jeudi 7 août 2008

Actualités – Etats-Unis
Présidentielle 2008
Pour l’historien canadien, Gil Troy, Barack Obama est un centriste


Voici l’interview de Gil Troy, historien à l'université canadienne McGill et chercheur au Bipartisan Policy Center à Washington au Monde sur l’élection présidentielle américaine et les positionnements politiques de Barack Obama et John McCain. Pou lui Barack Obama défend, de longue date, des idées centristes.

-Vous avez estimé que les meilleurs présidents sont ceux qui "dirigent au centre". Pourquoi ?

Gil Troy : Pour deux raisons. Tout d'abord, parce que dans nos démocraties, nous avons besoin de leaders capables de rassembler le plus de monde possible, c'est la seule façon pour eux d'être élus. Et ce rassemblement se fait au centre. Ensuite, parce que la culture politique américaine est caractérisée par son pragmatisme. La politique aux Etats-Unis est bien moins idéologique que ce qui se pratique en Europe. Au début du 20e siècle, l'identification à un parti était bien plus forte que maintenant : on était démocrate, parce que sa famille l'était. Cela n'est plus vrai aujourd'hui, à une période où les médias se focalisent plus sur la personnalité des candidats que sur leur étiquette politique. Une conséquence visible de la montée en puissance de la personnalité des candidats au détriment de son affiliation politique est l'augmentation, depuis les années 1980, du nombre des électeurs qui se déclarent indépendants plutôt que républicains ou démocrates.

-Voulez-vous dire que les candidats modérés ont plus de chances d'être élus ou plus de chances d'être efficaces une fois élus ?

Les deux. En tant qu'historien, je m'appuie sur les accomplissements des grands présidents américains : George Washington, Abraham Lincoln, Theodore et Franklin Roosevelt ou encore Ronald Reagan ont réussi à diriger au centre. Ils se sont appuyés sur des principes comme ceux de la Déclaration d'indépendance américaine, qui prônent les droits à "la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur", et ont ajusté leur politique sur certains enjeux importants de l'époque. Aujourd'hui, la réforme du système de santé ou l'énergie sont des enjeux qui se résolvent au centre, par un dialogue entre démocrates et républicains. Mais on a trop tendance à déconsidérer les modérés, on le voit en ce moment avec John McCain ou Barack Obama : si on est modéré, on est considéré comme un "flip flop" [quelqu'un qui change d'avis]. C'est pourquoi je prône l'émergence de "modérés musclés" qui ont à la fois des principes solides, mais qui savent faire des compromis quand c'est nécessaire.

-En quoi Franklin Roosevelt, l'une des références parmi les démocrates, et Ronald Reagan, symbole républicain, étaient-ils des présidents modérés ?

Qualifier Roosevelt et Reagan de modérés surprend souvent ! Je pense que Reagan était bien moins idéologue que ce dont on se souvient. Il était certes issu du mouvement conservateur, mais il avait compris qu'il était le président de tous les Américains, pas seulement des républicains. Il s'est entouré d'hommes d'affaires modérés et républicains, mais peu d'idéologues, ce qui lui a été reproché à l'époque par la ligne du parti. Quant à Roosevelt, le contexte du début des années 1930 et la montée des extrêmes l'a incité à diriger au centre, avec succès. Il s'est appuyé sur des coalitions successives pour gouverner, c'est un modèle de leadership démocrate modéré.

-Qu'en est-il des "modérés" dans le scrutin à venir ?

Il est très intéressant de constater que parmi la dizaine de candidats présents au début de la campagne, les deux qui ont émergé prônent la "modération" et "l'indépendance", et veulent "en finir avec la politique partisane." John McCain s'est illustré par ses divergences avec la politique menée par George Bush durant ses deux mandats. Barack Obama s'est lui fait le chantre du centrisme dans son discours devant la convention démocrate de 2004, où il a appelé à la relève de la génération de l'après baby-boom, en allusion aux ères Bush et Clinton. Barack Obama a été accusé de virer à droite dans ses récentes prises de position. Injustement à mon avis. Dans ses deux livres, il tient clairement des propos qui ne suivent pas une ligne purement démocrate. Il explique que le gouvernement n'est pas la réponse à tout et évoque les limites d'un Etat trop puissant, opinion peu conventionnelle à gauche. Barack Obama est bien plus modéré que ce qu'on a pu croire lors de la campagne des primaires.

-Barack Obama ou John McCain peuvent-ils être des présidents modérés ?

Il est difficile de prédire avec certitude s'ils seront des présidents modérés. Jusque là, les deux candidats ont tenu des propos de rupture avec l'administration Bush, caractérisée par son idéologie profondément conservatrice et peu apte au dialogue avec le camp d'en face. Maintenant, est-ce que cette rupture va se traduire par une autre façon de gouverner ? Cela reste à voir. Le discours de rassemblement au centre que tient Barack Obama est extrêmement puissant et judicieux. Va-t-il la mettre en œuvre, et comment, s'il est élu ? C'est, je pense, l'un des grands mystères politiques de cette campagne.


Propos recueillis par Cécile Gregoriades
© 2008 Le Monde