dimanche 3 mai 2015

Une Semaine en Centrisme. La stratégie électorale dérangeante des centristes britanniques

Peut-on dire que l’on va travailler avec le vainqueur d’une élection quel qu’il soit?
C’est, en tout cas, l’affirmation que les «LibDems» (Libéraux-démocrates), les centristes britanniques, réitèrent sans fin depuis le début de la campagne pour les législatives qui auront lieu le 7 mai prochain, déclarant qu’ils seront dans le prochain gouvernement, soit du côté des Conservateurs, soit de celui des Travaillistes.
Que cela se produise ou non, interpelle les centristes de tous pays qui sont souvent accusés de simple opportunisme et de n’être qu’une moitié de gauche et une moitié de droite, capables de gouverner avec tout le monde et personne car sans projet politique bien défini et programme électoral clair, penchant souvent du côté du plus fort et monnayant leur soutien au nombre de sièges ministériels qu’on leur propose.
Et c’est vrai qu’on a la désagréable impression que les Libéraux-démocrates et leur leader, Nick Clegg – vice-premier ministre dans le gouvernement sortant du conservateur David Cameron – font tout pour ne pas perdre le pouvoir, eux qui ont déjà divisé par trois leurs intentions de vote par rapport à leur résultat de 2010 et qui devraient perdre la moitié de leurs députés à la Chambre des communes.
Et cet effondrement auprès des électeurs vient d’un effondrement auprès de la population qui voyait avec une grande sympathie les centristes lors des précédentes élections, ce qui faisait d’eux les outsiders du scrutin.
Même s’ils avaient terminé troisièmes, ils avaient pu réaliser un bon accord de gouvernement avec les Tories (conservateurs) où une partie de leurs propositions avaient été reprises tandis qu’ils avaient hérité de nombreux portefeuilles ministériels et du poste de vice-premier ministre en sus.
Mais tout allait dérailler presqu’aussitôt puisque les Conservateurs allaient faire peu de cas des positions des Libéraux-démocrates, notamment sur les points qui avaient rendu ces derniers si populaires, comme la promesse de supprimer les frais d’inscription à l’université qui devaient, en réalité… tripler!
Devant tant de renoncements, la cote des centristes britanniques allait chuter et ne s’en est jamais remise depuis.
Il faut dire que l’alliance entre Conservateurs et Libéraux-démocrates en avait étonné plus d’un.
En effet, pendant le gouvernement précédent de Gordon Brown (Travailliste), les Libéraux-démocrates avaient été souvent des opposants de gauche au «New labour» (le «Nouveau parti travailliste créé par Tony Blair, social-libéral et plus proche sur bien des points du Centre que les LibDems).
Du coup, le rapprochement entre la Droite et le Centre avait été vu comme anachronique voire une trahison pour de nombreux jeunes électeurs des Libéraux-démocrates.
Cependant, la réussite des Conservateurs en matière économique avec une reprise de la croissance, une baisse du chômage et la baisse des dépenses publiques est une des raisons pour lesquelles les centristes sont de nouveau prêts à s’allier avec eux.
Mais le programme des Travaillistes, s’il est parfois un peu trop à gauche pour les Libéraux-démocrates d’aujourd’hui, contient nombre de mesures qui sont soutenues par ces derniers.
Surtout, le Parti travailliste est pro-européen alors que le Parti conservateur est, globalement, anti avec ce fameux référendum que David Cameron organisera s’il est réélu dans le courant 2017 pour demander au peuple britannique s’il veut rester dans l’Union européenne.
Pour autant, peut-on attendre la fin d’une élection pour dire avec qui on va s’allier?
Evidemment, au Royaume Uni, les élections législatives, qui sont un scrutin uninominal à un tour où celui qui arrive en tête est élu quel que soit son pourcentage de voix, ne nécessitent pas d’alliances.
Un parti se présente donc seul et peut, ensuite, à son gré, nouer une coalition gouvernementale avec qui il veut.
De même, la différence idéologique entre les Conservateurs et les Travaillistes est bien moindre qu’il y a trente ans notamment du temps de Margaret Thatcher.
Du coup, les Libéraux-démocrates peuvent se retrouver parfois à gauche du Parti travaillistes dans certaines circonstances et à droite du Parti conservateur dans d’autres et souvent sur une ligne centrale adoptée par tous les partis de gouvernement.
Par ailleurs, la philosophie pratique des Libéraux-démocrates n’est pas nouvelle: gouverner avec ceux qui ont la meilleure offre, non seulement en reprenant la plus grosse partie possible de leur programme mais en offrant le plus grand nombre de postes ministériels intéressants.
Sachant qu’ils ne peuvent être majoritaires, les centristes britanniques choisissent donc de s’allier avec ceux qui leur permettent d’exister au mieux politiquement.
Et un de leurs arguments recevables est d’expliquer que, par leur présence, ils empêchent les ultras, conservateurs cette fois-ci peut-être travaillistes au sortir des élections, de dicter leur loi au gouvernement.
Sans oublier que si les Libéraux-démocrates peuvent adopter cette posture, c’est que l’on n’est plus dans un système où deux partis dominent de manière hégémonique, l’un à droite, l’autre à gauche, la vie politique du Royaume Uni.
Aujourd’hui, aux côtés des Conservateurs et des Travaillistes, il existe plusieurs partis qui peuvent jouer un rôle important dans la constitution d’un gouvernement.
Outre les Libéraux-démocrates, on trouve, par exemple, les nationalistes écossais pro-européens du SNP et les nationalistes anti-européens de l’Ukip
Néanmoins, l’impression désagréable d’un comportement de marchand de tapis persiste malgré toutes ces bonnes raisons que l’on vient d’énoncer.
Sans doute parce que les Libéraux-démocrates n’ont pas de ligne politique très claire et qu’ils ont montré qu’ils étaient capables de reniements sans aucun scrupule.
Si l’on se réfère aux cinq ans qu’ils viennent de passer en compagnie des Conservateurs au gouvernement, ils auraient du quitter celui-ci à maintes reprises s’ils avaient été fidèles à nombre de leurs positionnements passés.
Cela n’a pas été le cas, en grande partie pour ne pas provoquer des élections législatives anticipées au cours desquelles il y avait de grandes chances qu’ils soient laminés.
Peut-on espérer que le comportement des centristes britanniques soit moins flou lors de la prochaine législature?
On voudrait le croire et, certainement, les négociations en vue de la formation d’un nouveau gouvernement le démontreront rapidement puisque les LibDems ont mis plusieurs «lignes rouges» qu’ils ne franchiront pas.
L’une d’elles, par exemple, est qu’ils ne s’allieront pas avec un parti qui ne déciderait pas la revalorisation salariale des employés du secteur public.
Quant à savoir si, in fine, leur présence dans le gouvernement actuel a été bénéfique pour le Royaume Uni, c’est, en tout cas, l’opinion du quotidien conservateur mais pro-européen, The Financial Times, qui, dans un éditorial, écrit que «le parti de monsieur Clegg a prouvé qu’il avait été un partenaire responsable au gouvernement. Les électeurs doivent décider pas seulement quel parti mais aussi quelle coalition aura la meilleure chance de former un gouvernement stable et orienté vers les réformes. Le pays bénéficierait de la force compensatrice de la modération des LibDems à Westminster (le Parlement). Pour les sièges où les LibDems sont le sortant ou le principal challenger, nous voterions tactiquement pour eux».
Ce que Nick Clegg a ramassé en une formule citée par Le Figaro: «les Libéraux-démocrates apporteront un cœur à un gouvernement conservateur et un cerveau à un gouvernement travailliste»…

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC



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