vendredi 1 juillet 2005

L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. Le pari de la démocratie

Réconcilier la France avec elle-même, c’est la réconcilier d’abord avec la démocratie. Cette indispensable réconciliation constitue une tâche prioritaire. Elle ne sera possible que si l’on réforme réellement l’organisation politique. Que l’on baptise cette réforme VI° République ou d’un autre nom, peu importe. L’important est qu’elle ait lieu et que le chantier s’ouvre très rapidement.

Avant d’entrer dans notre propos, faisons deux rappels nécessaires. Le premier concerne une évidence historique trop souvent oubliée. La France, qui se vante d’avoir inventé la démocratie moderne universelle avec la Révolution, est paradoxalement un pays qui a toujours été profondément divisé entre « pro » et « anti » démocrates, tiraillé entre les partis qui défendaient un régime démocratique et ceux qui le fustigeaient. Tout au long du XIX° siècle, l’opposition à la démocratie fut très puissante même après le désastre de la guerre de 1870 (la III° République ne fut approuvée qu’à une voix de majorité et le Boulangisme faillit la renverser quelques années plus tard). Au XX° siècle, les anti-démocrates continuèrent à peser fortement. Constitués au début du siècle majoritairement par des catholiques, les troupes se gonflèrent, du côté de l’extrême-gauche, avec la création du Parti communiste en 1920, sans oublier les royalistes d’extrême-droite de l’Action française et les ligues d’anciens combattants populistes comme celles du colonel De La Rocque. Cette opposition trouva son aboutissement « naturel », lors de l’effondrement de la République après la défaite militaire de 1940, avec l’Etat français du maréchal Pétain qui eut au départ, un fort soutien populaire. Discréditée à droite, la lutte anti-démocrate fut quasiment monopolisée un temps par le Parti communiste jusqu’en 1981 (l’extrême-droite et l’extrême-gauche faisant des scores dérisoires aux élections) et depuis par le Front national (dont la présence de son représentant au second tour de l’élection présidentielle de 2002 demeure dans toutes les mémoires des démocrates vigilants… S’il faut rappeler cette évidence historique, c’est pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui. La défiance dans la « classe politique », très réelle dans l’opinion, n’est absolument pas nouvelle car elle se confond aussi avec la lutte contre la démocratie (ceux qui ont appelé à voter non au référendum sont majoritairement issus de ces mouvances en lutte contre la démocratie). Ceci doit aussi nous amener à demeurer vigilants. Point d’angélisme ni de posture de l’autruche : la démocratie demeure encore et toujours un combat. Un combat que nous croyons salvateur. Croire que la démocratie est immuable c’est faire preuve de cécité vis-à-vis de ce que nous enseigne l’histoire et de légèreté vis-à-vis de ce que nous montre le monde qui nous entoure.

Deuxième rappel historique, destiné à ceux qui, comme Philippe de Villiers, Marie George Buffet ou Henri Emmanuelli, prônent une démocratie référendaire en affirment vouloir « démocratiser » notre système politique. Notons en premier lieu que l’appel constant au peuple, cela s’appelle démagogie et non démocratie. En outre, au-delà de l’impossibilité de gouverner une nation à coups de consultations populaires directes (voir les inconséquences des votes en Suisse, par exemple, pays pourtant beaucoup plus « gérable » que la France par cette technique), le référendum n’a servi pratiquement jusqu’à aujourd’hui, dans notre pays, qu’à légitimer ou désavouer un pouvoir en place. Non pas forcément parce que les gouvernants l’ont systématiquement utilisé comme tel mais parce que les électeurs l’ont perçu ainsi. Il n’est donc pas adapté à une fonction positive et constructive mais plutôt à une fonction « défouloir » peu à même de renforcer une vraie démocratie (c’est si vrai que les deux principaux adeptes des référendums furent Napoléon et son neveu, Napoléon III). Néanmoins, il ne s’agit pas de jeter le référendum dans les poubelles de l’histoire comme le voudraient ceux qui – non sans raison – estiment que les Français n’ont pas voté le 29 mai pour la question posée, comme d’habitude, et qu’ils n’étaient pas capables dans leur majorité de comprendre les enjeux du vote (cela dit, c’est un partisan « déclaré » du oui et un soi-disant « Européen convaincu » qui a décidé de soumettre la Constitution européenne à référendum…).

