Le Parti démocrate est-il en train ou a-t-il même viré à gauche, voire à la gauche radicale?
Telle est la question que l’on peut se poser après la nette victoire d’un socialiste revendiqué, Zohran Mamdani, lors de la primaire à la candidature à la mairie de New York avec plus de 54% des voix devant le centriste et ancien gouverneur de l’Etat du même nom, Andrew Cuomo.
Notons d’abord que New York est une ville où la Gauche et l’extrême-gauche ont toujours compté dans la paysage politique et que certains de ses maires se situaient à la gauche du Parti démocrate, le dernier d’entre eux ayant été Bill de Blasio (même si son mandat n’a pas vraiment était de gauche).
De même, on compte souvent des démocrates de gauche comme représentants de New York au Congrès à Washington, comme l’égérie de l’extrême-gauche, Alexandria Ocasio-Cortez.
Il faut donc relativiser la victoire de Mamdani en ajoutant immédiatement que son programme est vraiment socialiste et pas seulement très progressiste.
Cette victoire peut d’abord s’analyser comme une réaction à celle de Donald Trump et des républicains en novembre 2024 et la mise en œuvre du programme d’extrême-droite, le Projet 2025, avec ses coupes budgétaires à l’encontre des plus pauvres et de la classe moyenne.
On peut aussi la voir comme une défiance à l’égard de l’aile centriste du Parti démocrate et une sanction pour sa défaite à la présidentielle avec sa candidat, Kamala Harris.
Sans oublier que le principal adversaire de Mamdani, Andrew Cuomo, était plombé par sa démission de son poste de gouverneur à la suite d’accusations d’harcèlements sexuels envers plusieurs de ses collaboratrices.
Mais il y a également un autre narratif qui est peut-être la raison principale de cette apparente gauchisation des démocrates et qui serait l’aboutissement d’une stratégie de longue haleine du Parti républicain.
Petit historique.
Les républicains, depuis une centaine d’années ont toujours tenté de présenter les démocrates comme des dangereux gauchistes, voire des communistes infiltrés – la véhémence de leurs attaques à l’encontre de Franklin Roosevelt est à ce titre très caractéristique.
Et les attaques en ce sens de présidents comme Richard Nixon ou Ronald Reagan étaient des exemples de cette volonté.
Cependant, c’est au cours des années 1990 qu’une stratégie méthodique a été mise en place lors de la présidence de Bill Clinton – en particulier par l’activiste Newt Gingrich, alors speaker de la Chambre des représentants.
Celle-ci a ensuite pris une dimension quasiment quotidienne lors de la présidence de Barack Obama et est devenue désormais la principale accusation récurrente des républicains envers les démocrates.
Cette stratégie avait un objectif, faire en sorte de diaboliser les démocrates pour que les électeurs – en particulier les «independents» modérés – se détournent de ceux-ci par peur et rejet de leurs soi-disant intentions gauchistes et étatiques.
L’utilisation systématique d’adjectifs par les républicains pour caractériser les démocrates comme ceux de «liberal», «socialiste», «gauchistes», «communistes» et plus récemment «woke» – qui sont souvent des épouvantails pour une partie de la classe moyenne notamment des petites villes et des campagnes – était faite à dessein.
Pour ce faire, les républicains ont mis en place une tactique à double détente: invectiver constamment les démocrates tout en refusant toute collaboration avec ces derniers et en menant, parallèlement, une désinformation constante qui consistait à délibérément déplacer de manière illégitime, le curseur politique qui leur permettait alors de placer les démocrates à gauche en les accusant de dérive gauchiste et eux au centre-droit tout en faisant en sorte de mener une politique de droite radicale voire extrémiste.
Tout ceci a, d’une part, été bien expliqué par nombre de politologues et politistes américains (avec, en particulier, un ouvrage référence écrit par deux universitaires, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre républicain, Norman Onrstein intitulé «It’s Even Worse Than It Looks: How The American Constitutionnal Sytem Collided With The New Politicis Of Extremism»), et d’autre part, bien fonctionné auprès, sinon du grand public, en tout cas de nombre de médias qui se sont laissé prendre ou ont voulu se laisser prendre par cette propagande très simpliste mais efficace.
Un autre but des républicains dans l’affaire était de réellement radicaliser les démocrates, c'est-à-dire de faire en sorte de créer une opposition dure de leur part en réaction à ces accusations et de permettre, dans le même dans, à la gauche démocrate, de retrouver une légitimité en démontrant l’inanité, selon elle, de la volonté des centristes du parti de mener une politique équilibrée et consensuelle, surtout de continuer à rechercher le compromis avec des républicains modérés (il est vrai de moins en moins nombreux car éliminés systématiquement lors des primaires, les militants radicaux et extrémistes étant, dans les deux partis, surreprésentés lors de ces scrutins).
