jeudi 25 août 2005

L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Installer la confiance

La Réconciliation de la France avec elle-même passe par la confiance que les Français doivent avoir en eux-mêmes. Cette affirmation n’est pas un énième slogan politique creux. La confiance n’est pas un mot vide de sens, ni un état d’esprit sans conséquence. Quand la confiance est là, un peuple ose, il entreprend. Quand elle est absente, il hésite, il renonce. Mais pour être confiant, il faut savoir où l’on va et, surtout, où l’on veut aller. Aujourd’hui, la France le sait-elle ?...

Un récent sondage du Pew Institute, organisme privé américain semble malheureusement donner une réponse négative à cette interrogation. Ses résultats montrent que les peuples les plus angoissés face à la globalisation sont les Américains ainsi que les Européens et, surtout, les Français qui arrivent en tête des peuples les plus angoissés. Dans ce même sondage, les Français estiment, comme tous les autres peuples du monde, que leur culture est particulièrement menacée et ils souhaitent que des mesures soient prises pour la protéger. Cependant, ces mêmes Français sont le peuple le moins confiant dans la suprématie de sa culture… Viennent ensuite tous les autres Européens. Un état d’âme qui ne touche pas encore les Américains et pas du tout les Asiatiques et les Africains qui demeurent absolument convaincus de la supériorité de leurs cultures respectives. Les résultats de cette foi en soi-même se voient tous les jours pour les pays du continent asiatique et pour les Américains (mais, c’est vrai, pas pour les Africains).

Qu’est-ce donc que la confiance d’un peuple en lui-même ? C’est à la fois être sans peur et être assuré de ses possibilités. La confiance est donc un élément primordial du développement et de la stabilité d’une société. Calculée par de multiples sondages et indicateurs (la confiance des consommateurs, la confiance des chef d’entreprise, etc.), elle permet la prise de risques et crée une volonté collective. La crise de confiance, en revanche, est souvent à la fois une cause et une conséquence. Conséquence d’une situation économique ou sociale difficile, cause d’une incapacité à relancer une dynamique. Retrouver la confiance est donc aussi important qu’innover, produire, commercer…

La confiance c’est aussi savoir, non pas où l’on va aller à coup sûr, ce qui est impossible, mais où l’on veut aller, ce que l’on veut vivre, ce que l’on veut construire, se battre pour un objectif présent et un but futur. Alors, mécaniquement, la volonté et l’envie reviennent. La confiance nourrit la confiance. Actuellement, devant des réalités que l’on nous présente comme venant de l’extérieur, le peuple français hésite et semble incapable de porter un projet de société. Or, ces réalités ne sont pas venues d’un monde hostile mais d’un monde que nous avons nous-mêmes aidé à construire (la mondialisation est une création européenne du début du XX° siècle avec l’explosion du commerce international et la colonisation de l’Afrique et de l’Asie). Et le développement de ce monde, aussi imparfait soit-il, doit nous permette de l’améliorer et, en conséquence, d’améliorer notre existence. La globalisation est une chance tout comme la mondialisation des politiques environnementales. Elle peut aider à vaincre la pauvreté et à combattre la violence. Cependant, rien ne nous empêche de cultiver, dans cet univers de plus en plus interdépendant, notre différence en tant que Français et Européens.

A quoi sert cette confiance ?
La confiance sert à garder notre place au soleil. Comme le rappelle l’universitaire américain William Pfaff, la confiance en soi de l’Occident est une des raisons majeures de la réussite de la colonisation : « Par bien des aspects capitaux, la conquête de l’Asie et de l’Afrique par l’Occident fut une conquête intellectuelle et morale. (…) La subjugation morale du monde non européen à l’Occident est encore plus saisissante lorsque l’on se souvient qu’à l’origine, l’avantage technologique et organisationnel des conquérants occidentaux était fort mince, si même il existait. » Et d’expliquer qu’au moment de la colonisation de l’Indochine, la France ne possédait pas l’avance technologique et militaire qu’elle avait acquise lorsqu’elle fut battue par ces mêmes Vietnamiens un siècle plus tard… « La différence capitale, écrit-il, est que dans les années 1850, les Vietnamiens avaient obscurément senti qu’ils allaient perdre, tandis que l’envahisseur était persuadé que son destin était de conquérir, de convertir et de civiliser. »

Et cette place va être de plus en plus difficile à garder. Pour preuve, voici une nouvelle qui n’a pas fait les gros titres des médias mais qui est pourtant fondamentale : les Etats-Unis – malgré leurs divergences et leurs craintes - souhaitent créer des relations privilégiées avec la Chine et l’Inde dans l’optique de créer un sorte de « Club des Trois ». Pourquoi un tel club ? En 2050, selon certains économistes, la Chine sera la première puissance économique mondiale, suivie de près par les Etats-Unis puis, loin derrière, l’Inde. Si ce scénario semble un peu « idéalisé » (les économistes sérieux montrent que le PIB chinois est encore très loin de pouvoir rivaliser avec celui des Etats-Unis et que l’écart entre le revenu par habitant des deux pays est, lui, encore plus important), il marque la volonté des trois parties (avec, notamment, comme illustration la multiplication des voyages officiels entre les responsables de ces trois pays les uns chez les autres et inversement) de créer une sorte de troïka afin de régenter le monde. Il y a quelques mois, déjà, le premier ministre indien avait déclaré lors de la visite de son homologue chinois que les deux pays en s’alliant seraient dans les années qui viennent la première puissance mondiale. « Ensemble, l’Inde et la Chine peuvent redessiner l’ordre du monde » avait alors déclaré Manmohan Singh.

Au-delà de la réalité de cette affirmation, il faut bien comprendre qu’il s’agit de la volonté de le devenir et de peser, voire de contrôler, le monde. Rien de très normal pour des pays de cette grandeur et qui ont chacun des histoires impériales. Pour nous, une question se pose alors naturellement : quid de l’Europe, absente de cette troïka mondiale ? Apparemment, ni les Américains, ni les Chinois, ni les Indiens ne semblent prêts à nous inclure dans un quelconque quatuor, à nous garder notre place au soleil. Sans doute pensent-ils que l’Europe a montré son incapacité à devenir une « puissance », terme par ailleurs exécré par beaucoup de pays de l’Union européenne et, évidemment, par tous les nationalistes. Surtout, ils estiment que les Européens n’ont plus l’envie et l’esprit pour relever les défis qui se présentent à l’humanité. Non seulement ils ont rangé leur transat mais ils ont ouvert leur parapluie !

Et ils n’ont peut-être pas tort… L’envie et l’esprit peuvent revenir si nous installons à nouveau la confiance. Comme le dit le Premier ministre suédois, Goran Persson – dont le pays est en pleine croissance -, « L’Europe a un déficit de confiance en elle-même vis-à-vis des Etats-Unis ». Et cette différence de mentalité se traduit immédiatement en termes de croissance économique et de domination mondiale.

On voit bien que la confiance d’un peuple est primordiale ainsi qu’une direction, le tout soutenu par des valeurs communes. La « crise des valeurs » n’est pas seulement due aux difficultés économiques. Elle vient aussi de l’absence d’une confiance elle-même alimentée par les difficultés économiques…

En refusant la Constitution européenne, nous avons déjà montré une inquiétante faiblesse dans notre volonté de construire un avenir maîtrisable. Il est donc urgent de trouver un moteur à notre confiance, qu’il soit français ou européen. Un peuple qui ne sait pas où il va, ne va nulle part…

Alexandre Vatimbella