samedi 25 août 2012

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Les Etats-Unis à la recherche du consensuel et centriste «conservatisme libéral» perdu


Nombre de médias américains et leurs éditorialistes vedettes se désolent actuellement de la disparation de cette Amérique idéale des années d’après-guerre où, selon eux, régnait un consensus entre les partis mais aussi dans la population qui faisait dire aux plus optimistes de l’époque qu’il n’existait pas de lutte des classes aux Etats-Unis, une affirmation très exagérée qui a pourtant traversé le temps.
On ne peut comprendre cette nostalgie développée depuis cinq ans et le début de la Grande Récession si on oublie que ce fut une période de plein emploi, de croissance forte et d’une croyance partagée sur l’avenir radieux d’un monde sous leadership américain.
Seule la menace de l’Union soviétique et d’un nouveau conflit mondial tempérait l’optimisme d’alors.
Mais, comme le pointait déjà il y a 35 ans l’historien Godfrey Hodgson (*), cette période idyllique, si elle exista vraiment, ne dura que quelques courtes années, de 1954 à 1963, voire jusqu’à 1965.
Pour la caractériser, Hodgson parlait «de conservatisme libéral» mais l’inversion des deux termes était également exacte.
Il consistait dans une quasi-unanimité de la classe politique sur la manière de gouverner le pays, caractérisée, notamment, par la décision du républicain Eisenhower de valider les réformes et les avancées sociales réalisées par le New Deal du démocrate Roosevelt.
En cette année 2012, alors que s’ouvre ce week-end la Convention républicaine qui va officialiser la candidature de Mitt Romney à la prochaine présidentielle avec son colistier Paul Ryan, on est vraiment très loin de ce consensus avec les positions prises par le parti sous l’impulsion du Tea Party, mouvance de la droite extrême et réactionnaire dont la naissance a suivi de près l’élection de Barack Obama en 2008.
Tellement loin que l’éditorialiste centriste Thomas Friedman, dans le New York Times, vient de souhaiter ardemment qu’il y ait à nouveau de vrais conservateurs à la tête du Parti républicain pour prendre des positions réalistes et des décisions urgentes sur les problèmes-clés en concertation avec les démocrates.
Car la formation d’Abraham Lincoln et de Theodore Roosevelt ne compte désormais plus guère que des radicaux de plus en plus durs.
Les quelques modérés restants qui ont réussi à survivre sont perdus dans un tourbillon réactionnaire qui les vilipendent sans cesse.
Une situation qui n’est pas sans rappeler l’élection présidentielle de 1966 où le républicain d’extrême-droite et revendiquant son extrémisme sans états d’âme, Barry Goldwater – qui demeure toujours une icône pour les membres du Tea Party -, se fit battre à plate couture par le démocrate Lyndon Johnson.
Après cette Bérézina, les républicains s’étaient recentrés assez vite avant de se radicaliser à nouveau sous l’ère Ronald Reagan sans pour autant que ce dernier ne détruise une politique bipartisane traditionnelle lorsqu’il se rendit compte que les idéologues de la droite extrême qui le conseillaient étaient en train de conduire le pays dans le mur (les mêmes qui sont les inspirateurs des politiques prônées par Paul Ryan et reprises à son compte par Mitt Romney…).
Une défaite des républicains aux élections du 6 novembre (présidentielle, législatives et sénatoriales) serait une énorme gifle pour les radicaux et une opportunité pour les modérés et les conservateurs de reprendre les rênes du parti.
Quoiqu’il en soit, ce serait une excellente nouvelle pour le pays qui doit, d’ores et déjà, faire face à de nombreux et gigantesques défis.
Le blocage politique voulu par les républicains pour faire de Barack Obama un «one term president» (le président d’un seul mandat), est extrêmement dommageable pour l’ensemble de la population.
En refusant les réformes absolument indispensables afin d’éviter une nouvelle crise profonde dans de multiples secteurs allant de l’économie à l’éducation en passant par l’immigration et la santé, sans oublier les finances publiques, ils font prendre un énorme risque à leur pays.
Pour que revienne ce «conservatisme libéral» dont le fondement est l’acceptation que, dans une économie de marché, l’Etat a un rôle à jouer, notamment pour faire les ajustements nécessaires afin d’éviter la survenance d’épisodes tel celui de 2007 (l’Administration de George W Bush ne le pratiquait déjà plus), il faut que les républicains cessent de se raconter une histoire de leur pays qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais, quel que soit son attrait idéologique et fantasmagorique.
Comme toute démocratie dans le monde, les Etats-Unis ne peuvent fonctionner sans une régulation et sans un interventionnisme des pouvoirs publics.
Le nier, c’est nier tout le miracle américain de 1940 à 1970, celui qui fit des Etats-Unis la première puissance mondiale, sans adversaire autre qu’une fausse image d’une Union Soviétique qui s’effondra devant la compétition imposée par son adversaire.
L’ennui avec les idéologues bornés qui peuplent le Parti républicain mais que l’on retrouve dans tous les partis politiques du monde entier de gauche et de droite (et même parfois du Centre!), est qu’ils préfèrent perdre ou même mener leur pays à sa perte plutôt que d’avoir une approche pragmatique de la réalité, seule à même de permettre les adaptations et les réformes nécessaires.

(*) Godfrey Hodgson, «America in our time», 1976, Random House