vendredi 31 octobre 2014

Vues du Centre. Jean-Christophe Lagarde – Hervé Morin: Pourquoi je suis centriste

Nous publions ici les entretiens que le directeur du CREC, Alexandre Vatimbella a eu avec Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin. Ils ont été réalisés à l’occasion du deuxième tour de l’élection pour la présidence de l’UDI où les deux hommes, le premier président de Force européenne démocrate, le deuxième du Nouveau centre, sont les finalistes et où l’un des deux sera, donc, le prochain président de la formation centriste à partir du 15 novembre.
Les mêmes questions ont été posées aux deux candidats.
Notre objectif dans cette entreprise n’est ni la polémique, ni une prise de position pour l’un ou l’autre des candidats et encore moins des questions pièges mais de permettre à Jean-Christophe Lagarde et à Hervé Morin de dire ce que sont pour eux le Centre et le Centrisme et pourquoi ils se considèrent comme centristes ainsi que leur projet politique.
Ceci est en rapport avec la mission que s’est assignée depuis maintenant près de dix ans, en 2005, le CREC.
Celle-ci est double:
- Donner un éclairage de ce qu’est le Centre et le Centrisme, d’abord;
- Discuter du Centre, du Centrisme et des centristes dans ce qu’ils sont et ce qu’ils font actuellement par des analyses et des commentaires.
Dans ce cadre, il s’agit de donner la parole à deux leaders centristes qui s’affrontent pour la présidence du principal parti centriste et qui développent deux visions personnelles de ce qu’est le Centre et le Centrisme qui pourraient bien être, l’une ou l’autre, voire l’une et l’autre, celles qui domineront les prochaines années et les prochains rendez-vous électoraux dans l’espace centriste.

- Qu’est-ce que le Centre pour vous?

Hervé Morin: Pour moi, le Centre, c’est une exigence personnelle, intellectuelle et politique. Croire en une communauté de destins là où règne l’individualisme. Croire en une société d’équilibre quand progressent les extrêmes. Croire que la liberté peut se conjuguer avec la justice et la responsabilité. Croire que la force vient de l’équilibre des pouvoirs et non du renforcement de l’un d’entre eux. Croire que derrière les nations il y a l’Europe.

