vendredi 29 janvier 2016

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. De l’intellectuel centriste

Néo-gauchistes bien-pensants contre néo-réactionnaires identitaires, il parait que c’est le nouvel affrontement de la scène intellectuelle française actuelle (*).
Avec, à la marge, tous les catastrophistes qui viennent annoncer la fin du monde toute proche et qui se recrutent tant à droite, chez les néo-réactionnaires qu’à gauche, chez les néo-gauchistes.
Scène est le terme qui convient le mieux tant tous ces «engagés» squattent les médias, leur milieu naturel d’existence et de reproduction, notamment les audiovisuels (même ceux qui disent le contraire uniquement parce qu’ils sont moins invités que les autres…).
D’un côté, tous ceux qui, du marxisme au catholicisme de gauche, ont décidé de se positionner près des damnés de la terre de tous poils, enfin de ceux qu’ils ont identifiés comme tels, et de fustiger l’Occident qui serait le diable ou, au moins, un de ses acolytes, responsable du dysfonctionnement de la planète et de tous les drames qui s’y passent, du terrorisme islamiste aux migrants qui se noient dans la Méditerranée au large de la Grèce ou de l’Italie en passant par le réchauffement climatique et les soubresauts de la globalisation économique.
De l’autre côté, tous ceux qui, du nationalisme au conservatisme revanchard ou nostalgique, ont pris le parti de dénoncer toute modernité, d’appeler à l’ordre et au réveil d’une conscience occidentale soi-disant anesthésiée par une mondialisation culturelle létale pour les «vraies» valeurs.
Entre ces néo-gauchistes bien-pensants et ces néo-réactionnaires identitaires, nous sommes sommés, pauvres citoyens «de base», de choisir notre camp.
En quelque sorte Le Monde contre Le Figaro, L’Obs contre Point, Libération contre Valeurs Actuelles.
Et si l’on ne choisit pas, on est catalogué par un bord comme étant de l’autre et réciproquement…
Sauf que…
Sauf que, le plus extraordinaire, c’est que des ponts existent plus qu’on ne le croit entre ces deux univers qui semblent se faire la guerre à mort.
Car, ils ont un ennemi commun: la démocratie républicaine consensuelle et ouverte qui s’appuie sur les valeurs humanistes.
Des deux côtés, il n’y a pas de mots assez durs pour celle-ci accusée d’être au service de tous les «méchants» et, croyez-moi, ils sont nombreux pour ces gens-là, à la mesure de leurs ambitions médiatiques.
Dans ce maelström souvent indigent, insipide et indigeste, où est l’intellectuel humaniste, c’est-à-dire l’intellectuel centriste, ce défenseur et promoteur de la démocratie républicaine humaniste?
Rappelons que les racines centristes en France viennent du libéralisme, de la démocratie chrétienne et du radicalisme.
Cela devrait permettre d’avoir une palette assez large d’intellectuels centristes.
Or, pas du tout: la plupart des intellectuels libéraux font allégeance à la droite, comme ceux de la démocratie chrétienne.
Quant à ceux du radicalisme, quand ils existent (!), ils ont plutôt tendance à pencher à gauche, laïcité oblige.
L’intellectuel centriste qui devrait être un mix de ces trois courants et de l’humanisme qu’ils représentent est donc difficile à trouver ou à identifier.
Bien entendu, on pourrait choisir quelques compagnons de route des médias qui se présentent plus ou moins comme tel mais ils sont plutôt des supercheries en la matière.
A défaut de pouvoir en trouver, qu’est-ce qu’au fond un intellectuel centriste?
C’est un penseur qui est libre d’abord, libre de toute construction a priori et de tout effet de manche extrémiste et/ou réductrice qui a cogité la bonne formule ou la posture qui fait polémique pour attirer l’attention médiatique.
Son problème n’est pas d’inventer des chimères, ni de rêver du grand soir improbable (ou criminel) ou d’un âge d’or à retrouver, qui n’ont jamais existé, l’un et l’autre, que dans les fantasmes puérils de ceux qui les inventent.
Son matériau, à l’intellectuel centriste, c’est le réel et c’est l’humain, la personne qu’il faut respecter et émanciper pour qu’elle prenne sa vie en main et sa place dans une communauté humaine tolérante et solidaire à la mesure de ses capacités.
Ce ne sont pas les idéologies mortifères qui créent l’affrontement.
Mais l’intellectuel centriste n’est pas un naïf qui vit dans un monde qui n’existe pas, il laisse cela à l’intellectuel néo-gauchiste ou néo-réactionnaire.
Il est conscient des dangers qui menacent quotidiennement la liberté ou l’égalité, la planète ou l’économie, par exemple.
Il sait que toutes les avancées humanistes au cours de siècles doivent se défendre et que l’on n’a rien sans effort et sans capacité à se mobiliser pour préserver tous les acquis positifs.
Cependant, il sait que la démocratie républicaine – qui puise ses sources, comme je l’ai dit plus haut, tant auprès du libéralisme, de la démocratie chrétienne et du radicalisme – doit être réformée sans cesse, non pour le plaisir de le faire mais pour l’adapter au monde en continuelle évolution afin d’en établir, d’en préserver ou d’en rétablir le juste équilibre.
L’intellectuel centriste n’est pas, à l’inverse des néo-gauchistes et des néo-réactionnaires, des directeurs de conscience.
C’est la liberté qui le lui interdit et qui transcende son message pour que celle-ci conquiert toujours plus de nouveaux territoires mais dans le respect de l’autre.
Le respect de l’autre est d’ailleurs un fondement essentiel de la pensée sur laquelle il s’appuie.
Ce respect qui, s’il existait vraiment, changerait la société et les rapports humains en profondeur avec un lien social revigoré et revitalisé.
Il le promeut donc tout en sachant dans le monde dans lequel il vit qui, tant qu’il ne sera pas respectueux, a besoin de droits et de devoirs, surtout de cette sécurité que doit assurer l’Etat (et plus globalement la communauté mondiale avec ses organisations transnationales) envers ses citoyens.
Enfin, l’intellectuel humaniste aura toujours plus de mal à se faire entendre car il ne parle pas par slogans publicitaires et n’utilise pas toutes les ficelles de la propagande qui réussissent si bien à l’intellectuel néo-gauchiste bien-pensant et à l’intellectuel néo-réactionnaire identitaire.
Mais si c’est un réel handicap, c’est aussi tout l’honneur d’un intellectuel.


(*) Né lors de l’affaire Dreyfus et la publication dans l’Aurore du «J’accuse» en 1889 d’Emile Zola, l’intellectuel français n’a, depuis, cessé de défrayer la chronique.
Selon la définition du Centre nationale de ressources textuelles et lexicales du CNRS, c’est une «Personne qui, par goût ou par profession, se consacre principalement aux activités de l'esprit».
De manière plus spécifique à notre propos, selon Wikipédia, l’intellectuel «est une personne dont l'activité repose sur l'exercice de l'esprit, qui s'engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs, qui n'assume généralement pas de responsabilité directe dans les affaires pratiques, et qui dispose d'une forme d'autorité».
Sans oublier que l'intellectuel «est une figure contemporaine distincte de celle plus ancienne du philosophe qui mène sa réflexion dans un cadre conceptuel.»
Même si, évidemment, un philosophe peut faire «profession» d’intellectuel.