jeudi 20 septembre 2018

Actualités du Centre. «Engagé et exigeant» envers Macron, Bayrou continuera à dire ce qu’il pense

François Bayrou
Sur les antennes de RTL puis sur le plateau de Cnews, François Bayrou est revenu sur ses critiques envers l’action du Président de la république et du gouvernement ainsi que sur plusieurs sujets d’actualité dont l’Europe et l’«affaire» Benalla.
Extraits de ses interventions

► Cnews
- On va enchaîner sur ce que disait le Canard Enchaîné, c'est vrai que vous avez pris vos distances avec Emmanuel Macron? 
C'est n'importe quoi. Je n'ai aucune distance avec le Président de la république mais je défends l'exigence qui a été signée dans le contrat de l'élection présidentielle entre le nouveau Président de la République et les Français.
- Mais on dit que vous êtes fâchés, que vous ne le prenez pas au téléphone, qu'il ne vous appelle pas... 
J'ai avec le Président de la république, et c'est normal, des relations qui sont confiantes et fréquentes. 
- Mais cela ne vous empêche pas de dire ce que vous pensez de lui, j'espère...
Le piège de la V° République est : quand le pouvoir est installé, tout le monde se tait. Or, ce que je crois, c'est que dans une majorité, dans la vie politique, dans une démocratie, on a besoin de voix libres, qui n'ont rien à demander ni à attendre, et qui sont là pour marquer à quel point il y a une attente dans la situation, et qui soutiennent et appellent à ce que l'on soit dans une étape encore plus positive, constructive.
- Par exemple, l'été et la rentrée, dont on a dit qu'il y avait une sorte de malédiction, qu'est-ce que ça vous inspire, pour la démocratie, la société politico-médiatique française?
D'abord, ce qui s'est passé ces deux dernières semaines est très important: on avait des «réformes». Je défends le fait que les réformes aient un sens, que l'on sache où l’on va. Trop souvent on oublie de rappeler ce sens nécessaire. Parce que ce que nous sommes en train de construire, ça n'est pas seulement une société moderne, adaptée au marché mondial, c'est une société avec un projet. Si j'osais, je dirais que c'est une civilisation. Et la France est la seule à pouvoir faire ça. Donc ce qui s'est passé ces deux dernières semaines: on est passé d'une multiplication de réformes à deux projets, qui sont très importants: le premier, le plan pauvreté, et c'est s'attaquer aux racines de la pauvreté «transmise», ce que vous recevez ou pas en héritage. Deuxième projet, la santé, un très grand projet. On va changer la manière dont la santé est organisée en France.
- Mais est-ce que la société politico-médiatique le reflète, pour vous, puisque vous êtes «libre»?
Vous savez bien, vous en faites partie, le défaut principal de cette société-là est qu'on fait des affaires, des scandales, avec n'importe quoi. On met sur le même plan des choses qui pourraient être graves et des choses sans poids. L'affaire Benalla par exemple, tout le monde voit de quoi il s'agit. Cette accélération, ce perpétuel orage, créés autour d'éléments qui n'ont pas de poids, sont relayés par les chaînes d'info en continu. 
- Vous avez dit qu'il faut donner du sens, est-ce que vous souhaiteriez qu'Emmanuel Macron s'exprime, s'adresse directement aux Français pour donner ce sens?
Je pense qu'il n'y a que le Président de la république qui puisse tracer le cadre, donner les grandes directions du projet qu'il applique et qu'il a proposé aux français. Il faut mettre en relation cet extraordinaire événement qui s'est passé au printemps 2017, l'effondrement des deux « tours jumelles », le PS et LR qui tenaient le monopole du pouvoir. On en perd le sens ou le sel, on croit que c'était un accident mais ce n'est pas le cas. C'était l'attente profonde des français et seul le Président de la République peut remettre en perspective l'action. On a besoin qu'il s'exprime. Je pense qu'il a fait ces deux discours très importants sur la pauvreté et la santé, et désormais je pense que le moment vient où il va devoir devant les Français rappeler le sens de son action et aussi ce qu'il a appris depuis 18 mois. 
- Vous avez suivi l'audition d'Alexandre Benalla devant les sénateurs, comment l'avez-vous trouvé?
