lundi 8 août 2005

L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Pour une innovation continue et globale

Une France réconciliée avec elle-même, avec l’Europe et avec le monde se doit d’être innovante. Voilà une profession de foi qui ne semble guère innovante dans le discours politique ambiant… Ainsi l’innovation est le maître mot obligé – voire la nouvelle imprécation - de nos économistes médiatiques et de nos politiques en mal de solutions miracles. L’idée n’est évidemment pas nouvelle mais ne semble pas avoir été prioritaire dans la volonté politique alors que nous savons que les révolutions industrielles que nous avons vécu depuis plus de deux cents ans viennent de l’innovation technologique.

Dans les sociétés pré-industrielles marquées par le temps agricole (pendant longtemps, l’horloge des clochers n’indiquait que les heures, seules données intéressantes pour le paysan), jusqu’au début du XVIII° siècle, nos ancêtres ne concevaient pas l’intérêt de la notion de « progrès », de développement positif des mœurs, de l’économie et des techniques. Dans la société où ils vivaient, on naissait et mourrait dans un même environnement ou presque. Et cette permanence était souvent louée. Et lorsque quelques changements intervenaient (ce qui était tout de même le cas), on louait alors l’ancien temps, maudissant la nouveauté déstabilisatrice. Une pratique encore vivace de nos jours…

L’économie ne croissait guère et le social pas du tout. La chance était quasiment la seule voie qui permettait à un individu, même doté d’un grand génie, de monter les barreaux de l’échelle sociale. Quant à l’environnement quotidien, peu d’inventions venaient en changer le cours. Tout cela a radicalement changé. Nous ne concevons pas que, d’une année sur l’autre, il n’y ait pas de croissance économique et une marche continue vers le « progrès » même si nous nous demandons depuis peu qu’est-ce qu’il faut vraiment entendre par ce mot et s’il ne faut pas le « maîtriser » et en changer les critères d’appréciation, peu demandant que l’on arrête tout, quelques uns seulement le considérant plutôt comme un maux et prônant un « retour en arrière ». Pour autant, ce progrès n’est pas uniquement une question quantitative mais peut revêtir une revendication qualitative. Par exemple, le progrès, chez les Européens, consiste à travailler moins avec plus de protection sociale et de temps libre alors que pour les populations d’Amérique du Nord, il est de travailler plus pour gagner plus d’argent. Dans tous les cas, il s’agit de parvenir au même but : profiter le plus de la vie.

Quoiqu’il en soit, nous sommes dans une société dont le moteur est l’innovation. Comme l’explique l’historien Fernand Braudel, « Aujourd’hui une grande crise générale (une de ces « crises séculaires ») met toutes les économies au pied du mur : innove, ou meurs, ou stagne ! Elles choisiront sûrement d’innover. Pareille mise en demeure a précédé, sans doute, chacune des grandes relances de la croissance économique qui, depuis des siècles et des siècles, ont toujours eu un support technique. En ce sens, la technique est reine : c’est elle qui change le monde ».

Les différentes révolutions industrielles (machine à vapeur puis automobile puis microprocesseur) ont été des révolutions de l’innovation technique qui ont permis, à chaque fois, au système de se régénérer et de repartir vers l’avant. Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’il y a deux théories qui s’affrontent actuellement sur la façon de lutter contre les menaces environnementales comme le réchauffement de la planète. La première explique qu’il faut prendre des mesures urgentes pour stopper la marche vers une inéluctable catastrophe (c’est la vision dominante en Europe). La deuxième, nourrie de cette idée de « progrès indéfini », estime que les humains, grâce à leur intelligence et leur esprit d’invention parviendront à inventer les technologies nécessaires afin que la croissance rime avec environnement sain (c’est le credo du président américain actuel).

Mais, le plus important, est de ne pas limiter l’innovation à la croissance économique, à l’invention de nouvelles technologies et à de nouveaux produits pour ouvrir des marchés et booster nos exportations. Nous ne devons, pas plus, considéré l’innovation comme un effort conjoncturel. En ce début de XXI° siècle, la France a besoin d’être innovante non seulement en matières économique et technologique mais également en matières sociale, politique et sociétale. Non pas pour un quelconque effet de mode, ni pour mettre les vieilles valeurs du passé au rebus, mais pour refonder le lien social qui nous permette de construire une société équilibrée et confiante en elle dans la liberté et la solidarité. En clair, la France doit être une société qui innove constamment et de manière globale.

Ainsi, l’innovation économique et technologique, si elle doit être encouragée, ne peut être la valeur absolue. Il faut lui adjoindre absolument l’innovation sociale (avec des changements novateurs dans l’approche des protections sociales), l’innovation politique (avec des adaptations novatrices des pratiques et institutions politiques à la réalité de la société civile) et l’innovation sociétale (sous la forme de définitions et mises en place des référents et des démarches collectives et individuelles dans une société globalisée au niveaux économique et social, mondialisée au niveaux environnemental et culturel et pratiquement unifiée au niveau des réseaux de communication). En clair, nous devons innover dans tous les domaines de la vie afin de créer des synergies qui nous permettent à la fois de nous développer économiquement tout en assurant un bien être social à la population (protections sociales et médicales) dans un monde respectueux de l’environnement (afin de préserver notre développement, voire de préserver notre existence tout court…), tout en continuant à développer nos cultures, le tout dans la liberté. Demeurer dans des schémas figés serait contraire aux rouages qui pérennisent notre modèle d’organisation et de développement social. L’adaptation doit être un mouvement constant, tant parce qu’il assure la vitalité interne de la société que parce qu’il lui permet d’être en phase avec son environnement extérieur.