Et force est de reconnaitre que cette stratégie primaire, voire terriblement simpliste, a, en partie, fonctionné et semble prendre désormais l’ampleur qu’ils souhaitaient.
L’opposition plus frontale des démocrates s’est bien produite mais, au départ, non pas par leur radicalisation mais tout simplement parce qu’il fallait s’opposer à des républicains devenus des radicaux et des extrémistes dans leur majorité.
Néanmoins, cela a créé cette impression, reprise de manière éhontée (et peu professionnelle) par nombre de médias, d’une radicalisation des démocrates.
De même que la relégitimisation de la gauche démocrate, qui était discréditée après ses multiples échecs électoraux (le plus cuisant étant celui de leur candidat à la présidence en 1972, George McGovern, face à Richard Nixon), s’est également produite ce qui a permis au socialiste Bernie Sanders (qui n’est pas membre du Parti démocrate) d’être un concurrent crédible face à Hillary Clinton lors des primaire démocrates de 2016 et, pour les primaires de 2020, ce soit le cas d’Elizabeth Warren (liberal de gauche) et du même Sanders face à Joe Biden.
Qu’en est-il donc, en réalité, de la soi-disant gauchisation du Parti démocrate?
La réponse à cette question invite à une certaine nuance.
D’abord, il y a effectivement une vague de gauche qui a émergé depuis le premier mandat de Trump avec, par exemple, une hausse du nombre de militants des Democratic Socialists of America, elle est avant tout extérieur au Parti démocrate.
Et si l’on parle du positionnement général du parti, il semble que si déplacement il y a, il est encore relativement contenu.
Car si les démocrates aujourd’hui défendent une assurance santé universelle, une augmentation significative des salaires, des impôts plus élevés pour les riches et les ultras-riches, des protections pour certaines minorités, le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est essentiellement parce que les républicains ont adopté des législations très à droite qui ont largement été désastreuses pour les plus pauvres et les classes moyennes.
Tous les positionnements que l’on vient de citer sont défendus par les centristes dans une vision de juste équilibre et de méritocratie ainsi que de liberté de l’individu qui sont ici remis en cause par les radicaux et les extrémistes républicains.
En revanche, on peut dire que la gauche démocrate a retrouvé des couleurs, surtout, qu’elle est de plus en plus capable d’influencer la ligne politique du parti, souvent à la marge, parfois de manière plus évidente.
Et, c’est vrai également, qu’elle tente d’exercer une forte pression sur la direction du parti pour que celle-ci épouse leur idéologie.
Si le Parti démocrate reste encore une formation de centre-gauche avec un fort courant centriste libéral et progressiste (au sens français des termes), il est indéniable que le courant de gauche et sa faction socialiste gagne rapidement du terrain depuis la dernière présidentielle.
Mais cela marque-t-il un tournant au Parti démocrate avec une prochaine prise du pouvoir d’une gauche plus ou moins radicale au détriment des centristes?
Dans l’histoire du Parti démocrate, le seul progressiste de gauche à avoir été son candidat à la présidentielle est McGovern dont l’écrasante défaite face à Richard Nixon a été une des plus sévères si ce n’est pas plus sévère pour son camp.
Et tous les derniers présidents des Etats-Unis démocrates ont été des centristes, parfois penchant à gauche, parfois à droite ou tout simplement centristes: Wilson, Roosevelt, Truman, Kennedy, Johnson, Carter, Clinton, Obama, Biden sans compter les candidats battus comme Hillary Clinton, Kamala Harris ou Al Gore…
Enfin, le Parti démocrate paierait certainement cash une forte gauchisation comme l’ont montré toutes les élections nationales ou locales où cela a été le cas sauf dans des fiefs spécifiques comme San Francisco ou New York.
Est-ce que la victoire de Mamdami à la primaire de New York est un événement «basculant»?
Il faudra voir les résultats de l’élection municipale de New York pour tirer des conclusions plus étoffées mais une chose est sûre, avec sa nomination comme candidat officiel du Parti démocrate, les extrémistes du Parti républicain se frottent les mains et se félicitent de leur stratégie qui pourrait leur permettre de demeurer au pouvoir de longues années si les démocrates viraient complètement à gauche.
Et l’on peut se demander si la volonté de l’extrémiste de droite Elon Musk de créer une formation populiste radicale, l’American party, n’aidera pas aussi les républicains si elle réussit, en mettant leur parti entre celui-ci et le Parti démocrate, ce qui leur permettra de se réclamer d’un centre qu’ils affirment de manière mensongère incarnés.
La boucle serait alors bouclée!
Alexandre Vatimbella
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