vendredi 30 septembre 2016

Une Semaine en Centrisme. Les centristes sont-ils des progressistes et Macron un centriste?

Macron, Bayrou, Lagarde, Morin, tous progressistes, tous centristes?
Il faut se méfier des étiquettes.
Quand Emmanuel Macron estime que le réel clivage aujourd’hui en politique est entre les progressistes et les conservateurs et non plus dans l’ancienne confrontation entre la Gauche et la Droite, il dit vrai tout en caricaturant à l’extrême le débat des idées dans cette opposition simple voire simpliste.
D’abord parce qu’il faut s’entendre sur les termes employés (nous ne parlerons pas ici du courant conservateur anglo-saxon structuré autour de la théorie d’Edmund Burke, voire David Hume, support des Tories en Grande Bretagne).
Si être progressiste c’est vouloir que les choses aillent de l’avant et qu’être conservateur c’est vouloir qu’elles restent en l’état ou qu’elles retournent parfois en arrière, on ne peut pas dire que cette distinction apporte beaucoup de clarté.
En effet, peu de politiques font de l’immobilisme leur profession de foi et veulent que rien ne bouge même ceux qui se disent conservateurs.
Ils veulent aller de l’avant mais pour défendre des thèses et mettre en place des mesures qui confortent une vision d’une société qui doit demeurer ancrée sur ses fondamentaux qu’ils ont définis comme intangibles et qui sont différents d’un conservatisme à l’autre.
Quant aux progressistes, tout dépend ce qu’ils appellent aller de l’avant.
Est-ce améliorer l’existant ou le transformer radicalement, réformer ou révolutionner et qu’est-ce qu’il faut changer ou pas?
Si l’on en reste à cette distinction assez large entre progressistes et conservateurs qu’emploie généralement Macron, alors on peut dire que tout le monde est à la fois progressiste et conservateur.
Un exemple: les centristes sont des réformistes et à ce titre ils veulent dans une sorte de mouvement perpétuel améliorer une démocratie républicaine pour qu’elle remplisse correctement son rôle auprès des citoyens.
Dans ce réformisme, ils souhaitent ajuster constamment la société à son temps pour la rendre meilleure mais ne sont pas pour céder à tous les effets de mode qui pourraient remettre en cause les valeurs et les principes humanistes sur lesquels cette démocratie républicaine se fonde.
Dès lors, leur réformisme est bien un progressisme qui s’appuie sur la volonté de conserver un système politique considéré comme le meilleur possible.
Maintenant, si le progressisme c’est «être de son temps», c’est-à-dire être dans l’action émancipatrice de toutes les lourdeurs du passé et lutter contre tous les «conservatismes», c’est-à-dire tous les blocages politiques, économiques et sociétaux qui empêchent la modernisation indispensable de la société, alors, dans ce cas, Macron a raison d’opposer les deux attitudes et les centristes sont bien des progressistes et pas des conservateurs.
Un exemple: pour permettre à la société française de s’adapter au monde qui l’entoure, il faut des mesures de libéralisation en matière de travail, non pas parce que cela colle à l’ère du temps, ni parce que cela fait apparaître dynamique ou à la remorque d’une «mondialisation des financiers» mais parce que cela est absolument nécessaire si l’on veut lutter contre le chômage et retrouver de la croissance.
Ici, les conservatismes, ce sont toutes les situations acquises et qui n’ont plus lieu d’être dont la plupart, en plus, créent des inégalités injustifiables.
De même, le mouvement d’émancipation des femmes et celui de certaines communautés qui étaient discriminées sans oublier une montée en puissance – pas assez vigoureuse malgré tout – des droits des enfants, sont progressistes car ils se justifient par une recherche de liberté et d’égalité dans la sécurité qui sont bien les promesses de la démocratie face à de vieux réflexes qui veulent conserver une situation qui n’a aucune légitimité autre que de se perpétuer au profit de quelques uns et d’une vision rétrograde de la société.