J'ai trouvé que c'était une audition très intéressante. Je ne connaissais pas ce garçon, je l'avais vu une fois dans un journal télévisé. Mais là, c'était direct. C'est un homme très intelligent, et quand on met en relation cette personnalité avec son âge, alors on se disait qu'on comprenait tout d'un coup pourquoi le Président de la République avait eu tout d'un coup cette confiance en lui. Il a répondu à toutes les questions et l’on s'est rendu compte – en tout cas à mes yeux – que d'affaire Benalla, il n'y avait pas. Je pense qu'il est sorti du cadre en allant participer à une échauffourée où il n'aurait pas dû être avec des manifestants et forces de l'ordre. C'est répréhensible, mais ce n'est pas un crime. On a vu qu'il n’y avait rien de plus normal que la fonction qu'il occupait malgré sa jeunesse, et que probablement la majorité des attitudes à son égard vient du fait qu'il ne correspond pas au cadre habituel. 
- Alexandre Benalla a expliqué qu'il n'avait pas de fonction de sécurité opérationnelle à l'Elysée, qu'il n'avait pas d'avantages, qu'il a porté son arme à trois reprises, qu'il n'a jamais été policier ni garde du corps d’Emmanuel Macron. Vous le croyez? 
Je le crois. Et hier, ce qui se ressentait, c'est qu’au fond il n'y avait pas d'affaire ni de secret d'Etat, il n'y avait pas d'atteinte à la loi derrière ça. 
- Vous savez que quelques sénateurs l'ont trouvé malin, dissimulateur...
Un jeune-homme de vingt-sept ans, qui passe deux heures et demie devant une commission d'enquête formée de sénateurs très expérimentés et pour la plupart d'entre eux habiles dans le questionnement, et qui donne cette image de réponse directe, de présence, et qui n'évite aucun des obstacles, et bien je pense que ça ne correspond pas à cette critique. 
- Après 15 mois de présidence Macron, est-ce que votre diagnostic est le même que celui d'échec que vous prédisiez à François Hollande à l'époque? 
Non, ça n'est pas le même. Il y a des éléments qui sont des éléments d'inquiétude, mais je crois qu'Emmanuel Macron a en lui de quoi reprendre la maîtrise de ce grand projet. Ces dernières semaines, cette présence du projet porté par le Président de la République au sein de l'action gouvernementale s'était un peu effacée.
- Aujourd'hui, Emmanuel Macron rencontre les chefs d’Etat et de gouvernements de l'Europe à Salzbourg pour parler de l'avenir de l'Europe, et du problème des migrants notamment. On va assister à une confrontation Macron, Merkel, Sanchez face à Kurz, Salvini et surtout Orban. Le nationalisme est-il aujourd'hui en position forte? Comment lui répondre?
Je ne veux pas utiliser le mot «nationalisme» à tout bout de champ, la nation pour beaucoup de gens c'est important. Ce que je vois c'est de la démagogie: des dirigeants qui, au lieu de s'adresser au peuple en responsabilité, vont essayer d'exciter ces passions pour en tirer un avantage électoral, ce qui est extrêmement risqué. Au sein des peuples, lorsque vous excitez les passions contre tel ou tel alors vous êtes sûr d'arriver à un grave accident. L'Europe a une responsabilité essentielle, c'est ce que le Président de la république va dire, j'imagine, elle est de savoir comment on garantit nos frontières, l'action qu'on mène pour que les réfugiés puissent un jour demeurer dans leur terre, ce qu'on bâtit comme économie là-bas pour qu'ils puissent y rester...
- Les Républicains se sont accrochés avant-hier sur la conception de l'Europe d'Orban, ça a des conséquences en France... 
Vous voyez bien ce que ça veut dire. Ce qu'on appelle la droite européenne, le parti populaire européen, est en train de se fracturer sur cette question: L'Europe respecte-t-elle les valeurs qu'elle a elle-même proposées au monde, en fait-elle une richesse: on maîtrise l'immigration, on identifie les risques, on fait en sorte que nous participions au développement des pays qui sont en train d'exploser, à leur paix et à leur développement, ou bien on fait au sein de la population européenne une espèce de guerre civile. 
- Vous ferez partie des militants européens progressistes?
Je n'aime aucun de ces mots. Je suis quelqu'un qui, toute sa vie, a cru ou su qu'on ne pouvait pas imaginer un avenir pour nos pays si nous étions chacun pour soi, sinon on est mort. Vous avez en face de vous Trump, Poutine, la Chine, trois dirigeants extrêmement déterminés et qui font prendre des risques au monde. Si nous sommes isolés en face de ces risques nous n'avons pas la moindre chance d'imposer la moindre idée. 
- Je sais que vous allez avoir les universités d'été du Modem, vous restez dans la majorité autour de Macron...  
Engagé et exigeant. 