La France - et l’Europe – doivent donc penser et inventer une société qui soit capable de répondre aux trois défis principaux : la croissance économique, le progrès social, l’équilibre sociétal. Cette société innovante doit s’insérer dans le cadre de la globalisation et dans la mondialisation d’enjeux environnementaux et humanitaires (paix et développement des pays pauvres). Une tâche lourde, compliquée qui demande du courage et une volonté politique forte.

En outre, il importe de ne pas pratiquer l’innovation pour l’innovation en déstabilisant les esprits et le tissu social. L’innovation doit être au service de l’humain et non le contraire. Une fois posée cette condition, nous devons réaliser que l’innovation est et sera le carburant des sociétés qui seront en avance sur les autres. Encore faudra-t-il qu’elle soit acceptée dans ses dimensions sociales et sociétales avec les bouleversements qu’elle peut induire, liés évidemment à la globalisation.

La refondation du lien social doit partir de quelques certitudes qui semblent absentes aujourd’hui du sentiment collectif des Français. A l’individu hédoniste, il faut substituer la personne porteuse de liberté mais aussi d’un désir de partage, donc de solidarité. A la recherche unique d’un plaisir immédiat et souvent superficiel, il faut substituer la recherche d’une vie équilibrée et intense où la personne ne cherche pas uniquement le plus mais le mieux. A la sacralisation de l’objet (où même l’humain devient « matériel » comme par exemple dans le « droit à l’enfant »), il faut substituer la sacralisation de l’être humain. L’avoir ne doit pas être un but mais la possibilité d’une jouissance pour l’être en rappelant la prééminence de l’être sur l’avoir.

Une fois recomposé sur ces principes, le tissu social doit être réorganisé en cherchant à optimiser la protection sociale tout en y réintroduisant la réalité existentielle, c’est-à-dire la lutte constante de l’être humain pour domestiquer son environnement et construire son bien-être. Cela signifie que l’on ne peut parler des conditions de travail sans comparaison globale et adaptation aux réalités mondiales, que l’on ne peut parler de retraite sans analyser le vieillissement de la population mais aussi l’allongement de l’espérance de vie et la bien meilleure condition physique et mentale des personnes ayant plus de soixante ans. Cela signifie aussi que la valeur travail doit être réévaluée au détriment de la rétribution du capital afin de limiter l’expansion d’une bulle financière de plus en plus éloignée de la réalité entrepreneuriale (où doivent dominer les salaires et l’investissement au même titre que la distribution de bénéfices comme l’exigent les places financières et les fonds de pension mondiaux qui agissent pour… les retraites de ceux qui travaillent actuellement !).

En matière économique et technologique, pourquoi l’innovation est-elle devenue aussi prégnante dans nos sociétés occidentales ? Parce l’innovation a toujours été un des principaux moyens d’obtenir de la croissance économique mais surtout parce qu’elle est devenue la principale manière d’obtenir de la croissance dans des pays où le niveau de vie et le coût de la main d’œuvre sont aussi élevés que le nôtre. Nous ne pouvons pas lutter sans ajustements (sauf à envisager une illusoire autarcie) contre les coûts de production aussi bas que ceux des pays émergents en gardant tel quel notre développement social. Aussi, nous devons trouver dans l’innovation la possibilité de garder nos parts de marché, voire de créer de nouveaux marchés, en gardant ainsi notre avance technologique garante d’une croissance économique et, donc, d’un progrès social.

Comment se positionne la France en la matière ? Le rapport commandé par le Président de la République à Jean-Louis Beffa faisait récemment le constat suivant : « La France comporte peu d’entreprises au premier rang international dans les secteurs de haute technologie qui représentent des marchés en forte croissance. L’amélioration durable de la balance commerciale n’est possible que si se développent des industries de haute technologie, au sein desquelles les produits sont fortement différenciés »

Christian Blanc, dans son rapport « Pour un écosystème de la croissance » ne disait pas autre chose : « Plus que les handicaps fréquemment invoqués sur le poids de la fiscalité ou les coûts de production, la perception d’une France trop peu compétitive repose avant tout sur son faible positionnement dans le domaine de l’innovation ».

Quelle est l’importance de donner leur chance à de jeunes entreprises innovantes ? Comme le fait remarquer Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu : « Les 25 plus grandes entreprises européennes d’aujourd’hui existaient déjà en 1960, alors que 19 des 25 plus grandes sociétés américaines sont des PME récentes qui ont réussi à se hisser parmi les plus grandes. » La statistique est éloquente…

D’autant que l’alternative est simple, selon Christian Blanc : « Pour retrouver un avantage comparatif, notre économie a le choix : s’aligner sur le modèle asiatique ou faire le course en tête dans l’innovation ». On comprend que les Français seront sans doute plus intéressés par la deuxième proposition... Encore faut-il s’en donner les moyens au-delà des déclarations solennelles (une particularité bien française…).

Alexandre Vatimbella