Jean-Christophe Lagarde: C’est la force centrale de la vie politique française. Ce n’est pas les «modérés», le «marais» ou l’«entre-deux». C’est le rassemblement de ceux qui partagent les valeurs de l’humanisme et du fédéralisme.
L’humanisme est le contraire de ce que prône le Parti socialiste, qui privilégie la notion de classe sur l’individu, ou de ce que prône la Droite qui est dans un individualisme cherchant à donner satisfaction à chaque personne, à ses besoins, à ses fantasmes pour essayer de les agréger électoralement. Mais que ce soit pour le Parti socialiste ou pour l’UMP cet individualisme a fini par monter les groupes les uns contre les autres. Pire encore cela a contribué à effacer du discours politique le fait que pour obtenir un résultat il fallait du temps, des efforts et en mesurer l’impact sur les autres et même sur l’environnement.
Ce n’est pas l’accumulation des satisfactions des désirs individuels qui fait une société. C’est au contraire le projet que l’on peut partager et l’environnement que l’on crée autour de chaque personne – environnement économique, politique, social, environnemental – qui permet son épanouissement.
Je ne crois pas que le Centre soit un équilibre, c’est une doctrine politique basée sur l’humanisme et le fédéralisme, doctrine politique qui a été abandonnée par ses acteurs.
J’ajouterai d’ailleurs une troisième valeur moins connue de nos adhérents, le solidarisme qui est commun, à la fois, à la branche démocrate-chrétienne du Centre et à la branche laïque, la branche radicale. Elle n’a plus n’a pas été porté, et depuis longtemps, alors qu’elle nous relie à toute la société mutualiste et à cette idée qu’à chaque fois on préfère le contrat à la loi, que la loi encadre parfois le droit de faire des contrats.
Et puis nous sommes des fédéralistes, qu’il s’agisse de l’Union européenne mais aussi de la reconstruction des territoires.
Depuis la conférence de presse du général de Gaulle, qui nous avait traités de cabris, nous avons fini par nous persuader que le mot fédéralisme faisait peur en France. Résultat des courses, la construction de l’Europe se fait depuis une vingtaine d’années, en tout cas depuis 22 ans, depuis Maastricht, dans une logique qui doit aboutir au fédéralisme sans qu’on n’ose le dire aux français.
Ainsi l’euro est une monnaie fédérale et non commune et la Banque centrale européenne est une banque fédérale et non centrale.
Nous avons peur de quoi? Je souhaite que nous assumions totalement notre identité fédéraliste qui n’est pas la fin de la France. C’est au contraire la reconquête de notre souveraineté, perdue ou illusoire au niveau national, pour que nous ayons dans un gouvernement de la zone euro, ou d’une zone plus restreinte si certains ne veulent pas aller plus loin, qui partage la même stratégie monétaire, la même stratégie industrielle, la même stratégie commerciale et la même stratégie énergétique et de transition énergétique. Ce sont à mes yeux les enjeux les plus importants que nous ayons devant nous pour ne pas subir la loi des grands ensembles internationaux qui sont en train de se constituer.
Et ceci doit être porté. Beaucoup de nos amis ont renoncé à le faire parfois par euro-béatitude. On a pris la sale manie dans la sphère du Centre de dire que tout ce qui venait de l’Europe était bien alors qu’il y a des choses à corriger.
Mais la pire des manies c’est de ne plus dire quel est l’objectif.
Quand les Pères fondateurs de l’Europe ont créé la Communauté du charbon et de l’acier, c’était avec l’idée que tout cela aboutirait à des Etats-Unis d’Europe. Sans doute ma génération ne les connaitra pas, mais ce n’est pas une raison pour ne pas avancer et pour renoncer à montrer un chemin.
Quand on a fait la CECA, la politique agricole commune, le SME c’était une stratégie de petits pas mais il y avait une perspective. Depuis Maastricht, on a cessé de montrer la perspective. C’est de notre devoir de la montrer et de l’assumer de nouveau.
Et puis nous sommes fédéralistes, girondins, quand il s’agit d’écrire les territoires. Cela fait quinze que nous disons qu’il faut réécrire la gouvernance territoriale française avec deux axes.
D’abord avoir des régions qui ont un niveau de pertinence et de dynamisme économique qui est suffisant pour rayonner au moins au plan européen, pour certaines d’entre elles au plan mondial. Cela nécessite des regroupements mais pas arbitraires comme ceux que l’on est en train de faire. Notre fédéralisme se construit à partir de ce que les acteurs politiques, économiques et sociaux d’un territoire portent comme projet. Mais il faut qu’il y ait un projet derrière sinon ce sera un échec.
Ensuite parce que vouloir apporter la même solution à tous les territoires du pays conduit à un échec systématique. Et dans un monde qui est plus souple, plus rapide, il faut être, à partir des territoires, imaginatifs, diversifiés, créatifs, ambitieux et tournés vers l’extérieur.
L’humanisme et le fédéralisme sont les deux valeurs qui sont une réponse à la crise que nous subissons à la fois pour rendre la France plus mobile et pour reconquérir les souverainetés qui nous ont échappé.
Quant au solidarisme c’est une valeur que nous devons réécrire et que nous avons malheureusement laissée de côté alors qu’elle correspond à notre vision mutualiste de la société et également que nous préférons le contrat à la loi.
Quant au Centrisme, pour moi, ce n’est pas un équilibre ou un milieu mais une détermination, un chemin tracé à partir des deux valeurs que sont l’humanisme et le fédéralisme.
Je me bats contre l’héritage d’une génération qui a fait perdre le Centre, qui a dispersé les centristes faute d’avoir conservé et identifié ce qui nous rassemble et ce en quoi cela répond aux problématiques de la société française.
Je veux que l’on reprenne les problématiques de la société française à partir de cette grille de lecture simple que sont nos valeurs. Et je souhaite que l’UDI se dote d’un projet dont la colonne vertébrale sera d’être l’avocat de nos enfants. Nos générations ne peuvent pas plus longtemps acheter leur confort du moment à crédit, au détriment de l’avenir de nos enfants.


