mardi 12 juin 2012

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. La disparition du Centre et la bipolarisation ne sont pas inévitables


Nous y serions enfin! Après bien des tentatives et des prédictions de nombre de politologues, le Centre serait en voie de disparition du paysage politique français (il se porte très bien dans un certain nombre de pays).
Les résultats du premier tour des élections législatives démontreraient qu’il n’y a plus de place pour des partis centristes sous le régime de la V° République.
Force est de reconnaître que l’affirmation parait crédible.
Avec moins de 6% des voix pour la totalité des formations qui se présentaient comme centristes ou au centre, il semble bien que nous soyons en train de vivre le crépuscule du Centre.
Même chez les militants des partis centristes, l’heure est au découragement.
D’autant que la bipolarisation de la vie politique se ferait entre deux partis «attrape-tout», un parti de droite positionné au centre-droit et un parti de gauche positionné au centre-gauche.
Avec, à la clé, une gouvernance au centre.
Dès lors, l’utilité même de partis centristes n’existerait plus.
Voilà un constat qui parait limpide.
Mais qui est un trompe-l’œil…
D’abord, ceux qui nous annoncent la bipolarisation font l’impasse sur le Front de gauche et, surtout, sur le Front national.
Les deux extrêmes sont bien vivants et pèsent sur la politique française même s’ils n’ont, pour l’instant, aucune chance de parvenir au pouvoir.
Sans oublier les écologistes.
Bien, nous disent les partisans de la bipolarisation mais tout cela revient à deux blocs où les gauches se retrouvent d’un côté et les droites de l’autre (à l’exception, pour l’instant, du Front national, présenté comme un parti de contestation, donc pas intégré réellement au jeu politique).
D’ailleurs, une grande partie des centristes sont déjà dans ces deux blocs, les Radicaux de gauche avec le Parti socialiste, le Nouveau centre et le Parti radical avec l’UMP.
Ce qui serait condamné serait un parti politique centriste autonome du style UDF et, surtout, du style Mouvement démocrate, celui qui affirmerait son indépendance entre la Droite et la Gauche.
Je ne crois pas à cette thèse.
Bien sûr, le mode de scrutin de la V° République est défavorable aux partis centristes.
Mais ce scrutin n’a pas empêché l’existence de l’UDF créée en 1978 et qui fut, rappelons-le, le premier parti de France et alors même que les politologues avaient annoncé la disparition du Centre dès le début des années 1960.
De même, il suffirait qu’une dose de proportionnelle soit instituée, comme l’a promis François Hollande, pour que la donne change.
Mais même sans cela, l’existence d’un parti centriste n’est pas impossible, loin de là.
Quel est donc le problème actuel du Centre?
Prenons l’exemple de l’élection présidentielle pour examiner les deux erreurs commises par les centristes.
La première est celle d’Hervé Morin qui a lui-même présenté sa candidature comme une candidature de témoignage puisqu’il avait déclaré que quoi qu’il arrive, il se désisterait pour Nicolas Sarkozy au second tour.
En faisant cette annonce, il a démontré par l’absurde qu’il n’y avait aucun intérêt à voter pour lui puisque le Nouveau centre n’était en réalité qu’un simple appendice de l’UMP.
La deuxième est celle de François Bayrou qui a encore une fois confondu indépendance et isolement.
Car, après avoir voté François Hollande au deuxième tour de la présidentielle, il devait, en toute logique, conclure un accord entre son Mouvement démocrate et le Parti socialiste pour les législatives.
Les partis centristes n’étant pas hégémoniques ont absolument besoin de conclure des alliances avec les formations qu’ils estiment les plus proches d’eux.
Si, en l’occurrence, le Nouveau centre s’est allié avec l’UMP (de manière sans doute trop proche…), le Mouvement démocrate devait s’allier avec le Parti socialiste au nom de la cohérence du choix de son candidat à l’élection présidentielle et président omnipotent.
Non pas pour perdre son indépendance mais pour éviter son isolement.
Sans pour cela remettre en cause le «ni gauche, ni droite» qui est le positionnement, par définition, du Centre.
Encore une fois, indépendance et isolement ne sont pas synonymes.
Mais le problème avec François Bayrou, c’était qu’il était persuadé qu’il serait élu président de la république.
Dès lors, il ne concevait une alliance que dans le ralliement à sa personne une fois qu’il serait élu.
L’échec de son ambition le laissait, comme en 2007, sans aucune stratégie cohérente.
Ainsi, la bipolarisation qui semble ressortir de cette élection législative est due en grande partie aux erreurs des centristes et à leurs stratégies incohérentes.
Des erreurs amplifiées par leur désunion.
Celle-ci n’est pas une donnée intangible même s’il existe diverses sensibilités centristes comme il en existe à droite et à gauche.
D’un certain côté, l’erreur de François Bayrou de n’avoir pas conclu d’accord avec le PS pour les législatives laisse ouverte la possibilité d’une refondation et d’une réunion du Centre pour les cinq ans de la nouvelle législature.
De même, le fait que le Nouveau centre et le Mouvement démocrate (ainsi que le Parti radical) se retrouvent dans l’opposition leur donne une indépendance beaucoup plus grande que s’ils devaient supporter le gouvernement en place.
De là, ils peuvent trouver des synergies et des combats politiques communs et amorcer un rapprochement par l’action.
C’est de cette façon que les Français les considéreront à nouveau comme utiles et auront envie de voter pour eux.
Ce scénario est aussi crédible que celui de la disparition du Centre.
Alors, l’idée d’une bipolarisation inévitable sera à ranger dans la rubrique des idées reçues.
Tout cela, aussi, parce que le Centre et le Centrisme, les idées et les valeurs qu’ils portent sont celles qui sont les plus consensuelles de la démocratie du XXI° siècle qui est en train de se construire.