Ces deux rappels n’exonèrent pourtant pas l’apathie irresponsable des politiques, les pratiques politiques de caste ainsi que de la manière « monarchique » dont est gouvernée la France. Peu de voix se sont ainsi élevées – sauf dans les partis extrémistes – pour demander le départ du Président de la République et la dissolution de l’Assemblée Nationale après le non au référendum. Une si large distance entre les représentants du peuple et le peuple lui-même aurait du se manifester concrètement par des élections pour relégitimer la représentation nationale (nous sommes ici non pas face à la critique quotidienne de décisions politiques qui ne peuvent prétendre défaire les gouvernements et les majorités mais devant un vote populaire totalement contradictoire avec les positions du Président de la République et des députés). Si cela n’a pas eu lieu, si le débat a vite été enterré, c’est parce qu’aucun responsable politique d’un des « partis de gouvernement » n’a intérêt à se retrouver ces temps-ci devant les électeurs de peur que ceux-ci ne les sanctionnent eux et les députés qui ont soutenu très majoritairement la Constitution européenne. Pourtant, la situation politique, si on l’observe le plus impartialement possible, exigerait une consultation du peuple.

Pauvre démocratie où un chef d’Etat peut donc continuer gouverner alors que 55 % de ces compatriotes lui ont dit non (sans parler de sa côte de popularité dans les sondages). Pauvre démocratie où plus de 80 % des élus de la nation ont ratifié un texte rejeté par plus de la moitié de leurs électeurs. Pauvre démocratie, incapable d’expliquer son combat devant des extrémistes qui, dans la défaite du projet politique de l’Europe, se réjouissent avant tout de la déliquescence d’un système qu’ils haïssent tout autant que la liberté qui l’accompagne.

Ceci montre bien l’urgence d’une réappropriation de la démocratie et de l’absolue nécessité de l’approfondir pour qu’elle concerne tous les citoyens et que ceux-ci se retrouvent à l’intérieur du système pour y participer et non à l’extérieur, comme c’est majoritairement le cas actuellement, dégoûtés par l’incapacité de se faire entendre ou de constater que leur voix ou leur bulletin de vote ne servent à rien.

Cet approfondissement de la démocratie fait peur à de nombreux politiques qui estiment que ce sera la porte ouverte au populisme, à la démagogie et à la montée des extrêmes, sans s’apercevoir qu’ils parlent là d’une démocratie bloquée… qui est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement ! Le « pari de la démocratie », non seulement demande du courage et de la force, mais une vision politique à la hauteur des enjeux. Il est aussi la seule voie possible afin de réconcilier le pays avec la politique, ce qui est une urgence, plus, une obligation morale.

Evidemment, l’approfondissement passe d’abord par une meilleure représentation des divers courants politiques à l’Assemblée Nationale. En clair, cela signifie qu’il faut instituer une dose de proportionnelle dans tous les scrutins. Non pas pour avantager tel ou tel parti, ni pour plaire à quelques groupuscules mais parce que le débat politique doit avoir lieu dans l’enceinte d’une assemblée élue par le peuple et non, comme c’est de plus en plus le cas, dans des lieux périphériques qui détruisent, en fin de compte, la force et la légitimité d’une démocratie représentative. De plus, l’irresponsabilité politique permet aux extrémismes d’adopter toutes les postures démagogiques sans crainte de sanctions.

Mais cela passe aussi par un « parler vrai » et, surtout, un « agir vrai ». Au moment où l’Europe et la France sont à la croisée des chemins en matière économique, sociale et sociétale, il faut non seulement expliquer la réalité de la situation à la population mais aussi lui expliquer les vraies mesures à prendre (et non pas celles qui ne dérangent personne) et ensuite les mettre en œuvre. Car le « pari de la démocratie » c’est aussi parier sur un peuple capable de comprendre et de se mobiliser autour d’un projet de « salut public ». Et cela, quelques soient les conséquences électorales à court terme.

Ce « pari de la démocratie » est une vieille histoire jamais terminée. On a, par exemple, souvent opposé efficacité et démocratie depuis la thèse de Platon d’une société dominée par une oligarchie de « ceux qui savent ». Cependant, force est de constater que ceux qui savent ne sont pas plus vertueux que les autres. Et que la recherche du bien public n’est pas forcément leur objectif prioritaire. Alors, oui, la démocratie réelle perd sans doute une part importante de l’efficacité nécessaire pour gouverner. Mais elle offre des garanties au citoyen qu’aucun autre système n’est capable de lui assurer.

Arrêtons de dire qu’il faut changer de système. Le seul bon système est celui de la démocratie représentative, celui dans lequel nous vivons. On n’en a pas inventé de meilleur pour l’instant. Mais, à l’opposé de ceux qui appellent à la révolution sans rien changer concrètement, il nous faut refonder cette démocratie représentative. Si cette refondation est réussie, alors, on possèdera la base solide pour une France réconciliée qui lui permettra de s’attaquer aux défis immenses du XXI° siècle.

Et pour ceux qui pensaient que les Français ne s’intéressaient plus à la politique et qu’il ne fallait pas les « embêter » avec toute ces questions qui leur « passaient au-dessus de la tête », le 29 mai, au-delà du résultat, a démontré heureusement qu’il ne s’agissait que d’une idée reçue. Et c’est une bonne nouvelle !


Alexandre Vatimbella

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