- Pourquoi êtes-vous centriste?

Hervé Morin: D’abord parce que je suis un rebelle par nature. J’ai eu une relation conflictuelle à l’ordre et à l’autorité quand j’étais jeune et il m’est resté de cette époque l’exécration du chef charismatique. Je n’aime pas, ce qui est curieux pour un ancien ministre de la Défense, les systèmes top-down, les hiérarchies rigides. J’aime les sociétés participatives, j’aime l’écoute, j’aime la bienveillance.
J’ai beaucoup lu, quand j’étais jeune, la philosophie anarchiste. J’étais très attiré par cette pensée et l’idée qu’il existe quelque chose de plus précieux que tout, l’homme.

Jean-Christophe Lagarde: Parce que je pense que le rôle de la vie politique, c’est deux choses. D’une part il s’agit de tracer des perspectives de long terme pour le peuple français qui est très politique et dont l’identité n’est pas basée sur sa langue, sa culture, etc. mais sur un projet politique depuis la Révolution française. Les Français ont besoin d’un projet qui les porte loin. Un projet qui satisfasse notre envie d’universalité, parce que c’est propre au caractère français, et en même temps qui permette d’avoir une raison sur le long terme de vivre ensemble, de travailler ensemble, de fournir des efforts ensemble. Et pour que vous puissiez avoir des politiques de long terme il faut trouver, après débat, des consensus durables.
On ne peut pas reconstruire l’école, qui n’a plus de républicaine que le nom, si les politiques changent tous les cinq ans. Comme on ne peut pas avoir un système fiscal efficace si on change les lois fiscales tous les ans.
Il y a beaucoup de politiques qui nécessitent du long terme.
Et, paradoxalement, moins la Droite et la Gauche ont de différences entre elles, moins il y a de consensus sur les grandes questions comme l’école, les institutions, la politique de la défense, la sécurité sociale, etc.
D’autre part, parce que la politique est faite pour trancher des aspirations contradictoires d’une société. Je ne pense pas que se faire le défenseur d’une classe – que ce soit les plus aisés ou les plus pauvres – soit une façon de gouverner un pays. Le moment où l’on tranche on doit le faire en équité et en efficacité ce que l’on ne peut pas faire quand on est défenseur d’une classe ou d’une autre.


- Quelles sont les valeurs principales du Centre selon vous?

Hervé Morin: Le caractère sacré de la personne ; l’obsession de la préservation de la liberté d’où l’attachement à l’équilibre des pouvoirs ; l’attachement à la responsabilité mais aussi à la solidarité envers ceux qui doivent faire l’objet de plus d’attention que les autres ; un catamaran qui pour voguer au grand large s’équilibre entre la liberté et la justice.
Je suis très étonné de voir que les Français qui sont très attachés à l’idée d’égalité tolèrent par exemple autant d’inégalités avec notre système éducatif qui n’a jamais été aussi inégalitaire et qui est de moins en moins performant. Regardons aussi ce système de formation professionnelle qui ne donne pas de deuxième chance à ceux qui sont à terre, ce système de retraite lui aussi inégalitaire, ce système de santé qui va progressivement vers de plus en plus d’inégalités. Sans parler des inégalités entre territoires.
Et bien entendu, pour nous, l’identité européenne fait partie de notre ADN. Il nous faut poursuivre notre destin européen. Nous avons été les premiers dans l’histoire de l’humanité moderne à construire un système de coopération entre les Etats reposant sur un ordre juridique qui s’imposent à eux. Ce système c’est le système qui devrait inspirer le monde.

Jean-Christophe Lagarde: L’humanisme, le fédéralisme, le solidarisme, c’est le socle du Centrisme. Et ne pas considérer qu’une idée est forcément bonne parce qu’elle vient de son camp ou qu’elle est forcément mauvaise parce qu’elle vient du camp d’en face. C’est pour cela que l’on est souvent caricaturé, nous les centristes. Mais il s’agit en réalité de la capacité d’une ouverture d’esprit, de se poser la question, sujet par sujet, plutôt que d’avoir un réflexe pavlovien qui voudrait que l’origine de l’idée en ferait la qualité.


