jeudi 21 février 2008

L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Barack Obama le peut-il vraiment ?

« Yes, we can ! » (oui, nous pouvons), tel est le slogan phare de la campagne de Barack Obama, un des deux prétendants à l’investiture du Parti démocrate pour la prochaine élection présidentielle américaine du 4 novembre prochain. Un slogan qui fait mouche, notamment auprès des jeunes, mais pas seulement. Un slogan qui n’est cependant pas nouveau dans son volontarisme revendiqué d’autant plus qu’il est accolé au mot favori de Barack Obama « Change » (le changement) qu’il applique indifféremment à l’Amérique (« Change America ») et au monde (« Change the world »). Voilà une association qui pose des questions essentielles de la politique sur le volontarisme et la capacité de changement. D’autant que Barack Obama se veut aussi un centriste et que son projet consensualiste veut réunir les deux Amériques, la rouge (républicaine) et la bleue (démocrate).

Tout d’abord, le volontarisme La présence, à la tête de l’Etat, d’un homme politique volontariste peut-elle aboutir à un changement en profondeur ou ces slogans ne sont-ils que pure rhétorique ? Cela peut-il changer en profondeur la société américaine et, par ricochet, le monde ?


Comme nous l’expliquions ici récemment, avant tout, il faudrait définir ce qu’est exactement le volontarisme car dans une acceptation large, on pourrait dire que toute personne qui fait de la politique est volontariste puisqu’elle défend des idées qu’elle désire mettre en pratique et que, sans faire de procès d’intention, elle affirme croire à son combat pour les imposer. Dans le même ordre d’idée, tout programme d’un parti est volontariste. Néanmoins, le volontarisme se situe à un autre niveau. Il s’agit, en quelque sorte, non seulement, de s’attaquer aux habitudes en place mais, en plus, de demander à la réalité de se plier, plus ou moins fortement selon le degré de volontarisme, à une vision politique, vision politique que le volontariste estime non seulement juste mais, en quelque sorte, visionnaire. De ce point de vue, le volontarisme peut apparaître comme une supercherie, voire comme un individu dangereux qui pourrait conduire son pays sur un chemin hasardeux.

Changer la réalité est, soit une pure fiction, soit un jeu dangereux qui peut aboutir à des crises. Car, comme le rappelle le dictionnaire Larousse, le volontarisme est « une attitude que quelqu’un qui pense modifier le cours des événements par la seule volonté » avec « primauté à la volonté sur l’intelligence et à l’action sur la pensée intellectuelle ».

Comme souvent, les réponses se trouvent dans l’histoire. Des dirigeants ont été labellisés comme volontaristes. Que l’on songe à Richelieu, Napoléon, De Gaulle, Bismarck, Théodore Roosevelt, Churchill, Gorbatchev, Thatcher, Reagan ou, plus près de nous, dans l’actualité récente, Tony Blair et, bien sûr, Nicolas Sarkozy. Toutes ces personnalités, dont nous ne sommes pas en train de juger les idées politiques ont voulu « changer la donne ». Sans oublier, ceux qui, en tant que volontaristes ont entraîné leurs pays et le monde dans des aventures criminelles et à la ruine comme Hitler, Mussolini ou Lénine pour ne citer que les plus célèbres.

Le passage à la tête de l’Etat de tous ces politiques a certainement modifié les choses au cours de l’exercice de leur pouvoir. Mais, sur le long terme, celles-ci ont-elles été profondément modifiées ? Et l’analyse historique permet-elle d’affirmer que les choses ont changé grâce à eux ou démontre-t-elle qu’elles étaient de toute façon inscrites dans l’évolution des sociétés auxquelles ils appartenaient ? Il est évident que la réponse ne peut être faite pour un Tony Blair ou un Nicolas Sarkozy. Mais pour Richelieu qui voulait que la France soit un pays uni, pour Théodore Roosevelt qui voulait éliminer la gangrène de la corruption aux Etats-Unis, pour Margaret Thatcher qui voulait que la Grande Bretagne redevienne un pays libéral, pour Charles de Gaulle qui voulait redonner à la France son rayonnement d’antan, quel est la bilan ? Il est mitigé selon les historiens même s’il a montré qu’une volonté doublée d’une forte conviction et d’un pouvoir de convaincre pouvaient faire évoluer les situations. Reste que leurs actions étaient en accord avec leur temps (pas forcément avec l’opinion publique), ce qui les a évidemment facilitées.

