dimanche 16 octobre 2016

Une Semaine en Centrisme. Macron, un homme de gauche très centriste…

Il est de gauche et il le répète encore une fois dans cette longue interview qu’il a donnée à l’hebdomadaire économique Challenges.
Mais la Gauche d’Emmanuel Macron ressemble beaucoup au Centre.
Quant à sa volonté de se faire une place dans le débat politique, elle est une nouvelle fois évidente.
Néanmoins sa stratégie pour y parvenir est parfois teintée de populisme.
C’est d’ailleurs là que le leader d’En marche devra clarifier ses positions et sa vision de la politique et de la société françaises.
Enfin, il définit la fonction présidentielle dont celui qui l’occupe doit donner du sens et ne pas être dans l’actualité.
Son modèle, une présidence «gaullo-mitterrandienne» dont, évidemment, il se sent l’héritier.
Reste à convaincre les Français…

Une réconciliation à la mode «gaullo-centriste»
Afin de réconcilier les Français, le leader d’En marche emprunte à l’idéologie gaullienne du rassemblement au-delà des partis mais aussi à la pensée centriste où la réforme est la pierre angulaire d’une société en permanente adaptation pour trouver un juste équilibre et assurer le consensus.
Partisan du consensus qui, selon lui, s’obtient sur une majorité d’idée, Macron semble vouer aux gémonies le compromis qui, lui, est un très large accord et qui est selon lui, responsable de tous les petits arrangements qui ne permettent pas aux réformes d’’aller jusqu’au bout.
Mais il semble ignorer que le consensus ne s’obtient que par le compromis ou, alors, son consensus n’est qu’un unanimisme qu’il lui sera difficile de trouver…
De même, le consensus de Macron ignore les droits de la minorité, chère aux centristes.
- «L’heure est grave pour notre pays. L’enjeu est de préserver sa cohésion, d’organiser sa réconciliation. Nous vivons une période de fracturation de la France: il y a désormais plusieurs France. Ces déchirures qui traversent notre pays produisent une crise profonde et perturbent notre imaginaire collectif. L'enjeu capital? Notre capacité à réconcilier ces différentes France. Le politique ne peut plus se satisfaire de s'adresser à des publics différents et antagonistes; il est indispensable de trouver les chemins de la réconciliation des deux France: celle qui vit la mondialisation et les grandes transformations à l’œuvre comme une chance et celle qui en a peur; la France des nomades heureux et la France des sédentaires qui subissent.
- «Pour réunifier ces France, il faut proposer une nouvelle explication du monde et projeter le pays tout entier dans un horizon retrouvé de progrès collectif. Les Français forment un peuple éminemment politique. Ils attendent beaucoup des dirigeants politiques qu’ils se donnent. Si ceux-ci renoncent à leur expliquer où ils les emmènent, il leur sera impossible de les embarquer avec eux! Ils ne rejettent pas la réforme: quand ils se cabrent contre une réforme, c'est d'abord parce que les responsables politiques n'ont pas estimé opportun de la leur expliquer. Il est dès lors indispensable de l'inscrire, de la projeter dans une ambition collective. La clef est d’expliquer le cours du monde et de réunir ces France divisées dans une aventure où chacune d'entre elles pourra trouver sa place.
- «La France s’est installée dans une situation où la mémoire nationale est clivée, fracturée entre deux mémoires qui ne se reconnaissent pas mutuellement. Nous avons laissé se créer des histoires parallèles, ouvrant de nouvelles fractures et émiettant les références culturelles qui devraient pourtant unifier la France. C’est ainsi qu'une partie de la gauche s'est construite une mémoire reposant sur la lutte des classes et l'anticolonialisme, thématiques devenues les clefs de lecture quasi-exclusives de la situation sociale de la France d’aujourd’hui. Cette gauche s’est en outre fourvoyée en opposant le social à l’économique. Dans le même temps, une partie de la droite s’est ancrée dans une vision historique rétrécie à un identitarisme dont elle nourrit désormais son rapport à la République. Or la capacité à regarder l'Histoire de France en face, dans toute sa complexité et dans toute sa globalité, est nécessaire pour affronter l’avenir.
- Les principaux défis contemporains ne font pas l'objet du moindre consensus au sein des grands partis de gouvernement. Des exemples? Le rapport à la production dans une économie de la connaissance; le rapport aux inégalités dans un monde mondialisé, financiarisé et numérisé; le rapport à la société ouverte dans un monde frappé par le terrorisme; le rapport à l'Europe et à la mondialisation... Sur ces sujets cruciaux, Il n'existe aucun accord idéologique au sein du Parti Socialiste ou parmi Les Républicains. Cela est dû au fait que leur cohérence politico-historique s'est construite sur d'autres thématiques. D’abord à travers le rapport à la République nouvellement créée, puis à travers le rapport aux relations sociales forgé à l’ère du capitalisme industriel et de l’économie de rattrapage. Or ces périodes sont révolues et les défis contemporains ne sont plus les mêmes».
- «(Il y a) la nécessité d'une clarification idéologique qui permette à chacun de se repositionner selon un clivage pertinent, par exemple celui qui distingue les progressistes et les conservateurs. Je suis convaincu que pour dégager une véritable autorité politique, pour faire émerger des symboles forts et clairs, pour définir une lecture du monde et l'assumer, il faut dégager des consensus et non pas des compromis. Soyons précis: la fonction présidentielle exige le consensus construit dans la clarté plutôt que le compromis entre chien et loup.
Le consensus doit permettre de dégager une majorité autour d'idées. Il exige la clarté politique et idéologique.
Le compromis tel qu’il est pratiqué la plupart du temps aboutit à une série d'arrangements imparfaits, obtenus en dernière minute, par lesquels les forces en présence cherchent, en s’instrumentalisant réciproquement, à se protéger et à se reproduire.
(…) Les compromis sont permanents entre progressistes et conservateurs de gauche d’un côté, entre progressistes et conservateurs de droite de l’autre côté. Aujourd'hui, nous sommes arrivés à l'épuisement de ce mécanisme, qui est en réalité une forme de dégénérescence de l'ère post-mitterrandienne».