- Vous sentez-vous plus de centre-droit ou du Centre?

Hervé Morin: Je me sens du centre-droit parce que le PS tel qu’il est ne peut être une alternative et que le système institutionnel oblige à choisir. Je suis aussi du centre-droit parce que je suis très attaché à la liberté, à la responsabilité. Mais, en réalité, le problème du centrisme, ce n’est pas vraiment les centristes mais les socialistes qui considèrent que leur salut électoral ne vient que de la gauche de la Gauche.
On reproche aux centristes d’être toujours à droite tout simplement parce que les socialistes ne s’imaginent pas être ailleurs que dans une alliance avec leur gauche.

Jean-Christophe Lagarde: Je me sens plus du Centre. Mais nous sommes nécessairement au centre-droit parce que les institutions de la V° République imposent un système binaire.


- Quel est votre projet et votre ambition pour l’UDI?

Hervé Morin: De l’UDI, je veux faire une famille. Nous sommes une organisation mais nous ne sommes pas une famille capable de travailler vraiment en équipe, de prouver que l’on peut faire de la politique avec enthousiasme, gaieté, complicité, que l’on peut à quelques-uns renverser des montagnes.
Et puis c’est aussi démontrer notre capacité à continuer l’œuvre de reconstruction du Centre de Jean-Louis Borloo, c’est-à-dire construire un projet à partir des territoires. C’est enfin ne pas se refermer sur nous-mêmes mais associer à notre projet pour 2017 toutes les forces qui veulent y participer.

Jean-Christophe Lagarde: Je souhaite d’abord que nous retrouvions nos racines. Quinze ans de séparation des différentes racines philosophiques du Centre ont fait perdre de vue à beaucoup ce que nous portons. La démultiplication des aventures individuelles, des parcours individuels, chercher à se placer près de ceux qui détiennent le vrai pouvoir, a fait perdre à nos militants, à nos élus, à nos dirigeants l’idée que nous portions un projet politique et une ambition politique.
Je pense que l’éclatement de l’UDF qui a eu lieu en 1998 et en 2002, est né en réalité dans les années 1985-1990 quand nous avons cessé de réfléchir ensemble. Nous nous sommes contentés de répéter que nous étions européens, décentralisateurs et sociaux, sans mettre de contenu dedans.
Et pendant toutes ces années la France s’est formidablement transformée dans ses structures économique, sociale, familiale, politique, médiatique et nous n’avons pas mis à jour les logiciels centristes.
Pour que nous puissions avoir une ambition et un projet collectifs, il faut que nous mettions à jour ces logiciels, c’est notre première priorité et que nous soyons capables de les expliquer simplement aux Français.
Cette évolution, le Centre doit savoir la faire et il ne l’a pas faite ces vingt dernières années.
Il convient aussi de passer d’un parti de notables modérés et ruraux à un mouvement beaucoup plus urbain et populaire. Dans les quartiers populaires de mon département de la Seine-Saint-Denis, beaucoup de gens sont accessibles et disponibles à ce que nous disons. Je ne peux pas comprendre que certains de nos amis croient que la sociologie détermine le vote d’une population. La politique, c’est d’abord la volonté!
C’est très frappant de voir que mon département qui votait à 25% pour l’extrême-droite il y a encore vingt ans se soit donné autant de maires centristes. Ce qui démontre que nous correspondons à une frange urbaine et populaire de la population à laquelle nous ne parlons pas assez.
D’autre part, la France est parvenue à un tel corsetage de la société, par des règles et des normes dont on croit qu’elles nous protègent contre les changements du monde, alors qu’elles ne font que rigidifier la société française dans un monde plus mobile. C’est ce qui signe notre échec par avance.
On a besoin de dérèglementer, de contractualiser pour garantir les temps longs et de simplifier le fonctionnement de la société française.
Car la société française est beaucoup plus convaincue que ne le croient ses dirigeants politiques que des transformations – je n’emploie plus le mot réforme parce qu’il a été si galvaudé – sont nécessaires pour que nous nous adaptations au monde nouveau.
Il y a un changement dans le monde auquel se refusent les dirigeants car ils ont peur que les Français ne soient pas capables de le comprendre et de l’accepter. Sauf que le peuple français dans sa vie quotidienne, dans son travail, est bien obligé de s’adapter chaque jour. La société française est en avance sur ses dirigeants politiques.
Moi, je souhaite que l’UDI soit le parti de ceux qui vont reprendre de l’avance sur la société et qui vont démontrer quelles sont les transformations nécessaires dans notre pays.
Il faut que nous soyons capables de remettre à l’ordre du jour une république véritable, que ce soit dans le domaine de l’éducation nationale qui doit redevenir un ascenseur social, dans sa fiscalité qui doit être efficace et équitable, dans son pacte économique et social pour ne pas avoir des salariés surprotégés et des chômeurs sur-condamnés.
En réalité, il faut que l’on puisse réécrire la République sur un de ses principes fondateur presque oublié, celui du mérite.
Enfin, je souhaite que l’UDI traite de tous les sujets, y compris ceux que nous n’avons pas l’habitude d’aborder, que nous n’aimons pas aborder. Je pense que c’est parce que nous sommes, nous républicains, absents de champs comme l’immigration, la sécurité ou la laïcité, qu’un boulevard est ouvert à l’extrême-droite.
Il faut aussi que nous sachions remettre en cause des politiques européennes qui ne marchent plus comme Schengen, avec la libre-circulation à l’intérieur de l’Union européenne des personnes qui viennent de l’extérieur. C’est à nous de réparer les horloges européennes qui ne fonctionnent pas. Sinon nous ferons la place belle à ceux qui veulent détruire le projet européen.


