jeudi 12 février 2015

Une Semaine en Centrisme. La stratégie attrape-tout de Juppé, le «modéré» mais «pas centriste»

Alain Juppé vient de célébrer la modération.
«Quand on dit modéré, a-t-il expliqué devant les journalistes de la presse parlementaire, on pense marécage, zone grise. Je ne suis pas d’accord. Montesquieu fait l’éloge de l’esprit de modération, c'est une vertu. Je suis dans cette tonalité. Monter aux extrêmes, c’est la facilité. Il faut beaucoup de courage pour être modéré».
Et de poursuivre: «le grand échec de l’UMP, c’est en 2012, quand les centristes nous quittent».
Sous-entendu, c’est parce que notre candidat à la présidentielle (Nicolas Sarkozy) n’était pas un modéré.
Dont acte.
Mais n’oublions pas qu’il n’y a pas si longtemps il s’est cru obligé d’affirmer qu’il ne faisait pas partie du Centre.
 «Je ne suis pas centriste, avait-il déclaré alors à la télévision en précisant «je ne pense pas que mon discours soit ‘bobo centriste’» car, selon lui, «il n’est pas un filet d’eau tiède».
Sous-entendu, je veux bien des voix centristes mais je suis de droite, pas de cette famille politique… modérée!
Dont acte.
Cette apparente contradiction est en fait le gros problème et le grand défi d’Alain Juppé qui va devoir jongler avec les positionnements politiques et se tenir en équilibre tel un fil-de-fériste au cours des deux prochaines années s’il veut devenir président de la république.
Ainsi, pour résumer, il doit, à la fois, être assez à droite pour les électeurs de l’UMP, assez au centre pour les électeurs du MoDem et de l’UDI, voire assez social pour les déçus du socialisme.
Une stratégie attrape-tout, en somme.
Et la difficulté est qu’Alain Juppé ne peut se reposer sur aucun de ces électorats comme étant acquis à sa cause quoi qu’il arrive.
Cela signifie qu’il devra convaincre sans relâche les trois électorats qui penchent naturellement ailleurs que vers lui en sachant qu’il peut se les aliéner s’il n’est pas assez habile dans son jonglage partisan.
Déjà, à droite, beaucoup crient à la trahison en rappelant que l’ancien premier ministre de Jacques Chirac n’était pas aussi modéré que cela il y a quelques années.
Quant aux centristes, ils sont dans l’expectative même si François Bayrou a déjà fait acte d’allégeance «sauf si».
Sans parler des «déçus du socialisme» dont on ne voit pas le début d’un ralliement pour l’instant.
On l’a compris, Alain Juppé s’est attelé à la tâche de bâtir un grand rassemblement, ressemblant étrangement à l’axe central dont nous parlons ici souvent, allant de l’UMP aux «sociaux-démocrates au Parti socialiste qui n'apprécient pas comment le parti conduit la France et qui sont prêts à envisager autre chose» en passant par les centristes, avec le mot d’ordre «Soyons ouverts!»
Ici, il convient de se demander si Alain Juppé n’est pas en train de rêver à un rassemblement chimérique qui n’a aucune réalité politique aujourd’hui même s’il en a une sociologique, ce qui ne suffit pas à en faire un socle électoral concret pour la prochaine présidentielle.
Et rien ne dit que sa candidature à la candidature ait la possibilité de redessiner le paysage politique français dans le sens de l’émergence de cet axe central avant la date fatidique de mai 2017 même si l’homme est très populaire dans les sondages (François Bayrou l’est également sans que cela se traduise électoralement parlant).
De plus, les contradictions de son positionnement risquent d’apparaître au grand jour plus il avancera dans sa candidature.
Par exemple, sa modération revendiquée ressemble étrangement au positionnement des partis centristes qui ont, selon lui, un discours d’eau tiède, ce qui n’est franchement pas un compliment en politique…
Bien entendu, il vaut mieux du point de vue des électeurs centristes, ce discours compatible avec leurs aspirations que celui d’un Nicolas Sarkozy qui est plutôt compatible avec les thèses du Front national dans bien des domaines.
Pour autant, Alain Juppé est un membre éminent de l’UMP – il est même son fondateur en 2002, missionné par Jacques Chirac – et il n’a pas rejoint les rangs d’un parti centriste avant tout parce qu’il ne partage pas le positionnement et les idées du Centre.
De même, rien n’indique dans ses propos aujourd’hui comment il voudrait gouverner avec les centristes, quelles sont les propositions de ceux-ci qu’il reprendrait à son compte, quelle place il leur accorderait dans son gouvernement ou sa majorité présidentielle.
Tout cela parce que le plus important pour lui c’est de savoir comment il va se positionner au mieux pour être un candidat à la candidature UMP crédible aux yeux des militants et sympathisants de droite.
Comment va-t-il pouvoir, dans le même temps, concilier dans son discours, à la fois, le radicalisme d’une grande partie de l’électorat de Droite et la modération propice à un rapprochement avec les centristes, voire avec les déçus sociaux-démocrates de Hollande, est un mystère que lui-même n’est sans doute pas capable de percer.