Ouvrir la société par le libéralisme, l’individualisme et un nouveau solidarisme
Libéralisme individualisme et solidarisme sont trois thèmes chers aux centristes qui sont le fondement même du projet économique et social d’Emmanuel Macron.
-  «Comment tracer à nouveau un chemin vers le progrès, comment concevoir une capacité à réguler la mondialisation à ce moment précis du capitalisme. Car il ne faut pas exclure que nous ayons atteint un stade ultime du capitalisme qui se trouve aujourd’hui pris dans sa propre incapacité à réguler ou laisser réguler ses excès: la sur-financiarisation, les conséquences climatiques et environnementales de son développement, etc. Et dans le même temps nous avons atteint une nouvelle phase de la mondialisation en particulier avec le numérique: une mondialisation instantanée des usages, des contenus, des innovations et des productions, mais aussi une mondialisation des imaginaires. Ces changements bouleversent nos modes d'organisation socio-économiques et politiques qui sont, eux, territorialisés».
- «Il faut reconstituer, je le répète, une histoire positive. Pour cela il est indispensable d'expliquer les phénomènes de transformation. Oui, des choses vont profondément changer. Nous sommes entrés dans une économie de la connaissance, de l'innovation, avec des transformations radicales. Notre défi est d'acquérir la plasticité nécessaire à la réussite. Nous disposons de formidables ressources pour assurer notre développement industriel et économique. Nous avons une nouvelle histoire industrielle à écrire.
La France peut et doit jouer un rôle fondamental dans cette économie du savoir et de la connaissance. Mais pour cela, il est indispensable de réinventer un solidarisme contemporain, d’expliquer aux Français que l'Etat ne va plus défendre leurs statuts, mais qu'il va les protéger en leur donnant des droits individuels dont il sera le garant. Oui, il va falloir accepter des changements de vie ; mais ces changements devront permettre à chacun de trouver sa place. Cette vie se composera différemment avec un engagement de formation que nous ne tenons plus, une promesse d'émancipation sociale que nous ne respectons plus. Il sera nécessaire de réinventer plusieurs fois sa vie professionnelle. C'est une promesse de mobilité avec des sécurités. C’est pour construire ce projet de rénovation que je m’engage et que j’ai créé En marche».
- «Je ne dis pas que la vie est facile pour tout le monde mais le fait est que la France n'a pas vécu de périodes d'austérité forte ni d'épisodes thatchériens. Notre solidarisme a joué à plein, avec pertinence et force. Mais ce qu'on appelle la solidarité ne se vit, en France, qu'avec l'appui de l'Etat providence, celui des Trente Glorieuses. Cette démarche convenait fort bien à des partenaires sociaux corporatistes. Le modèle social français dispose de solides bases solidaristes, mais il n'en est pas moins installé dans une approche corporatiste. En réalité, Il est assez injuste. Il offre des avantages qui ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens. En outre, il existe une autre et véritable solidarité, une justice sociale qui se construit par la mobilité individuelle, par la capacité à recréer la possibilité pour les uns et les autres d'avoir des accès nouveaux. C'est ce que j'ai essayé de mettre en place: les autocars, les permis de conduire, ces objets du quotidien que j'évoquais. Nous restons confinés dans une approche étatiste de la solidarité, une approche insuffisamment mobile débouchant sur une société de statuts».
- «Aujourd'hui, le système protège davantage les statuts que les mobilités individuelles. Demain, ce ne sera plus possible. L'approche monolithique d'un Etat cherchant à protéger ses citoyens du changement est devenue obsolète. La solution est que l’Etat protège non les statuts ni les rentes de manière diffuse, mais les individus de manière transparente: c’est vers cela qu’il faut aller. C’est cela que j’appelle la société du choix. Une société où l’Etat garantit un socle, des protections individuelles et où les Français ont la possibilité de choisir leur vie, de s’émanciper».