► RTL
- Vous avez dit: «je suis inquiet que la perspective de la politique actuelle, celle que mène Emmanuel Macron, soit uniquement gestionnaire et conservatrice». Gestionnaire et conservatrice? 
Ces derniers jours, on a eu les deux contre-épreuves. Quelle est mon inquiétude ? Quelle était l'inquiétude que j'ai exprimée là? Les Français n'ont pas élu, en Emmanuel Macron, un président gestionnaire, ni une technocratie. Ils ont élu, au contraire, un projet. Et ce projet ne peut être qu’un projet de société, pas un projet de gestion, d’économie,… Avec le plan pauvreté et le plan santé, le président de la République a montré - peut-être cela ne s'est pas encore entendu, et peut-être qu’il faut le souligner - que son projet n’était pas un projet gestionnaire. C'était un projet pour remodeler la société française, et pour que trouvent leur place ceux qui ne l'ont pas ou ceux qu’ils ne l'ont pas encore.  
- Cela veut dire que ces deux contre-exemples comme vous dites, viennent vous rassurer parce que ce qui a précédé, pouvait être une gestion trois gestionnaire, trop «techno»? Vous allez d’ailleurs faire un livre là-dessus.
Je ne veux pas être déplaisant mais je suis d'une franchise absolue. La preuve, vous venez de citer une phrase. Je pense que le moment où nous sommes, dans l'histoire de notre pays, sans vouloir employer de grands mots, c'est le moment où l’on a besoin de réaffirmer que le projet français n'est pas seulement un projet d'adaptation au monde comme il va, c'est-à-dire, au monde des rapports de force, au monde du plus fort et au monde du plus riche. Le projet français, c'est autre chose. C'est le monde du plus juste, ou en tout cas c'est la recherche du monde du plus juste. Ce qui se passe à l'Education nationale, pour moi, qui ai exercé cette responsabilité, c'est une renaissance. On a vécu des années précédentes dans lesquelles, l'Education nationale était peu à peu vidée de sa mission essentielle, la mission de transmission des fondamentaux et des humanités: au fond la culture générale, donner à chaque enfant la boussole pour se retrouver dans la jungle dans laquelle nous vivons, la jungle d’internet, etc. On avait le sentiment cruel que c'était en train de disparaître. Et j'avais, comme beaucoup – mais peut-être parce que mon histoire personnelle est celle d'un parent et d'un professeur quand j'étais jeune – j'avais le sentiment que l’on était en train de perdre l'essentiel. Cela se reconstruit et cela se reconstruit de manière absolument tangible: la preuve c'est le dédoublement des classes au cours élémentaire dans les milieux difficiles. 
- Cela manque un peu d'explications? C'est un peu la tarte à la crème: quand un gouvernement est en difficulté, c’est qu’il n’explique pas suffisamment, qu’on ne voit pas sa vision…
