mercredi 11 août 2021

Vues du Centre. Afghanistan, la première faute du centriste Biden?

Par Aris de Hesselin

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Aris de Hesselin est un avocat international, centriste et un européen, défenseur d’une mondialisation humaniste.

Joe Biden

Le départ précipité de l’armée américaine d’Afghanistan semble être, au vu des combats qui se déroulent actuellement, un désastre pour le pouvoir en place à Kaboul et une voie royale pour le retour au pouvoir des Talibans, ceux-là même qui, en hébergeant Oussama Ben Laden et son organisation terroriste, Al Qaida, avait permis la destruction des deux tours du World trade center à New York et la mort de près de 3000 personnes.

Parce que c’est bien la raison pour laquelle les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France, ont déclenché une guerre pour chasser ces obscurantistes du pouvoir et tenter de mettre, à leur place, un système démocratique.

Si l’éviction des Talibans fut une réussite – ils fuirent comme des lapins en quelques semaines –, la mise en place d’une démocratie a été un échec pour de multiples raisons dont l’incapacité des politiciens afghans – plus chefs de clans qu’hommes d’Etat –  de respecter la légalité tout en empochant les milliards de dollars déversés par la communauté internationale pour mettre la plus grande part dans leurs poches.

Au bout de vingt ans, le constat est donc là et il est évident que n’importe quel dirigeant étranger ayant soutenu ce régime corrompu et incapable de sortir le pays de son sous-développement, aurait fait ce que Joe Biden a fait, quitter ce bourbier où les Américains n’avaient plus rien à faire et à gagner depuis belle lurette.

Le président américain a déclaré qu’il ne regrettait pas sa décision de retirer ses troupes et a rappelé fort opportunément que son pays avait dépensé plus de 1000 milliards de dollars en vingt ans pour aider les Afghans avec de maigres résultats tant ceux-ci ont été incapables de construire un Etat de droit moderne, sans oublier les plus de deux mille morts de soldats étasuniens.

Il a ajouté que le comportement des troupes afghanes par rapport aux sommes englouties pour les former et les équiper n’était pas la hauteur et a exhorté les leaders du pays à s’unir et à se battre ensemble pour leur nation et pour eux-mêmes.

Ajoutons que les Etats-Unis n’ont historiquement rien à faire en Afghanistan et s’y sont retrouvés parce que cet Etat était terroriste et les avait attaqués.

Dès lors, vu des Etats-Unis, cette décision est normale et logique, elle aurait du être prise depuis longtemps, seule l’incompétence et prévarication des dirigeants locaux ayant repoussé l’échéance que Barack Obama voulait honorer dès 2009…

Oui, mais voilà, cette décision de quitter l’Afghanistan n’est pas neutre pour bien des gens à commencer par tous les habitants du pays qui ne veulent pas du retour des Talibans et de leurs violences dictées par un islam obscurantiste, et ils sont majoritaires.

Ces derniers sont donc les principaux perdants de ce désengagement américain et beaucoup d’entre eux vont souffrir et sans doute mourir si les Talibans reprennent le pouvoir.

Déjà des massacres et des atrocités ont lieu dans les zones qu’ils occupent.

Petite parenthèse, actuellement les «victoires» des Talibans sur le terrain ne sont pas significatives et le réel affrontement avec l’armé afghane n’a pas encore commencé, nombre d’analystes estimant que leur avancée actuelle ne dit rien de ce qui va se passer dans les mois à venir.

Et puis il y a la possibilité que l’Afghanistan redevienne cette base qu’elle fut avant l’intervention américaine pour les terroristes.

Pour l’instant, les Talibans n’ont pas intérêt à cela d’autant que le pays a besoin de l’aide économique mondiale pour survivre et qu’elle vient essentiellement des pays occidentaux et de leurs alliés.

Mais il ne faut pas s’y méprendre, les Talibans sont des idéologues qui ont la même vision d’un Islam conquérant que celui d’Al Qaida et de Daesh.

En partant, Biden a également refilé la patate chaude aux voisins de l’Afghanistan, à la Russie, à la Chine, à l’Inde, à l’Iran (je ne parle pas du Pakistan qui est l’allié principal des Talibans) qui vont avoir à leur frontière ou à proximité un régime qui va les menacer en armant les terroristes islamistes qui agissent sur leur sol.

Dès lors, ce sera à eux d’être les gendarmes de la région alors même qu’ils ont joué au feu jusqu’à présent.

Déjà, les Russes et les Chinois s’investissent.

Malheureusement, cela n’augure pas d’un Afghanistan démocratique.

Alors, faute ou pas de la part de Joe Biden?

Vu des Etats-Unis, sans doute pas même si certains pointent les risques du désengagement.

Mais, pour l’instant, rien ne dit que si les Talibans reviennent au pouvoir, ils menaceront directement les Américains.

En revanche, pour la stabilité de la région et, surtout, pour la population afghane, si on ne peut encore parler de faute, le pari est hautement risqué.

Et si la population paye le prix fort, cela rappellera un fâcheux précédent, celui du départ du Vietnam qui occasionna ensuite l’effondrement du Sud-Vietnam et le phénomène des boat people mais aussi une situation ressemblant fort à ce qui s’est passé il n’y a pas si longtemps sur le territoire contrôlé par Daesh.

Là, la faute sera humanitaire mais sera-t-elle pour autant imputable à Biden?

N’est-elle pas plutôt collective avec des responsables bien plus évidents comme le régime pakistanais qui n’a cessé de jouer la politique du pire alors même qu’il aurait pu faire en sorte de réduire à presque néant leur capacité à nuire?

Aris de Hesselin