Europe
Emmanuel Macron rappelle ici qu’il est un Européen convaincu et que seule une Union européenne renforcée peut permettre de faire face à un certain nombre de problèmes que connait la France.
En cela, il est en totale symbiose avec les centristes.
- «Les politiques ont malheureusement déserté le champ européen….C’est une erreur car, au cœur de cette réinvention collective, se trouve l’Europe. Depuis plusieurs siècles, il n’est pas d’Histoire de France qui ne soit aussi une histoire de l’Europe. Mais depuis vingt ans, notre discours prétend que tous les problèmes viennent de l'extérieur, sans jamais prendre notre part nationale du fardeau. Nous avons installé l'idée que l'Europe était un problème. Or la véritable souveraineté sur bien des sujets est et sera européenne».

Une réfutation des accusations de populisme portées contre lui
Dans cette interview, Emmanuel Macron s’est lancé dans une réfutation des accusations de populisme que certains ont portées contre lui.
Mais celle-ci se fait par une diatribe populiste et une explication de texte où le leader d’En marche tente, sans grand succès, de démontrer que les populistes s’adressent aux bas instincts du peuple alors que lui-même s’adressent à son intelligence.
En effet, n’est-ce pas ce qu’affirment tous les populistes?...
Il faudra bien qu’il clarifie ce paradoxe.
- «Je suis un produit du système méritocratique français, pas un produit du système politique français. Je ne suis dans le monde politique que depuis deux ans et je n'en ai jamais accepté les mœurs. Je suis issu d'une famille de la moyenne bourgeoisie de province, mes deux parents étaient médecins à l’hôpital, et dans ma famille personne n'était jamais "monté à Paris", personne n'avait fait l'ENA. Le système politique, avec ses codes et ses usages, je ne cherche pas à le respecter parce que je ne lui appartiens pas. Ça ne me pose donc aucun problème de transgresser ses codes. Je dirais même ceci: ma volonté de transgression est d’autant plus forte que j’ai vu le système de l’intérieur. J’en connais les mérites, mais aussi les failles et les maladies».
- «Désormais une poignée de détracteurs m'accusent d'être un "populiste light"... Ils croient ainsi m’insulter car pour eux, vouloir se rapprocher du peuple est la dernière offense. Ils font une erreur d’incompréhension sémantique: un véritable populiste flatte le peuple dans ses bas instincts, il lui ment, le pousse aux extrêmes. Pour ma part, j'essaie de m'adresser à l'intelligence des citoyens, et je le fais sans m’encombrer des barrières que le système place entre les politiques et le peuple. Avec notre diagnostic, nous sommes allés directement à la rencontre des Français: je conçois que cela perturbe ceux qui s’arrogent le monopole de la connaissance du terrain. Je suis considéré comme un gêneur parce que j'émets une hypothèse ontologique radicalement en opposition avec la plupart des responsables politiques: je pense que les électeurs ne sont pas... idiots, qu'ils ne croient plus aux histoires qu'on leur raconte, que le baratin de la vieille politique marche de moins en moins! Si j'étais populiste, je mentirais, je promettrais des choses intenables et inconséquentes. Si j’étais populiste, j’affirmerais qu’enfermer tous les fichés «S» garantira la sécurité des Français, quand tous les gens sérieux savent que c’est faux. Ecouter le peuple, c’est entendre ce qu’il veut, ce à quoi il est prêt. Cette connexion est l’essence de la démocratie. Or cette dernière a été prise en otage».