Ce qui fait que l’on ne peut, pour l’instant, donner entièrement crédit à son positionnement modéré.
Mais même si on lui accorde le bénéfice du doute et s’il y a évidemment nombre de convergences entre ce positionnement et les positions centristes, il ne veut être et il peut être, pour autant, le candidat qui représentera le Centre, celui qui ne peut être désigné que lors d’une primaire centriste.
Cela dit, on comprend bien au vu de ce que l’on a analysé, qu’Alain Juppé a besoin des voix centristes pour être désigné le candidat de l’opposition républicaine en 2017 face à Nicolas Sarkozy puis pour espérer être un des deux finalistes au second tour et pouvoir l’emporter sur le candidat de gauche ou celui de l’extrême-droite.
Dès lors, sans s’éloigner trop de son positionnement à droite, il va être constamment obligé de tenir un discours «centro-compatible».
Et il faut admettre que, pour l’instant, il y réussit plutôt bien.
Ainsi, sa «modération», c’est être, selon lui, pour des «réformes vigoureuses», tant en matière économique que d’éducation.
C’est également combattre le Front national pour ses «références idéologiques» et son «projet économique aberrant».
Néanmoins, il en faudra plus.
Il lui faudra se positionner sur nombre de questions importantes pour les centristes comme l’instillation d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives et une meilleure décentralisation.
Là où les centristes militent ardemment pour une modernisation indispensable afin que le politique et l’administratif soient mieux en phase avec le pays réel, il a, lui, indiqué lors de son intervention devant les journalistes de la presse parlementaire qu’il est pour un «Etat fort» tout en se définissant comme «conservateur» en matière d’institutions, la position traditionnelle d’un homme de droite étatiste dans la droit fil du gaullisme.
Et il doit encore préciser le contenu de sa refonte de la fiscalité et celui de sa maîtrise des dépenses publiques.
Car le chiraquisme dont il est issu n’a pas réalisé quand il détenait le pouvoir les grandes réformes qui étaient et demeurent absolument nécessaires pour libérer les talents et renforcer la méritocratie notamment en matière économique.
In fine, les centristes seraient bien inspirés s’ils décident de se rallier à Alain Juppé de ne pas prendre pour argent comptent ces serments d’amitiés envers les centristes et ceci parce que le maire de Bordeaux est loin d’être un nouveau venu en politique.
Et son envie d’occuper l’Elysée n’est pas nouvelle, non plus.
En outre, sa carrière politique n’a pas été marquée par la recherche avant tout de la modération et du consensus.
S’il a sans doute évolué, les centristes devront être vigilants et négocier un véritable accord électoral et un solide contrat de gouvernement.
Pour cela, ils seront en position de force s’il présente un candidat unique et commun au premier tour de la présidentielle (ou à une primaire entre lui et le candidat de l’UMP).
La position de Jean-Christophe Lagarde, qu’il vient une nouvelle fois de rappeler, est de tout faire pour avoir un candidat du Centre et elle est sans conteste la meilleure façon de peser d’une façon ou d’une autre sur la reine des élections françaises.
Cette volonté d’être présent à la présidentielle ne vient pas d’égos surdimensionnés de centristes qui telle la grenouille de la fable se croit être un bœuf.
Elle part de l’analyse qu’un courant majeur de la politique française se doit d’être présent à cette élection pour exister.
Les dernières déclarations d’Alain Juppé devraient d’ailleurs renforcer cette conviction tant à l’UDI qu’au MoDem.
Ainsi, dans une interview au quotidien régional Sud Ouest, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac explique que l’UMP ne doit pas s’enfermer entre le Front national et «un centre à qui elle refuse d’ouvrir la porte» en précisant de manière très imprudente et totalement fausse que Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin étaient à l’UMP avant de fonder l’UDI!
Soit Alain Juppé ne connait pas ses fondamentaux politiques, et c’est grave pour lui, soit il a décidé d’annexer le Centre à son corps défendant à sa stratégie, et c’est un bon rappel pour les centristes que les sourires et les accolades qu’ils recevront, tant à droite qu’à gauche, au cours de ces deux prochaines années ne seront pas forcément mues par une sincère amitié…
Dans la même interview, Alain Juppé tente également de culpabiliser l’UDI en indiquant que si celle-ci présente un candidat au premier tour de la présidentielle, le second opposera un candidat socialiste et un candidat du Front national.

Une pression qui ne faiblira pas jusqu’à la décision des centristes de présenter ou non un candidat et qui, elle aussi, est loin d’être amicale!

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC