samedi 23 mai 2009

Actualités – France – les électeurs du Mouvement démocrate viennent plus de la gauche que de la droite

Voici un texte de Pascal Perrineau, le directeur de Cevipof (Centre d’étude de la vie politique de Sciences po Paris) intitulé «D'où viennent les électeurs du MoDem?» et parue dans Le Figaro.

«Le centrisme a toujours été une réalité électorale sous la V° République, même si la logique très bipolaire des institutions lui a réservé une place plus ténue que sous la IV° République. En dépit de ce processus de laminage électoral, Jean Lecanuet soutenu par le MRP en 1965 rassembla 15,6% des suffrages, Alain Poher, en 1969, en attira 23,3% ce qui reste le point d'orgue du centrisme sous la V° République. François Bayrou reprit, en 2002, l'héritage de ce centrisme aux velléités oppositionnelles mais n'agrégea que 6,8% des votes autour de sa personne. Ce n'est qu'en 2006-2007, après avoir mis fin à l'alliance qui le rattachait à la droite et créé cet «hypercentre» indépendant, qu'il parvint à faire renouer le centrisme avec un score à deux chiffres: 18,6% au premier tour de l'élection présidentielle de 2007.

Le MoDem reste la troisième force du paysage politique français derrière l'UMP (27%) et le PS (22%). Le centrisme autonome de François Bayrou n'est pas encore en position de bouleverser le rapport de forces entre les grands partis de la gauche et de la droite. Il est à 14 points de l'UMP et à 9 points du PS dans un statut qui reste, jusqu'à nouvel ordre, celui de la plus grosse des «petites forces» (quatre points devant les écologistes, six points devant le NPA et le FN).

Devenir la deuxième force

Le paradoxe veut qu'un François Bayrou qui ne cesse de dénoncer «l'hyperprésidence» et le «pouvoir personnel» ne puisse compter que sur l'élection présidentielle et l'aventure personnelle consubstantielle à la candidature à une telle élection, pour envisager de «rebattre les cartes» et de passer du statut, certes enviable mais marginal, de troisième force à la position de deuxième force autour de laquelle la donne politique se réorganise en profondeur. Jusqu'à maintenant une telle ambition a toujours échoué: Lecanuet fut écarté du second tour en 1965 par un François Mitterrand, candidat de la gauche unie dès le premier tour, Alain Poher, qui avait pourtant atteint le second tour, fut sévèrement battu en 1969 par Georges Pompidou. En 2002, François Bayrou se contenta d'un modeste témoignage. Enfin, en 2007, il resta le «troisième homme», certes à un niveau conséquent (18,6%) mais fut nettement dominé par Nicolas Sarkozy (31,2%) et même Ségolène Royal (25,9%). Il espère devenir en 2012 le «deuxième homme» et ne plus jouer le rôle du supplétif électoral qui jusqu'alors a été le sien.

Cela exige qu'il domine le candidat socialiste, ce que seul Alain Poher avait réussi à faire en 1969 mais, à l'époque, le courant socialiste était exsangue. Et même cette éventuelle suprématie électorale n'est pas complètement garante de la victoire finale puisque Alain Poher avait été écrasé (41,8%) par le candidat de droite, Georges Pompidou.

L'électorat du dernier moment

Mais il est vrai que la gauche de l'époque était sous influence d'un communisme fort peu sensible aux sirènes du socialo-centrisme. Aujourd'hui l'espace du socialo-centrisme est plus significatif: le PCF est marginal, le PS hésite sur ses stratégies d'alliance, des mobilités significatives se sont installées entre l'électorat de gauche et l'électorat centriste: en 2007, sur 100 électeurs qui ont voté pour François Bayrou, 40 avaient choisi la gauche en 2002 contre seulement 26 la droite. Cet électorat capable de recueillir les frustrations et les déceptions est fragile et volatil. C'est souvent un électorat du dernier moment qui marie à la fois l'héritage de la vieille tradition démocrate chrétienne (parmi les départements qui ont offert à Bayrou ses meilleurs scores, on compte beaucoup de terres de forte pratique catholique: Finistère, Ille-et-Vilaine, Haute-Loire, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haute-Savoie) et une sociologie plus moderne où nombre de jeunes électeurs et de citoyens aisés et diplômés disent, dans leur vote, leur volonté d'une «alternative».

Reste à l'homme qui tente de coaliser cet électorat hétérogène à organiser la fidélisation de ses soutiens et à amplifier le ralliement. La tâche est difficile, les législatives de juin 2007 et les municipales et cantonales de 2008 ont montré que le chemin était parsemé d'embûches et d'obstacles. Les européennes du 7 juin s'inscriront-elles dans cette continuité ou marqueront-elles l'ouverture de la brèche électorale pour le leader du MoDem?

Pascal Perrineau

© 2009 Le Figaro