Sachant que ni Margaret Thatcher, ni Ronald Reagan, par exemple, n’ont changé les sociétés britanniques et américaines en profondeur malgré leur force de conviction et quelques succès indéniables, on découvre rapidement que le volontarisme peut n’être qu’une incantation. Cependant, les présidents volontaristes comme Théodore Roosevelt aux Etats-Unis ou Charles de Gaulle en France ont été des fers de lance du changement, le premier en luttant contre la corruption à tous les niveaux de la société américaine, notamment sur la mainmise des trusts sur l’économie, et le second en relevant l’identité nationale mise à mal durant la seconde guerre mondiale. Dès lors, il semble que le volontarisme donne ses meilleurs résultats dans les périodes de crise aigüe ou de bouleversements importants dans une société fragilisée.

Personne ne nie l’existence d’êtres exceptionnels et leur capacité à engendrer le changement ou, en tout cas, à le poser au centre du débat politique. Néanmoins, il faudrait être bien naïf pour penser qu’une seule personne peut changer une société qui n’y serait pas consentante. Et ce consentement est aussi une affaire de consensus que l’on recherche constamment et qui est fait d’allers-retours entre la société dite « civile » et le monde politique. La fameuse alternative entre s’adapter au monde qui nous entoure ou l’adapter à soi n’est guère pertinente. Car, c’est bien avec un mélange des deux que l’on obtient les meilleurs résultats.

Pour en revenir à Barack Obama, le sénateur de l’Illinois propose un nouveau volontariste basé sur la rupture avec l’ère Bush et un consensus large pour changer l’Amérique et donc le monde. Même si son changement demeure pour l’instant plus incantatoire que se basant sur un programme solide comme le font remarquer plusieurs commentateurs américains (il a tout de même publié fin 2007 un programme mais qui reste vague sur la manière concrète de le réaliser). A-t-il une chance de réussir ? La tâche sera difficile mais il possède quelques atouts pour mener à bien son entreprise ou une partie, ce qui ne serait déjà pas si mal. Il héritera d’un pays profondément divisé mais qui aspire à retrouver son unité plus légendaire que réelle, qui veut mettre fin dans la dignité à une aventure guerrière en Irak sans perdre la face et souhaite une nouvelle donne économique tout en voulant revitaliser ce fameux « American dream. », ce rêve américain un peu fourre-tout et dont les économistes, les sociologues et les spécialistes de sciences politiques nous disent qu’il n’existe plus depuis longtemps notamment dans sa dimension d’élévation sociale.

Le rêve est une réalité politique !
Parlons maintenant de l’impact de ces slogans sur les citoyens. Ici, on ne parle plus de volontarisme mais d’espoir et de rêve. Il est sûr que « Change » et « Yes, we can » ont un impact fort surtout auprès des jeunes. Chez eux, désir de changement et espoir d’un monde meilleur sont toujours importants parce qu’ils se nourrissent à la fois d’une jeunesse qui n’accepte pas un monde qu’elle n’a pas créé, monde cruel et injuste, monde bâti par les générations précédentes, notamment celle de leurs parents, et d’une espérance que tout peut devenir meilleur si on le veut et qu’on s’unit pour le faire. Mais c’est un slogan qui fonctionne également dans les autres classes d’âge car il renvoie à cette possibilité d’un demain qui chante et que nous portons tous en nous même si nous sommes des réalistes.


Bien sûr, la politique, c’est agir sur le réel. Cette affirmation est la pierre angulaire de toute action politique qui se veut responsable et efficace. Mais nous savons aussi que nous sommes des êtres qui transformons le réel pour le sublimer. Cette sublimation est ce que l’on appelle parfois un récit politique qui cimente un groupe plus ou moins important. Dès lors, par un paradoxe propre à la politique, le rêve est une réalité politique ! Et cette réalité peut être un puissant moteur du changement mais aussi un danger pour une société. Car si le rêve se mue en déception alors il peut conduire à la violence et à la désorganisation sociale.


Ainsi, aux Etats-Unis, Barack Obama représente le rêve comme l’a présenté John Kennedy avant lui. Hillary Clinton, de son côté, représente la réalité politique. La filiation revendiquée par Obama avec Kennedy est très intéressante. D’abord, elle démontre que le rêve est une demande renouvelée des électeurs même si l’expérience nous apprend qu’ils sont toujours déçus par les vendeurs de rêve avant que, souvent, ceux-ci deviennent, par un nouveau retournement de situation, des icônes de la légende d’un pays. Cela démontre également que se revendiquer du rêve est une façon de convaincre les électeurs. Mais de quel rêve parle-t-on ? Celui d’une icône, Kennedy, tellement loin de la réalité de sa présidence qui fut proche d’un fiasco et, en tout cas, entachée de tellement de zones d’ombre que l’on est en droit de se demander si la belle figure de John Kennedy et sa jeunesse ont été ses seuls atouts avec des discours qui enthousiasmaient tout en étant à la fois loin de la réalité et loin de pouvoir trouver une application concrète. Rappelons que tous les droits civiques et les droits sociaux promis par John Kennedy – et Martin Luther King - furent réalisés par Lyndon Johnson alors considéré comme un affreux politicien réactionnaire du Sud à l’inverse d’un Kennedy si libéral et si ouvert…


Dès lors, si Barack Obama n’est que la réincarnation de John Kennedy comme le clame une grande partie du clan Kennedy qui s’est rangé derrière lui, on peut être inquiet. D’autant que l’autre partie du clan, les enfants de Robert Kennedy, ont choisi Hillary Clinton. Et entre John er Robert, le vrai politique, celui qui avait un vrai programme était Robert… Mais Barack Obama n’est pas un dandy que son père a poussé à se présenter à la présidentielle. Il en est même très loin. Néanmoins, il a compris la communication du XXI° siècle, celle de l’internet et de la compassion, celle de l’affectif et du jeunisme d’une société vieillissante. Mais la communication ne fait pas une gouvernance comme des exemples récents proches de nous le rappellent ! Espérons que Barack Obama, qui a salué Nicolas Sarkozy et son action sait, lui, faire la différence…

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC

Actualités du Centre. Italie La recomposition politique aboutit à deux pôles, centre-droit contre centre-gauche

Voici le texte de la journaliste Marie-Laure Cittanova, correspondante du quotidien « Les Echos » à Milan sur la recomposition politique en Italie
« Recomposition politique à grande vitesse en Italie 
Un gouvernement à bout de souffle, une rixe au Sénat, une loi électorale inefficace : l'Italie qui est entrée en crise électorale n'a pas bonne mine, surtout si l'on ajoute le désolant tableau offert par une partie de la Campanie, envahie de déchets. Pourtant, en trois semaines, le pays montre d'étonnants signes de rénovation politique. Ce renouvellement s'est manifesté grâce au Parti démocrate, fusion des anciens démocrates-chrétiens de gauche et des ex-communistes. Un parti dont la naissance a été voulue par Romano Prodi et dont les sympathisants s'étaient déplacés en masse voici quelques mois pour désigner le secrétaire général : le jeune Walter Veltroni, dynamique maire de Rome, poste qu'il vient de quitter pour diriger la campagne électorale. La naissance de ce parti et la nomination de son secrétaire général n'ont pas véritablement facilité la survie du gouvernement Prodi, en créant une concurrence interne à la gauche, mais celui-ci, avec sa coalition de 13 partis et sa majorité d'une voix au Sénat, était de toutes les manières voué à s'user rapidement.
La véritable innovation du Parti démocrate a été la décision de Walter Veltroni de « courir seul » pour les élections. Il a ainsi précipité une recomposition d'une rapidité inouïe. A gauche, mais aussi à droite. Car Silvio Berlusconi, prêt à reprendre du service pour la troisième fois, a suivi le mouvement : pour lui aussi, finies les coalitions hétéroclites qui obligent le chef du gouvernement à passer plus de temps à créer un consensus qu'à gouverner : le Peuple de la liberté regroupe ses alliés de l'Alliance nationale et Ligue du Nord. La mosaïque de mini partis dont la loi électorale a facilité la naissance semble en voie de sédimentation. Aujourd'hui, à côté du Parti démocrate subsiste un Parti socialiste, les radicaux, et une « chose rouge », l'Arc en ciel, englobant plusieurs partis dont les Verts.
Du côté du « Cavaliere », la Ligue s'est ralliée au Popolo della Liberta, qui a remplacé la Casa della Liberta. Le centriste Casini (UDC, démocrates-chrétiens de droite), cependant, n'est pas de la partie. Reste au centre une micro-formation, la « chose blanche » qui veut représenter un centre catholique. Casini pourrait s'allier avec cette formation, mais sa défection est un mauvais point pour Berlusconi : le Parti démocrate en a immédiatement profité pour que le PDL soit bien à droite et non au centre-droit.
Autrement dit se détachent aujourd'hui deux grands partis : au centre-gauche le Parti démocrate, au centre droit le PDL. A l'extrême gauche subsiste la « chose rouge » et, entre les deux grands partis, la « chose blanche » et les radicaux. Selon un sondage paru le 13 février, les électeurs donnent une prime au Parti démocrate par rapport à ses composantes. Il recueillerait 33 % des voix, contre 40 % pour le PDL, 12 % des électeurs restant indécis. Comme si plus de 70 % des électeurs étaient prêts à souscrire à l'avis de Silvio Berlusconi, qui leur a enjoints voici quelques jours de voter pour les grands partis, tout autre choix étant « inutile ». Selon le même sondage, restent 8,5 % des voix pour la gauche Arc en ciel, 5 % pour la Ligue du Nord (qui par exception court seule au Nord, sa terre d'origine), 6 % pour l'UDC.
Bien que la loi électorale soit inchangée, les petits partis sont donc aujourd'hui en perdition. Bien sûr, tout cela peut encore évoluer et les dérapages ne sont pas exclus. Ainsi, Silvio Berlusconi a soutenu le point de vue de Giulano Ferrara, qui menace de se présenter pour militer contre la loi autorisant l'avortement. Il a ensuite estimé que les questions de conscience devaient rester en dehors de la campagne électorale.
De son côté, Walter Veltroni a signé une alliance électorale avec l'« Italie des Valeurs », le parti de l'ex-juge de « mani pulite », Antonio di Pietro. Si bien qu'il ne court plus vraiment seul, mais avec une formation qui plaît aux tenants de l'anti-politique.
Pour l'heure, cependant, on assiste à une importante réduction du nombre de partis en course, phénomène qui rapproche brusquement l'Italie du modèle le plus courant en Europe.
Cette nouveauté et la rapidité de la recomposition font dire aux analystes italiens que tout peut arriver. Certes. Les programmes ne sont pas encore présentés. Chaque formation peut déraper à tout moment au cours de la campagne. Aujourd'hui, l'opinion pense que Berlusconi va gagner les élections. Reste à savoir s'il a changé ou s'il veut simplement sa revanche. Quant à Walter Veltroni, qui a emprunté à Barack Obama son slogan « Yes we can », il va tenter de créer la surprise. Il a en tout cas permis à la campagne de démarrer sur un mode assez apaisé. C'est déjà un progrès que le président de la République, Giorgio Napolitano, voudrait bien voir se prolonger. »
© Les Echos 2008