lundi 30 juillet 2018

Vues du Centre. Corporatisme et hubris journalistiques menacent la liberté de la presse

Par Jean-François Borrou

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Jean-François Borrou est le pseudonyme d’un journaliste proche des idées centristes.


Dès qu’ils sont attaqués, les journalistes brandissent la liberté de la presse qui serait en jeu parce qu’ils seraient critiqués.
Ils viennent de ressortir cette vieille antienne à propos de ce qu’ils ont eux-mêmes baptiser l’«affaire Benalla».
Or, s’il faut affirmer avec Tocqueville que «l’indépendance de la presse est l’élément capital et pour ainsi dire constitutif de la liberté» et qu’«un peuple qui veut rester libre a le droit d’exiger qu’à tout prix on la respecte», ajoutant que «pour recueillir les biens inestimables qu’assure la liberté de la presse, il faut savoir se soumettre aux maux inévitables qu’elle fait naître», il n’en reste pas moins vrai que le journaliste doivent agir avec responsabilité et déontologie.
Car, comme le dit la Charte du journaliste rédigée en 1918 puis actualisée (notamment en 2011), ses devoirs sont, entre autres, «de respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître; de publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent; de ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents; de rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte; de s’interdire la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement; de ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste».
Depuis toujours, nombreux les journalistes qui négligent ces devoirs et qui, lorsqu’ils sont accusés de partialité ou de travail bâclé, montent au créneau pour défendre une liberté de la presse qui serait soi-disant en danger alors qu’ils ne font que du corporatisme et la défense d’eux-mêmes et de leurs fautes et erreurs.
Ici, avec les attaques contre Emmanuel Macron, accusé de tous les pêchers pour le comportement d’un de ses collaborateurs, on est dans la caricature d’un journalisme qui a voulu régler ses comptes quel que soit la réalité des faits et, plus grave, les conséquences sur la démocratie républicaine et la confiance des citoyens dans ce système.
Car, aujourd’hui, il y a deux France.
Celle qui croit les attaques de la presse et de l’opposition et qui perd confiance dans le monde politique, un des piliers de la démocratie.
Celle qui s’insurge contre ses attaques et qui perd également confiance contre un pilier de la démocratie, la presse.
L’«affaire Benalla» qui devait servir de marchepied à une «affaire Macron» risque donc d’avoir comme conséquence un affaiblissement de la démocratie républicaine.
Merci la presse!

Non, la presse n’est pas cette sphère immaculée où des vengeurs du peuple à la moralité parfaite s’attaquerait à cette fange politicienne où des créatures véreuses tenteraient constamment de l’enfumer pour leur propre profit.
Et dans la soi-disant «affaire Benalla», il y a bien eu dérapages de la presse.
Ainsi, Alexandre Vatimbella a eu raison d’expliquer ici dans un éditorial, les dérives journalistiques:
«En France, l’«affaire Benalla» a, de nouveau, rappelé que les clientélismes de gauche et de droite ainsi que la presse d’opinion, sans oublier nos intellectuels médiatiques, n’ont toujours pas accepté la victoire du Centre en 2017 et qu’ils souhaitent ardemment qu’elle ne soit qu’une parenthèse à refermer au plus tôt en s’emparant de tout ce qui pourrait permettre de se débarrasser d’Emmanuel Macron, de son gouvernement et de sa majorité, des ragots les plus puants aux faits divers les plus anodins.
Et l’on voit fleurir dans certains quotidiens des articles sur la destitution d’un président de la république pendant que nombre de politiciens jouent de l’emphase au risque d’emporter la démocratie avec leurs bons (mauvais) mots.»
Edouard Tétreau a eu raison dans Le Figaro de parler de «l’hystérie collective» qui s’est «emparée» des journalistes et d’écrire avec une grande lucidité:
«Il semblerait que les piliers traditionnels du système politique et médiatique français ne partagent pas cet objectif de lutte contre les populismes. Dans les partis dits de gouvernement, comme chez ceux que l'on désignait comme des «médias de référence» au XX° siècle, en passant par les télévisions et radios d'information continue – avec une mention spéciale pour les chaînes du service public à refonder autrement plus vigoureusement que par les réformettes de Mme Nyssen – une dérive s'installe. Un mélange toxique de propagande, d'approximations, de non-vérifications des faits mêlés aux opinions, d'incapacité à prendre du recul sur l'événement.
Le journalisme d'investigation se fait journalisme de délation, avec la nécessaire complicité de policiers bafouant le secret de l'enquête ou de l'instruction pour faire avancer leurs agendas parallèles. Le journalisme de combat est devenu journalisme d'invective: exit Henri Frenay et Albert Camus, place à Jean-Jacques Bourdin. Quant aux grandes gueules de l'opposition, celles qu'on appelait les ‘grandes voix’ au XX° siècle, la radicalisation des comportements et des expressions fait rage: on exécute d'abord; on écoute et on réfléchit ensuite. Cette classe politique et médiatique est-elle consciente de scier la branche sur laquelle elle est assise?»
Philippe Raynaud a eu raison de dire dans Le Monde:
«La dramatisation médiatique est excessive, et le ton inimitable de componction, de sérieux et de moralisme du Monde donne à cette affaire un goût de moraline, comme dirait Nietzsche. D'ailleurs la convergence éditoriale momentanée avec la rédaction du Figaro est assez symptomatique de cette "convergence des luttes" contre un président élu par une extraordinaire combinaison de chance et de talent qui dérange tout le monde.»
George Kiejman a eu raison de s’étonner dans une tribune brillante publiée dans Le Monde:
«A en croire l'ensemble des médias, à commencer par Le Monde (sept "unes" successives entre le 20 et le 27 juillet) et tous les dirigeants de l'opposition, notre République, la V°, est au bord du gouffre. Et certains, s'ils osaient, demanderaient au président de la République de démissionner pour répondre des fautes d'un de ses collaborateurs obscurs, un certain Benalla, qualifié de "barbouze", de "mauvais ange" du président, voire du couple présidentiel. Ne disposait-il pas des clés du portail de la maison familiale au Touquet? Ce dénommé Benalla pris d'un accès de violence dans une manifestation où il n'avait que faire, aurait molesté, selon les uns, deux spectateurs passifs venus assistés à une "manif parisienne", selon les autres, deux militants s'exprimant en grec et lançant distraitement, selon leur avocat, des carafes d'eau sur le service d'ordre.»

A l’heure où Donald Trump répète sans arrêt que les journalistes sont les principaux ennemis des Etats-Unis, je vous en prie, chers collègues, ne lui donnez pas raison dans sa dénonciation populiste et démagogique avec un comportement irresponsable.
La liberté de la presse est bien trop importante et doit toujours vous guider mais aussi être plus forte que vos tentatives mesquines de régler vos comptes.

Jean-François Borrou