Les alliances
Comme d’habitude, Emmanuel Macron fait une séparation entre les progressistes et les conservateurs en souhaitant qu’un pôle politique du progrès émerge, réunissant tous ceux qui s’en réclament à droite, au centre et à gauche.
- «Ma conviction? Une partie de la droite dure, celle que Nicolas Sarkozy hystérise, se sentira de moins en moins en sympathie, en concordance, avec la droite modérée, européenne, libérale. Les réponses des uns et des autres à la mondialisation et aux phénomènes de transformation sont si radicalement différentes... Il y a face à face une droite du repli et une droite de l'ouverture, une droite exigeante, une droite que j'appellerais progressiste. Ce qui la préserve encore un peu de la crise que connaît si violemment la gauche, c’est que la droite française n'a pas ancré ses références dans l'histoire du capitalisme industriel. Dans ce paysage politique et idéologique déboussolé, il faut retrouver un cap, et ce cap ne peut être que celui de tous les progressistes».
- «Je n'aurais pas employé le terme "d'identité heureuse". C’est trop statique, trop loin de la réalité et je ne sais pas très bien ce que cela signifie. Une identité, par nature, n’est pas ‘heureuse’ ou ‘malheureuse’. Une identité est en mouvement et se construit sans cesse. Elle peut même connaître des tensions au gré des incertitudes ou des inquiétudes qui s’expriment comme c’est le cas dans notre pays en raison de l’absence de choix politiques clairs ces dernières décennies. Il n'en est pas moins vrai que j’ai avec Alain Juppé des convergences sur ce que peut et doit être la vie en société».

La fonction présidentielle
- «Pour moi, la fonction présidentielle dans la France démocratique contemporaine doit être exercée par quelqu’un qui, sans estimer être la source de toute chose, doit conduire la société à force de convictions, d’actions et donner un sens clair à sa démarche.»
- «Nous devons absolument inventer une nouvelle forme d'autorité démocratique fondée sur un discours du sens, sur un univers de symboles, sur une volonté permanente de projection dans l'avenir, le tout ancré dans l'Histoire du pays. Le temps de la présidence et des engagements pris ne saurait se construire en fonction de l'actualité: ce serait s'engouffrer dans une forme d'obsession de la politique qui jamais ne définit les termes et les conditions de sa propre efficacité. Une présidence de l'anecdote, de l'événement et de la réaction banalise la fonction. Ce type de présidence ne permet pas de se réconcilier avec le temps long et le discours du sens. A l’inverse, dans une présidence de type gaullo-mitterrandien, la recherche d'un champ, d'une focale, éloigne du quotidien et installe un rapport différent à l'actualité. Cela suppose d'entretenir un rapport fort aux idées et à la lecture du monde. Qu'est-ce que l'autorité démocratique aujourd'hui? Une capacité à éclairer, une capacité à savoir, une capacité à énoncer un sens et une direction ancrés dans l'Histoire du peuple français. C’est une autorité qui est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce autant en creux qu’en plein.»

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC