public de la radio et de la télévision en France, Radio France et France Télévisions. C’est vrai. Mais ce service public n’a aucune obligation de délivrer uniquement l’information «citoyenne» dont je parlais. Ensuite, il n’a aucune obligation de se cantonner à l’information, qu’elle soit «citoyenne» ou de «loisirs» mais fait également et surtout dans le divertissement, étant en concurrence frontale avec les médias privés. Au fil du temps, il est d’ailleurs plus devenu un service public du divertissement que de l’information. Enfin, il est chapeauté par une autorité de contrôle totalement inféodée au politique.
Deuxième objection: C’est quoi le concept d’«information citoyenne la plus objective possible»? Qui détermine la «vérité journalistique»? Il est vrai que tout médiateur met de la subjectivité, qu’il le veuille ou non, qu’il soit le plus honnête ou le plus malhonnête, dans la transmission de l’information.
Pour autant, les professionnels de l’information ne sont pas dénués, loin s’en faut, d’une conscience et d’une volonté de réellement transmettre le plus honnêtement possible les informations qu’ils ont collecté.
Evidemment, il n’y a pas de «vérité journalistique». Il n’y a qu’une réalité. C’est de celle-ci qu’il faut le plus se rapprocher.
Reste que les manquements de ce service public de l’information seraient plus facilement sur la place publique puisqu’il serait constamment sous le contrôle de tous les autres médias ainsi que des institutions démocratiques et, in fine, des citoyens.
Et il aurait à rendre des comptes sur ces mêmes manquements.
Dès lors, son statut différent des autres médias exercerait une pression plus grande sur ceux qui y travailleraient que le statut des médias privés.
Troisième objection: Comment contrôler l’information et ce service public de manière indépendante et objective?
A cette objection je répondrai qu’un cahier des charges détaillé établira comment exercer un contrôle qui s’attachera essentiellement à ce que les faits soient à la disposition des citoyens, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de rétention d’informations ou de travestissement des faits.
Quatrième objection: C’est la liberté de la presse. La démocratie ne peut être une démocratie que si toutes les opinions peuvent s’exprimer. Ceci est constitutif de la démocratie même si cela recèle de grands dangers. Mais, comme le disait déjà Tocqueville à son époque, il faut savoir accepter les désagréments de la liberté de la presse pour bénéficier de tous ses bienfaits.
A cette objection, je répondrai qu’un service public, géré de manière autonome et se focalisant sur certaines informations ne sera qu’un média parmi d’autres. Il n’a donc aucune prétention à se substituer aux autres médias. Il est là, «en plus» des autres et non pas «à la place» des autres. En outre, il ne sera pas leur concurrent. On le voit bien déjà avec les différentes structures qui existent dans les démocraties. La télévision et la radio publiques américaines n’ont pas vraiment bridé la diversité et la multiplication des médias… Idem en France.
Une cinquième objection peut être faite à l’auteur de cet article qui se prétend centriste et qui est un professionnel de l’information. Le Centrisme c’est avant tout la liberté dans la responsabilité. Un service public de l’information semble aller à l’encontre de cette vision.
D’abord, dans toutes les démocraties, il y a un service public, plus ou moins puissant, plus ou moins indépendant. La Grande Bretagne, loué pour sa démocratie et la liberté de parole, qui possède, en outre, une des presses écrites les plus puissantes du monde, possède un très fort service public audiovisuel avec la BBC.
Il ne s’agit pas de contrôler l’information par l’Etat. Bien au contraire. Il s’agit, simplement, par l’existence d’un service public indépendant de l’Etat, de donner aux citoyens la possibilité de trouver, à côté de la sphère des médias libres, fondement incontournable d’une démocratie, un lieu où est diffusé une information indépendante et neutre, idéologiquement, politiquement, économiquement et financièrement.
Ensuite, un vrai service public est, non seulement, indépendant des puissances financières mais également des puissances politiques et administratives. Il permet donc réellement aux journalistes qui en font partie de travailler avec une seule pression: dire ce qui est sans craindre une censure autre que celle qui s’applique aux mensonges et à la diffamation et une condamnation autre que celle prononcée par les tribunaux pour les mêmes motifs.
On comprend que cette tâche ne sera pas facile à réaliser. Elle ne l’a jamais été et elle le sera de plus en plus dans l’ère de communication globale dans laquelle nous sommes entrés depuis la fin du dernier millénaire. Mais elle doit être entreprise et vite. Plus nous avançons dans cette ère de communication globale, plus nous perdons ce que nous avons gagné lors de l’apparition d’une presse libre.
Ainsi, après avoir été dans l’obscurité et la désinformation, les peuples des démocraties ont conquis le droit d’être dans la clarté et l’information. Ils risquent de retourner dans cette obscurité et voir leurs capacités de discernement détruite par cette masse d’informations qui sème la confusion. Une confusion souhaitée par biens des médiateurs actuels…
Quoiqu’il en soit, ce débat doit être porté sur la place publique et faire l’objet d’une véritable discussion citoyenne afin de prendre les bonnes décisions. Il en va de la démocratie et de la république. Et les centristes devraient en être les principaux initiateurs.