- Etes-vous, oui ou non, pour le principe d’une candidature d’un centriste à la présidentielle de 2017?

Hervé Morin: Devons-nous avoir un candidat à l’élection présidentielle? Je réponds non si c’est pour faire 3 ou 5 pour cent. La présidentielle, c’est un objectif mais c’est aussi la résultante d’une dynamique politique. Ce n’est pas une fin en soi et un postulat. Nous verrons en 2016 où nous en serons. En tout cas, je ne veux pas d’aventure individuelle. Elle nous serait mortelle. Je veux que la décision appartienne à la collectivité des militants.
Au moment où je vous parle – même si les choses peuvent changer – le seul qui est en capacité de faire un bon score c'est Jean-Louis Borloo.

Jean-Christophe Lagarde: Je souhaite évidemment qu’il y ait un candidat centriste à l’élection présidentielle de 2017 même si je reconnais que les conditions peuvent apparaître difficiles. Mais j’observe que les Français sont à la recherche d’autre chose et n’ont pas de nostalgie du pouvoir précédent. Cet autre chose ne doit pas être les extrêmes. C’est bien pour cela que l’on a construit l’UDI avec Jean-Louis Borloo. C’est pour que les Français ne soient pas coincés entre d’une part deux mouvements qui ont échoué, alternativement et successivement, et d’autre part les démagogues, les populistes et les extrémistes.
Si je suis élu Président de l’UDI, nous choisirons tous ensemble, en 2016, qui devra porter nos valeurs et nos couleurs et selon quel processus. D’ici là, nous devons nous réapproprier les valeurs qui sont les nôtres, les montrer et traduire ce que cela veut dire dans notre projet politique.


- Les partis centristes peuvent-ils devenir majoritaires?

Hervé Morin: Il y a un temps où les cycles se terminent. Je pense que nous sommes à la fin d’un cycle politique. Notre système institutionnel est à bout de souffle et les Français s’en rendent compte. Il est facteur d’impuissance et de défiance. Par ailleurs, le débat profond qui s’engage au Parti socialiste entre socio-démocrates et socio-collectivistes et le débat entre la droite dure et la droite modérée au sein de l’UMP feront du centre une des clés essentielles de la présidentielle de 2017. Une grande partie du débat convergera vers nous.
Il y a pour nous, centristes, l’opportunité d’écrire ce nouveau cycle politique. L’UDI pourrait ainsi devenir l’avant-garde et le fer de lance d’une nouvelle majorité.

Jean-Christophe Lagarde: Oui. Je pense qu’ils le sont déjà dans la population mais qu’ils ne s’en donnent pas les moyens faute de défendre notre propre vision de la société.
On parle beaucoup en ce moment de notre indépendance. Cette indépendance ne se justifie que parce que nous avons une vision de la société différente des autres partis et de la façon dont elle doit évoluer.
Mais pour que nous le devenions réellement, il faut, à la fois, revisiter nos projets politiques en fonction des trois valeurs que j’ai définies et travailler avec les gens qui nous correspondent.
Nous devons vivre et combattre ensemble, nous centristes, pour lutter contre l’individualisme forcené qui est en train de détruire notre société à travers les projets de l’UMP et du PS.


- Pourquoi le Centre est-il un allié naturel de la Droite selon vous?

Hervé Morin: Parce nous avons des valeurs communes. On en a moins avec les socialistes. La dépense publique nous oppose. Poursuivre l’augmentation des prélèvements obligatoires n’est pas une bonne politique pour la France.

Jean-Christophe Lagarde: Tour simplement parce que dans la V° République, dans un système binaire, l’élection principale qui se trouve être l’élection présidentielle, fait qu’il n’y a qu’une seule personne qui entre à l’Elysée et que ce n’est pas possible autrement. Il se trouve que la Gauche a, à la fois, une alliance avec le Parti communiste, avec une partie de la Gauche qui est collectiviste et qu’en même temps elle a une vision de l’économie qui est profondément décalée par rapport à la réalité. Elle est restée les pieds plantés dans le XIX° siècle c’est-à-dire dans l’idée que nous seuls, dans notre pays, nous allons pouvoir avoir un modèle économique original, différent des autres. C’est faux. Au XXI° siècle, forcément, par les échanges d’informations, de matières premières, de produits manufacturés, de services, nous sommes interdépendants. La France ne peut pas y échapper. Et c’est toute l’escroquerie du tandem décliniste Le Pen et Mélenchon, qui sont les deux faces d’une même «monnaie», qui veulent nous expliquer que la France sera plus heureuse claquemurée dans des frontières illusoires et des lignes Maginot qui n’ont jamais fonctionné, une France rapetissée et ayant peur du monde.
Je pense que c’est, à la fois, contraire à notre esprit national et à notre intérêt. On peut toujours, comme monsieur Montebourg, se poser la question de savoir si c’est bien ou mal la mondialisation. On peut même décider de vivre en autarcie. Sauf que c’est impossible et que ça ne sert à rien car le monde n’attend pas la France pour écrire sa façon de vivre. Alors il faut nous transformer pour dominer la mondialisation et ne plus la subir. Savoir si la mondialisation est une bonne ou une mauvaise chose est aussi stupide que de se demander si le jour se lèvera demain. Comme il se lèvera, vous avez intérêt à vous préparer à ce qu’il se lève. Moi je souhaite que l’on montre aux Français qu’en s’y préparant, on est capable de dominer et d’utiliser à notre profit ce phénomène qui, de toute façon, s’impose à nous.


- L’UDI et le Mouvement démocrate peuvent-ils fusionner?

Hervé Morin: Non et ce n’est pas le sujet. Je pense que nous avons bien fait de faire la campagne européenne ensemble mais qu’il y a aujourd’hui trop de cicatrices pour nous réunir. Je trouve d’ailleurs hallucinant que l’on me reproche d’être le sous-marin de François Bayrou. C’est moi qui ai refusé en 2007 la dérive de son positionnement en créant le Nouveau centre. Si l’UDI existe c’est bien sûr par l’action de Jean-Louis Borloo mais aussi parce qu’il y avait dans le contrat de mariage 12.000 militants centristes qui venaient du Nouveau centre.

Jean-Christophe Lagarde: Je crois que le Centre a vocation à être réuni à terme. Mais, après les erreurs de ces dernières années, les ambitions personnelles qui peuvent renaître peuvent ralentir cette marche. C’est pour ça que je pense que nous devons travailler d’abord sur les idées parce qu’il y a un risque de désaccord sur l’élection présidentielle de 2017.
Je crois aussi que la vie politique française est en train de vivre un renouvellement politique de génération qui a commencé paradoxalement à l’extrême-droite avec la fille qui a remplacé le père. Il se poursuit chez nous aujourd’hui. Il débute aussi au PS. Les seuls endroits où ce n’est pas le cas, c’est au MoDem et à l’UMP. Mais cela se produira forcément dans les années à venir et cela facilitera sans doute les choses pour se réunir entre centristes.
Enfin, il y a une ambiguïté qui a été partiellement levée lors des municipales et qu’il faut totalement lever, c’est celle des alliances du Mouvement démocrate, notamment en vue des élections régionales et départementales. Il n’est pas possible de travailler ensemble s’il y a des alliances tantôt avec un côté, tantôt avec l’autre. L’UDI, elle, est parfaitement claire dans ses alliances, parce que nous ne voulons pas confondre l’indépendance et l’isolement. L’indépendance n’exclut pas une alliance. Mais l’alliance, pour moi, cela veut aussi dire concurrence et non soumission comme c’est le cas depuis dix ans.
Avec le Modem, nous avons des combats communs dont le plus évident est celui des changements institutionnels que nous partageons tous depuis longtemps, c’est à dire une représentation plus juste du choix des électeur et la possibilité pour le Parlement de pouvoir s’opposer aux dérives du pouvoir d’un homme seul.


- Pensez qu’un axe central allant du social-libéralisme au réformisme de droite est en train de se constituer et si oui quelle place doit y prendre l’UDI et son libéralisme social?

Hervé Morin: En 2016, c’est la question qui nous sera posée. Est-ce que nous sommes capables de bâtir une alternative à l’UMP et au PS en rassemblant tous ces courants de pensée. Pour l’instant, on a le sentiment qu’il y a effectivement quelque chose qui peut émerger.

Jean-Christophe Lagarde: Je ne crois pas que ce soit le cas. Manuel Valls veut une maison commune dont, pour l’instant, il est le seul occupant. Même ses amis socialistes n’en veulent pas. Peut-être que la montée de l’extrême-droite y poussera mais ce serait le triste signe d’un échec collectif.
Il est vrai, en revanche, qu’il y a des frontières artificielles entre des gens comme Valls ou Juppé.
Pour autant, une recomposition politique n’est possible qu’à deux conditions. La première est qu’elle ait lieu à l’occasion d’une élection présidentielle. Si j’ai cru comprendre que François Bayrou voulait soutenir Alain Juppé, je doute que ce soit le cas de Manuel Valls. La deuxième est que le Parti socialiste ne soit plus un mais deux puisqu’il y a à l’intérieur des gens qui sont totalement contre la politique prônée par Manuel Valls. Il s’agit d’ailleurs peut-être d’une majorité.
Le discours de Manuel Valls est intéressant mais il n’a pas de base sociologique et politique pour le transformer en actes.
Ce grand axe nouveau demeure manifestement le pari politique de François Bayrou comme il l’a exprimé lui-même ces derniers jours. Mais lorsqu’il a ouvert la porte, on la lui a claquée au nez. Je pense que Manuel Valls, qui a une vision totalement différente du reste du Parti socialiste, a malgré tout ce tropisme socialiste dommageable qui est que les socialistes veulent bien travailler avec les centristes du moment qu’ils ne sont plus centristes.
Les deux familles, qui nous gouvernent depuis 33 ans et nous ont conduit à l’échec, sont traversées par des lignes de fracture idéologiques importantes qui devraient conduire, si chacun respectait ses idées, à des séparations au sein de ce que sont aujourd’hui l’UMP et le PS.
Si leurs idées primaient réellement, c’est à cela que l’on assisterait. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il faudrait voir si une recomposition serait possible.
Globalement, oui, il y a un espace important au centre qui peut accélérer cette recomposition. A mes yeux, plus nous, les centristes, serons capables d’incarner ce que nous sommes à travers nos valeurs et plus nous retrouverons cette ambition collective de gouverner la France, plus nous accélèrerons cette recomposition d’ensembles qui aujourd’hui n’ont plus de cohérence.


- Les centristes ont une image favorable dans l’opinion mais ne sont pas crédibles pour gouverner aux yeux d’une majorité de Français. Comment changer cette perception?

Hervé Morin: L’UDI est le parti le plus populaire en France. Les gens reconnaissent en nous un certain nombre de qualités qu’ils recherchent. Ils savent que nous avons une éthique, que nous ne voulons pas les opposer les uns aux autres. Maintenant nous devons incarner réellement une alternative.

Jean-Christophe Lagarde: Par nature, la position géographique qui est celle du Centre – qui n’est pas sa position politique – fait que vous avez moins d’hostilité pour un centriste chez les gens de gauche que pour un homme de droite et chez les gens de droite que pour un homme de gauche. Cela donne une image artificiellement favorable mais qui ne déclenche pas l’adhésion. C’est cette illusion qui nous rend impuissant. On est plus acceptable par les gens de gauche et par les gens de droite mais cela ne veut pas dire qu’il y a plus d’adhésion. A nous de susciter de l’adhésion en assumant ce que nous sommes !
Le manque de crédibilité vient de ce que l’on nous caricature comme étant mous, hésitants, indécis. Il faut dire que parfois nous nous caricaturons nous-mêmes.
Nous devons répondre à ceux qui ne nous voient que comme un entre-deux. Nous devons apparaître comme une alternative en montrant que nous avons l’ambition de conquérir le pouvoir pour gouverner et d’être capables de donner notre propre lecture de la société française.
En gros, la Droite c’est l’idéologie qui se revendique de la liberté. La Gauche se prétend elle de l’égalité. Nous devons être, nous, la force politique de la fraternité et de la laïcité. Cette dernière est un concept spécifiquement français. Bien sûr que nous sommes favorables à la liberté, bien sûr que nous sommes favorables à l’égalité des chances mais ce qui nous manque le plus c’est la fraternité et la promotion de la laïcité afin que la République marche sur tous ses pieds.


- Que ferez-vous si vous êtes battu lors de l’élection à la présidence de l’UDI?

Hervé Morin: J’ai toujours été pour une formation centriste forte.

Jean-Christophe Lagarde: Je suis très clair dans ma tête depuis le départ. Quand on accepte de se présenter à une élection, on espère être élu mais on accepte la possibilité d’être battu. Je suis convaincu qu’Hervé Morin est dans le même état d’esprit.
Je me suis engagé il y a vingt-neuf ans dans notre famille politique; ce n’est pas parce que celle-ci choisirait autre chose que l’ambition collective que je lui propose que je la quitterais. Je resterais naturellement à l’UDI en aidant comme je peux celui qui dirigera notre famille et je ne solliciterais aucune place nationale. Je le ferais en tant que maire, en tant que député comme je le faisais en tant que militant depuis 29 ans.
Et je n’ai pas de craintes quant à l’explosion de l’UDI. Mon point de vue et qu’on n’est pas là, Hervé Morin et moi, pour nous même mais pour les idées que nous portons et que nous avons vocation à porter ensemble.


- Quelles sont les personnalités que vous admirez?

Hervé Morin: Dans ma vie politique, deux personnalités m’ont impressionné. Au Centre, Valéry Giscard d’Estaing. Une mécanique intellectuelle inouïe et l’engagement de toute une vie pour l’intérêt général. Et bien que je ne l’aie rencontré que lors de deux réunions de travail, Barack Obama possède une présence et un charisme absolument extraordinaire.

Jean-Christophe Lagarde: Le mot admiration est trop fort pour moi. Au niveau politique, dans les personnalités que j’apprécie, je citerai Richelieu, Clémenceau, De Gaulle, Giscard d’Estaing et Barre.
Il y a chez eux une forte détermination d’Etat et en même temps une aspiration à faire progresser la société. Vous allez retrouver cela chez chacun d’entre eux et c’est ma ligne de cohérence.
Je crois dans un Etat fort, décidé et capable de détermination et d’autorité. Et je crois en même temps que l’Etat a le devoir se savoir faire progresser la société, de la faire évoluer. Par exemple, je pense que les six premiers mois de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 sont absolument remarquables et qu’il a su faire avancer la société française tout en incarnant l’autorité de l’Etat.