mardi 7 janvier 2014

Le Centrisme dans le monde en 2014. Du renouveau américain à l’émergence arabe

- Les Etats-Unis vont-ils trouver leur(s) centre(s)?
2014 sera une année importante pour le Centre aux Etats-Unis.
Le système politique américain a été bâti par les Pères fondateurs, à la fin du XVIII° siècle et au début du XIX° siècle, afin qu’aucune faction ne puisse prétendre gouverner seule et imposer ses choix clientélistes avec ce respect indispensable des droits de la minorité qui caractérise bien plus la démocratie que ceux de la majorité.
Cette volonté se retrouve évidemment dans la Constitution qui a organisé un système de pouvoirs et contre-pouvoirs dont le but déclaré était qu'il valait mieux bloquer le système plutôt qu’un parti ne réussisse à le contrôler à son unique profit.
Tout cela a parfaitement réussi avec des blocages à répétition mais aussi une culture du compromis qui s’est mis en place permettant aux modérés de gouverner la plupart du temps, permettant au pays de devenir ce qu’il est, de Washington à Lincoln, de Theodore Roosevelt à Bill Clinton.
Mais, au milieu des années 1990, sous la présidence justement du démocrate Bill Clinton, le Parti républicain a fait sa mue sous l’impulsion de leaders radicaux comme Newt Gingrich, qui ont décidé, à l’opposé de ce que venait de faire le Parti démocrate en se recentrant après des années de radicalisme, de jouer la polarisation et plus du tout le consensus.
Une nouvelle radicalisation des républicains a eu lieu après l’élection de Barack Obama en 2008 alors que celui-ci affichait clairement sa volonté de gouverner de manière bipartisane et au centre de l’échiquier politique.
Cela a abouti à la création du mouvement du Tea Party, très à droite, très réactionnaire et parfois pas loin d’un racisme détestable.
Le blocage est devenu, non plus une menace mais un moyen politique de détruire l’autre.
Telle est globalement la situation en ce début de 2014, d’autant que les fameuses élections de mi-mandat le plus souvent mauvaises pour le président en place se profilent en novembre prochain.
Sauf que les Américains semblent en avoir assez du jusqu’au-boutisme de l’aile extrême du parti républicain (comme le montre les sondages).
Dès lors, une fenêtre s’ouvre pour les modérés et les centristes que ce soit au Parti démocrate (où ils sont encore nombreux) ou au Parti républicain (où ils sont en voie de disparition).
Pour autant, rien ne permet de dire que le prochain Congrès, qu’il soit dominé par les républicains ou par les démocrates sera centriste car les radicaux n’ont pas dit leur dernier mot (ils relèvent d’ailleurs la tête chez les démocrates, réaction assez prévisible devant la guerre idéologique menée par l’extrême-droite républicaine).
Si les signes vers un retour des centristes républicains et un renforcement des centristes démocrates existent, l’organisation actuelle de la politique américaine est un frein puissant.
D’abord dans la désignation des candidats où, chez les républicains mais aussi chez les démocrates, ils sont désignés par les votes des militants et ceux qui votent effectivement sont souvent les plus radicaux.
Ensuite par la pratique hallucinante du «gerrymandering» qui a consisté depuis des décennies à redessiner partout dans le pays des circonscriptions sûres pour les deux grands partis, celui qui a le mieux réussi à phagocyter le système étant le Parti républicain (il a ainsi pu demeurer majoritaire à la Chambre des représentants en 2012 alors que les candidats démocrates ont gagné plus d’un million de voix supplémentaires…).
Du coup, dans certaines circonscriptions, ce ne sont pas les élections générales qui sont importantes mais les primaires d’un des deux partis, celui qui les gagnent étant assuré ensuite d’être élu.
Un mouvement s’est fait jour dans certains Etats afin de lutter contre cette confiscation de la démocratie par un camp mais il n’est pas encore assez puissant pour défaire ce découpage électoral pourtant largement critiqué.
En 2014, on devrait aussi savoir si Hillary Clinton (démocrate) et Chris Christie (républicain) vont se présenter à la présidentielle de 2016.
On semble s’acheminer vers ce duel mais des rebondissements en la matière sont possibles ainsi que l’émergence de nouvelles têtes qui, inconnues du grand public, sont capables de s’imposer (que l’on se rappelle des hommes comme Carter, Clinton, George W Bush ou Obama).
Il est à noter qu’un débat important se déroule depuis quelques mois dans les médias et la classe politique (et qui a continué depuis le nouvel an) sur ce qu’est un centriste aux Etats-Unis.
Ainsi, pour les radicaux de droite, tous les centristes déclarés sont en fait des «liberals» et donc des gens de gauche.
Pour les radicaux de gauche, ces mêmes «liberals» ne sont que des centristes, parfois leur concèdent-ils l’étiquette de centre-gauche.
Mais pour la majorité des «pundits» (leaders d’opinion) ainsi que pour l’opinion publique en générale, le portrait-robot du centriste ressemble à celui que l’on fait en Europe, un politique responsable et modéré, adepte du consensus, du compromis et d’un juste équilibre.
Et si l’on reconnait à celui-ci des qualités, on ne va pas, comme c’est le cas en Europe, forcément voter pour lui!
On le voit, 2014 sera une année riche pour les centristes américains qui ont l’occasion de régénérer le débat politique mais qui risquent également de s’y perdre…

- Des élections à hauts risques pour les centristes européens.
Si les élections européennes seront un test important pour les centristes français réunis au sein de l’Alternative, il en sera de même dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Dans tous les pays de l’UE, les partis centristes sont les plus pro-européens et dans cette période de repli nationaliste, de déshérence de la solidarité européenne et de montée inquiétante des populismes, ils risquent de payer le prix fort de leur engagement, en particulier en Grande Bretagne avec les Lib-Dem déjà sur la sellette pour leur alliance avec les Conservateurs.
Mais de l’Italie aux Pays bas en passant par l’Allemagne, la Pologne ou l’Espagne, la capacité des centristes à émerger ou à ne pas sombrer sera scrutée avec attention.
Il ne faudrait pas, comme cela semble se dessiner, que ces élections favorables généralement aux centristes deviennent le pain béni des extrémismes, ce qui menacerait l’Union européenne d’une implosion à plus ou moins long terme.

- Un Centre dans les pays arabes est-il possible?
Le printemps arabe est désormais bien loin avec ses espoirs d’une démocratisation et la mise en place de régimes garantissant les libertés à tous.
On savait que ce serait une tâche très compliquée car les adversaires de la démocratie étaient bien préparés et savaient comment utiliser l’appel d’air en leur faveur.
Il ne que de se rappeler que les partis religieux à l’idéologie antidémocratique (et qui n’utilisent la démocratie que pour parvenir au pouvoir) se sont autoproclamés «centristes», se disant à équidistance de l’islam radical et de la démocratie…
Le pire, c’est sans doute que beaucoup ont cru dans ce discours spécieux et nombre des formations obscurantistes ont réussi à gagner les élections.
C’est ce qui s’est passé en Tunisie et surtout en Egypte où le régime militaire actuel est directement de la responsabilité des Frères musulmans qui ont tenté d’établir un régime islamique bien loin de la démocratie.
Mais les événements en Syrie ou en Libye ont également montré que dès qu’une volonté de s’émanciper de régimes dictatoriaux se faisait jour dans la population, les terroristes extrémistes accouraient de partout afin de déstabiliser, avec la bénédiction des monarchies du Golfe, toute une région et en récolter les fruits sur le modèle de ce qui s’est passé en Afghanistan avec les Talibans puis avec Al Qeida de Ben Laden.
Pour autant, il serait faux de dire que la démocratie est impossible dans les pays arabes.
Dans ce cadre, il est intéressant de noter que les initiatives, réelles celles-ci, de constituer des partis centristes laïques n’ont pas disparues.
C’est le cas en Tunisie, pays qui tente de se débarrasser des islamistes qui ont plongé le pays dans le chaos, mais aussi au Liban (menacé de plus en plus par le conflit syrien) ou au Maroc, même si le roi n’est pas le plus grand démocrate de la terre.
2014 devrait être pour ces initiatives, une année importante que tous les démocrates et tous les centristes devraient supporter.

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC
Jean-Louis Pommery
Directeur des études du CREC