L'action du gouvernement ne peut pas se résumer à des réformes successives. Car les réformes, on ne sait pas exactement dans quel sens elles vont. Et il peut y avoir des réformes qui vont dans un très bon sens et des réformes qui vont dans un moins bon sens. Ce n'est pas la réforme pour la réforme. On a besoin de replacer dans un cadre, qui soit le cadre d'un projet d'une nation pour elle-même. 
- Et c’est au président de la République de le faire?
Et c’est au président de la République de le faire, en donnant la dimension des objectifs à atteindre. C'est au président de la République de le faire, et je crois que personne ne peut le faire à sa place.
- J'ai deux questions rapides: vous aviez dit pendant la campagne, à Emmanuel Macron, de mémoire: «Vous n'avez pas l'âge qu'il faut pour être président. Mais ce n’est pas grave». Bref, vous manquez peut-être un peu d'expérience. Est-ce que c'est un souci? Est-ce qu’il y a un peu un manque d'expérience dans ce qui se passe en ce moment ?
Je pense que le problème est davantage, ou au moins, le problème des équipes qui l’entourent que le sien propre. Parce que lui, l’expérience, il va l’acquérir vite. En tout cas, les tempêtes, les orages, les difficultés, ça forme. En revanche, il est arrivé aux responsabilités avec autour de lui des équipes qui, elles, n'avaient pas toute cette expérience de grandes responsabilités.
-  a l'Élysée, à Matignon ? 
Autour de lui, dans le système de l'exécutif. Et d'ailleurs, c'est vrai aussi dans le législatif, c'est vrai dans les assemblées.
- Un dernier mot encore. L'affaire Benalla. Vous ne comprenez pas que le président lui-même conteste le droit du Sénat d'investiguer, d'auditionner par exemple son ex-collaborateur, ce matin. 
Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. Je ne crains pas du tout cette audition, et je ne vois pas ce qu'on pourrait trouver. C'est une affaire, à mes yeux, transparente. C'est -à-dire celle d’un jeune homme plongé dans l'univers du pouvoir, nimbé de ce pouvoir, et qui tout d'un coup perd le sens des réalités, et se met à avoir des attitudes de cow-boy pour simplifier. Donc pour moi, c'est très simple. Et je pense que le Sénat va aller exactement dans le sens de ce qu'il a dit, c'est-à-dire comprendre l'organisation de l'Élysée. Il n’y a pas grand-chose à essayer de comprendre, il y a pas de secret dans tout ça, il n’y a pas de secret d'État, profond, dissimulé. Tout cela, c'est un fantasme. En revanche, le président de la République a la responsabilité, c'est la Constitution elle-même qui le dit, de veiller à l'équilibre des pouvoirs. Chacun doit être dans son rôle. Je ne veux pas dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ce n’est pas ma manière de voir, mais je pense que chacun doit être dans son rôle, et qu'il n'y a rien à craindre dès lors que chacun est dans son rôle, parce qu’au fond, c'est cet équilibre que les Français veulent: ils veulent du pouvoir, de l'autorité, et ils veulent des contre-pouvoirs qui sont un bienfait pour cet équilibre démocratique.


Une Semaine en Centrisme. Bayrou-Fesneau ou le méchant versus le gentil flic?

François Bayrou & Marc Fesneau
Après avoir été silencieux pendant des semaines, François Bayrou n’arrête plus de s’exprimer dans les médias alors que l’université d’été de son parti se déroule ce week-end.
Après Le Figaro, TF1, RTL, il est intervenu sur Cnews sans oublier son discours à ces universités qui sera retransmis et quelques interviews qui suivront.

Et le message du président du MoDem est clair, il faut tenir le cap, ne pas trahir les électeurs de Macron avec un discours où il rappelle qu’il soutien toujours ce dernier mais aussi d’une grande bienveillance avec l’opposition, notamment sur la commission d’enquête du Sénat sur l’«affaire Benalla».

De son côté, Marc Fesneau, le président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, donne désormais de nombreux interviews, lui qui est sortit de l’ombre pour le grand public en recueillant 86 voix (soit plus du double des députés de son parti) lors de l’élection au perchoir de cette même assemblée.

Il est en train de s’imposer comme le numéro deux du parti, rôle dévolu jusque là à Marielle de Sarnez, la fidèle d’entre les fidèles de Bayrou.

Si ses propos sont très proches de ceux de son mentor et président, ils divergent sur deux points fondamentaux.

Fesneau est dans une bienveillance, non seulement à l’égard de Macron mais aussi du gouvernement d’Edouard Philippe et de LREM (il salue les deux réformes à venir sur la pauvreté et la santé et comprend le report de la réforme des institutions) et se montre très sceptique sur la commission d’enquête du Sénat à propos de l’«affaire» Benalla.

Si Bayrou s’est fendu d’un commentaire positif sur ces réformes et d’une phrase de soutien au Président de la république, il a été noyé dans un discours très critique sur le fonctionnement du pouvoir en place.

Et l’on se rappelle qu’il a plusieurs fois vitupéré sur les abandons de mesures dans la réforme des institutions.

De plus, il n’a pas cessé de légitimité la commission du Sénat dont les objectifs avoué est de s’en prendre à la légitimité d’Emmanuel Macron, même s’il estime que l’«affaire» Benalla n’en est pas une.

On serait tenté de voir dans ces deux comportements, une différence d’appréciation politique (ce que Bayrou n’a jamais vraiment supporté de ces subordonnés) ou, peut-être le fameux duo gentil (Fesneau)-méchant (Bayrou) flics (ou, si l’on préfère, le gentil versus le méchant centriste)…

S’il s’agir d’une différence politique, les rapports entre les deux hommes devraient se tendre dans un avenir proche tant la ligne Bayrou est la ligne officielle sans discussion aucune.

En revanche, s’il s’agit de la stratégie gentil-méchant, le message envoyé au Président de la république, au Gouvernement et à LREM pourrait se résumer à «nous sommes toujours avec vous, nous nous voulons des alliés fidèle mais faites-nous enfin toute la place que nous affirmons mériter dans la majorité présidentielle ou nous pourrions aller au clash».

Une troisième analyse est possible.

Aujourd’hui, François Bayrou intervient comme quelqu’un d’extérieur aux travaux parlementaires, ce qui le coupe d’une réalité quotidienne que Marc Fesneau vit tous les jours avec ses collègues de LREM.

De plus, Fesneau ne peut oublier comme tous ses collègues du Mouvement démocrate à l’Assemblée nationale, qu’ils n’ont été élus que grâce à la volonté de Macron de leur faire de la place dans la majorité présidentielle et que, jusqu’à preuve du contraire, ils ne pourront sauver leurs sièges qu’en demeurant des alliés fidèles.

Pour autant, qui peut croire que Bayrou est déconnecté du jeu politique?

Alors, il s’agit peut-être des prémisses de la bataille des anciens contre les modernes qui toucherait enfin le MoDem (après avoir chamboulé tous les autres partis).

Ce qui expliquerait la volonté d’opposition soft de Bayrou à la «macronie» qui serait  pour lui un moyen d’exister politiquement en externe et en interne.



Alexandre Vatimbella

Directeur du CREC

Jean-Louis Pommery

Directeur des études du CREC




L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. La démocratie nécessite un peuple démocratique

Sans cadre démocratique pas de démocratie, dit-on fort justement.
Mais cette sorte de tautologie se double d’une autre: sans peuple démocratique pas de démocratie.
Il ne suffit pas de décréter la démocratie, ni même de la mettre en place si le peuple refuse de l’appliquer.
C’est d’autant plus vrai dans notre XXI° siècle commençant.
Non seulement il faut un peuple qui adhère à l’idéal démocratique, à ses règles, à ses principes et à ses valeurs, mais un peuple qui pratique effectivement et concrètement la démocratie.
Or, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas, loin de là.
Et au lieu d’être dans une courbe ascendante, cette adhésion (qui demeure encore majoritaire dans la plupart des démocraties républicaines) et, surtout, cette pratique sont de plus en plus écornées, voire abandonnées.
Dans une démocratie, le peuple ne peut pas être passif, voire seulement indifférent, comme c’est le cas dans une dictature ou une autocratie, il doit être actif.
Si le pouvoir démocratique doit rendre des comptes, le peuple démocratique le doit également.
Pas au pouvoir mais à la collectivité toute entière.
In fine, la démocratie est le seul système politique qui demande la participation active de l’individu en tant que citoyen pour fonctionner alors que dictature et autocratie espèrent un peuple atone (sauf pour célébrer les chefs) et un individu replié sur sa sphère privée.
Attention, lorsque je parle de participation active, celle-ci se concrétise surtout dans l’acceptation des règles, des principes et des valeurs et dans la mise en pratique de ceux-ci.
Il ne s’agit pas pour tous les citoyens de les obliger à s’impliquer dans un engagement politique précis, même si cela serait sans doute positif et efficace dans l’ancrage démocratique d’une société.
Les partisans de la démocratie ont su, dès le départ, que le chemin serait long pour l’avènement d’un peuple démocratique.
Certains, en doutant que ce fut possible, ont multiplié les garde-fous et les pare-feux qui ne sont jamais éternels.
D’autres ont espéré dans une évolution qui, bien sûr, a eu ses à-coups avec les régimes autocratiques du XIX° siècle, les dictatures du XX° siècle au premier desquelles trônaient le nazisme, le fascisme et le communisme.
L’idéal démocratique a repris son élan après le carnage de la Deuxième guerre mondiale puis après la chute du Mur de Berlin et le massacre de la place Tienanmen.
Mais la mémoire des peuples est chose bien fragile malheureusement, tout comme leur sagesse et, pire, leur propres intérêts.
Du coup, les ennuis périphériques à la démocratie (comme les errements et les fautes dus au fonctionnent frauduleux des modèles économiques et financiers capitalistes par des organisations et des individus souvent véreux) et une lassitude incompréhensible à vivre libre, ont ravivé les mouvements anti-démocratiques, extrémistes et populistes qui ont retrouvé l’oreille de peuples qui n’est souvent pas capable d’analyser une situation dans la durée, d’autant que les médias ne jouent pas ce rôle fondamental d’information en la matière, se focalisant sur l’instant et l’événement sans recul, sans explication, sans vision historique du moyen et long terme.
Enfin, il est important de rappeler que la démocratie libérale ne tire pas sa légitimité du peuple et encore moins de son acceptation par ce même peuple et ce même si, étymologiquement démocratie signifie le pouvoir du peuple (du grec dêmos, peuple, et kratos, pouvoir).
Non, de par sa nature libérale (qui est consubstantielle à sa caractéristique d’institutions faisant que ses gouvernants sont élus par le peuple), elle est le régime de la liberté pour tous et pour chacun, c'est-à-dire qu’elle s’impose comme le système légitime dès lors qu’un seul membre de la communauté la revendique à son profit.
D’ailleurs, même si aucun d’entre eux ne le demande, elle s’impose tout de même pour l’intérêt bien compris des générations à venir.
Pour autant, si le peuple ne peut révoquer la démocratie, pour son bon fonctionnement, il doit la pratiquer pour qu’elle soit un processus constamment en marche et en amélioration pour se rapprocher de son idéal.
Car, contrairement à ce que pourront prétendre certains, il n’est pas question de véritable démocratie sans le peuple.
Cependant, ce n’est qu’un peuple éclairé et responsable qui peut pratiquer la démocratie de manière satisfaisante.
D’où la nécessité du savoir et de l’information afin de permettre au citoyen de, tout à la fois, rechercher son intérêt et respecter celui de l’autre.
La démocratie libérale n’est pas autre chose.
Espérons donc que les comportements actuels qui détruisent, de l’intérieur, les démocraties ne soient que passagers.
Néanmoins, si tel n’était pas le cas, cela ne remettrait pas en cause cette évidence que personne n’a pu, jusqu’à présent, contredire avec des arguments définitifs: la démocratie républicaine libérale est le meilleur système.
Et que ça vaut le coup de se battre pour elle, pour cet idéal, pour cet espoir.