En revanche, les lignes de partage entre progressisme et conservatisme ne sont pas toujours aussi claires et les luttes de lobbies peuvent brouiller totalement les cartes.
Dans le débat autour du mariage pour tous, interdire le mariage des homosexuels est une position conservatrice qui s’appuie, en plus, sur une vision idéologique de la société et non sur une soi-disant «nature» qui serait bafouée.
En revanche, le débat sur l’adoption d’enfants par les coupes homosexuels qui était sous-tendu par celui du mariage homosexuel posait une tout autre question qui ne se résumait pas à ce que les «progressistes» soit pour et les «conservateurs» soit contre.
En l’occurrence, bien des progressistes étaient contre ou, à tout le moins, très enclins à demander de conserver la situation tant que l’on n’avait pas démontré que cette adoption n’allait pas à l’encontre du bien être de l’enfant et n’ouvrait pas la porte à des pratiques encore plus discutables.
Et ceux qui se paraient du progrès positif contre l’affreuse conservation réactionnaire n’étaient souvent que des membres de lobbies qui luttaient pour leur propre cause, voire seulement leur propre idéologie sans se préoccuper le moins de monde des droits et du bien être des enfants.
Pour en revenir à Macron et aux centristes qui semblent partager ensemble une vision du progrès, en tout cas qui refusent d’être des conservateurs, c’est-à-dire ceux qui ne veulent pas réformer la société pour améliorer le sort de ses membres, ce n’est évidemment pas le «ni gauche, ni droite» ou le «et gauche, et droite» qui doivent être les devises de leur action.
Si le leader d’En marche, au lieu de voir dans le Centre un rendez-vous de modérés, se penchait sur le Centrisme, il verrait que cette pensée politique est basée sur l’humanisme et qu’elle défend des valeurs et des principes sur lesquels s’appuie un progressisme positif par la réforme.
Il verrait également que la notion fondamentale de cet humanisme est le juste équilibre, c’est-à-dire, pour la question qui nous occupe ici, qu’il ne sacrifie pas ce que nous avons construit de bien et de fort à des volontés gesticulatrices de changer pour changer.
Dès lors, lorsque dans un entretien au magazine Marianne il déclare que «l'objectif d'En marche est de réunir des gens venant de la gauche ou de la droite et qui ne se satisfont pas de leur engagement actuel, et des personnes sans engagement politique issues de la société civile», cette affirmation est une coquille vide qui ressemble à une sorte d’union nationale ad minima comme peut la défendre parfois François Bayrou.
En réalité, mais il ne veut ou ne peut pas le dire parce que cela rétrécirait aujourd’hui son espace politique, c’est que son projet est centriste, issu essentiellement du Centrisme qu’il ne faut évidemment pas confondre avec les pratiques des partis ou les hommes et les femmes politiques qui se disent centristes et qui sont souvent éloignées de l’idée du Centre quand ils ne sont pas de simples opportunistes.
Un Centrisme qui, bien évidemment, serait capable d’attirer à lui toute une frange d’une population qui en est proche mais qui demeure encore positionnée sur ce clivage réducteur gauche-droite ainsi que des modérés de droite et de gauche.
Toujours dans Marianne, Emmanuel Macron liste les «cinq grands défis (qui) nous sont posés»: «la transformation de notre modèle productif qui nous fait passer d'une économie de rattrapage en crise à une économie de la connaissance et de l'innovation intégrant les transitions numériques et environnementales; la question des inégalités qui fracturent l'ensemble des sociétés occidentales et émergentes; notre rapport à la mondialisation; la construction d'une souveraineté européenne; la définition d'une société ouverte dans un monde incertain et donc l'articulation entre liberté individuelle et sécurité».
Mais, monsieur Macron, ce ne sont pas des «grands défis (qui) fracturent profondément la gauche et la droite», ce sont des défis centristes...

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC