lundi 11 avril 2016

Actualités du Centre. Le Centre de Bayrou n’est pas celui de Lagarde

François Bayrou & Jean-Christophe Lagarde
La revue Charles vient de sortir son numéro du mois d’avril avec un dossier sur le Centre en France avec des interviews de François Bayrou et de Jean-Christophe Lagarde.
Ceux-ci donnent leur définition du Centre qui n’est pas la même et diffère totalement quand Bayrou évoque la somme des individualités et que Lagarde parle de l’humanisme comme un holisme, faisant au passage un terrible contresens puisque la base de l’humanisme est l’humain, chaque membre de la communauté humaine et non sur cette entité qui le regroupe, la société.
Même ses références assumées, la démocratie chrétienne et le solidarisme de Léon Bourgeois reconnaissent le rôle central de l’individu.
De même, son explication selon laquelle il n’y aurait pas de centre-gauche est pour le moins fumeuse.
Les deux leaders centristes sont plutôt d’accord pour estimer le Centrisme est un pragmatisme et qui cherche à se confronter avec la réalité pour trouver des solutions et non à bâtir des chimères irréalisables comme les idéologies clientélistes de droite et de gauche.
Quant aux personnalités qui incarnent le Centre, François Bayrou a un panthéon assez étonnant puisqu’il y met Pascal, Montaigne et… Henri IV!
Ajoutons qu’il parle de Montesquieu également qui, lui, est bien une référence centriste indiscutable.

Extraits des interviews:

- François Bayrou
Comment définiriez-vous cette idée du Centre en politique? Le Centre est-il, comme le disait François Mitterrand, « ni à gauche, ni à gauche »? Ou encore « ni-ni »: ni à gauche, ni à droite?
Sûrement pas. Le Centre doit se définir positivement, et non pas négativement. Le Centre est d’abord un idéal. En vérité, tout choix politique qui dure est d’abord un idéal. L’opportunisme ne dure pas. Le Centre est une vision du monde et de l’histoire, qui a ses racines dans la pensée de Pascal, de Montaigne, de Montesquieu, et se rattache à de grands choix historiques comme celui que conduisit Henri IV avec l’édit de Nantes. Pascal, parce qu’il a défini avec sa thèse de la « distinction des ordres », une société qui ne peut plus être soumise à un pouvoir unique: ni le seul pouvoir religieux, ni le seul pouvoir politique, ni le seul pouvoir scientifique. Ainsi l’être humain n’est plus soumis à une autorité totale, il retrouve sa liberté de penser, de croire, sa liberté civique. Montaigne, parce qu’il refuse d’être entraîné dans les sectarismes, dans la guerre des clans, et qu’il cultive la modération. Montesquieu, parce qu’il sape les fondations du pouvoir absolu. Et Henri IV parce qu’il fait entrer tout cela dans la réalité de la vie d’un peuple, en arrachant la France aux guerres de religion, et en affirmant qu’on peut avoir les mêmes droits, même si l’on n’a pas la même religion.
Cela, c’est pour la philosophie et pour l’histoire. Mais pour l’économie politique, qu’en est-il du centre ?
Le Centre, par pragmatisme, par observation de la réalité, ne croit pas à l’économie dirigée. Il ne croit d’ailleurs à aucun dirigisme. Il doute absolument qu’une autorité centrale puisse remplacer les millions d’imaginations individuelles, qui dans le monde de la recherche ou de l’entreprise, font avancer la société. Il faut donc une société qui libère et soutienne la créativité, le risque, l’innovation. Le rôle de l’Etat est de créer les conditions de cette créativité, en libérant les citoyens, les familles, les entreprises, les associations, de la bureaucratie étouffante. La démocratie doit aussi rappeler sans cesse que ce que nous avons à défendre, ce n’est pas un modèle économique, c’est un projet de société, et c’est même le tissu d’une société qui doit être équilibrée pour être durable.
Vous dites « projet de société » ?
Le Centre combat la fracture systématique des pays et des sociétés. Il recherche l’unité d’un pays, et il refuse donc la fatalité des dominations de classes ou de castes. Il écarte le «chacun pour soi», et notamment il s’oppose aux sociétés d’inégalités galopantes, à l’intérieur d’un même pays comme à l’échelon international, que la société de marché tend à fabriquer, à favoriser et à justifier. Son besoin de solidarité promeut l’émancipation et non l’assistanat. Celui qui a dit au déshérité: «Ma mission n’est pas tant de te donner du poisson que de t’apprendre à le pêcher» était dans cette conviction. Le Centre défend l’idée que nous sommes tous responsables de la société dans laquelle nous vivons. C’est même notre définition de la démocratie qu’a, une fois pour toutes, formulée Marc Sangnier: «La démocratie est l’organisation sociale qui porte à son plus haut la conscience et la responsabilité du citoyen.» Les deux mots sont importants, «conscience» suppose éducation, culture, liberté de l’information; et «responsabilité» suppose participation du plus grand nombre à la décision. C’est pourquoi le modèle de société que nous défendons fait une place si importante aux associations et aux mutuelles, qui reposent sur la participation active des individus qui autrement seraient isolés par rapport à la vie civique, sociale ou économique. On veut un modèle de résistance à la puissance des puissants.

- Jean-Christophe Lagarde
Vous êtes, depuis 2014, président de l’UDI. Vous faites partie de cette famille centriste, cet espace politique assez obscur, souvent caricaturé. Quelle est votre définition du Centre?
C’est le refus de concevoir des réponses politiques avec des a priori. Le seul a priori chez un centriste, c’est : «Je ne vais pas répondre à la question en fonction de la personne qui me la pose, je vais le faire en fonction du problème lui-même.» Ce n’est pas un mode de lecture automatique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de corpus et de ligne, mais que les choses sont adaptables. C’est une grande prise en compte de la réalité, de ce qu’on voudrait que le monde soit. Contrairement à ce que les gens pensent, ce n’est pas un peu de droite et un peu de gauche. Le Centrisme est basé sur deux valeurs : le fédéralisme et l’humanisme. Le fédéralisme considère que la construction sociale fonctionne mieux de façon ascendante. En partant d’un ensemble réduit qui s’associe dans un ensemble plus grand. C’est la commune qui a besoin d’une région, la région qui a besoin de la nation, la nation qui a besoin du continent européen.
Concernant l’humanisme, c’est un principe plutôt consensuel, l’ensemble de la classe politique s’y réfère aisément…
Oui, mais c’est une imposture ! Ils volent une idée de notre famille politique. L’humanisme considère que le groupe social auquel vous appartenez sera plus important que vous-même. L’humanisme considère que les règles sociales doivent d’abord être centrées sur la capacité qu’on donne à chacun à se développer et donc à se tourner ensuite vers les autres. La personne ne peut pas s’épanouir si on ne prend pas en compte qu’elle fait partie d’une communauté. Je suis citoyen de ma ville, je suis acteur de ma région, de ma nation. Et je fais partie d’un continent, qui doit défendre son mode de vie, sa civilisation face aux autres.
On parle généralement du centre droit et du centre gauche. Pour vous, y a-t-il un Centre ou plusieurs centres?
Je pense qu’il existe un centre droit, mais qu’il n’existe pas vraiment de centre gauche. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de personnes de gauche centristes. Je vais reprendre la formule de François Mitterrand qui disait : «Un centriste est quelqu’un qui n’est ni de gauche, ni de gauche.» La réalité c’est que quand un centriste se dit à gauche, la gauche lui demande d’abord d’être de gauche et pas d’être centriste. Ce qui n’est pas le cas à droite. Ils ont adopté une tactique différente : à la création de l’UMP, en 2002, ils ont même voulu faire croire qu’ils étaient la droite et le centre, alors qu’en réalité ils ne sont que la droite! Ils ont essayé d’absorber, mais pas de nier. À gauche, on dit «je suis de gauche», c’est une expression, une tonalité particulière, que je trouve toujours touchante, mais un peu ridicule. Ce qui ne veut pas dire que les radicaux de gauche ne sont pas du centre. La seule différence c’est qu’ils ont adopté l’alliance avec les communistes et que leurs circonscriptions sont plutôt de tradition de gauche. Le Parti radical de gauche est de gauche mais a été frappé par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui a été construit contre le centre. De Gaulle a interdit la tripartition de la vie politique, en la fracturant en deux.