lundi 1 mai 2017

Vues du Centre – Jean-François Borrou. Les médias français n’ont rien appris de l’élection de Trump

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Jean-François Borrou est le pseudonyme d’un journaliste proche des idées centristes et qui collabore épisodiquement à cette rubrique. Ses propos sont les siens et non ceux du CREC.

Le Pen & Macron
En tant que journaliste, c’est-à-dire celui qui dont la mission est d’informer avec responsabilité parce qu’un citoyen qui est au courant est celui qui peut exercer réellement sa citoyenneté, parce que la liberté d’expression est un fondement indépassable de la démocratie et parce que sans elle mon métier n’existerait pas, remplacé par celui de propagandiste, comme c’est le cas dans nombre pays, c’est plutôt la consternation avant la colère.
La consternation de voir que les médias français sont aussi irresponsables que leurs homologues américains et qu’ils n’ont rien appris du naufrage de ces derniers face à Donald Trump, lors de la campagne électorale de 2016.
Face à Marine Le Pen, ils ont exactement les mêmes pratiques et comportements, donnant ainsi une crédibilité démocratique indue à une candidate d’extrême-droite qui ne peut en avoir.
Je parle ici de crédibilité, ce qui n’est pas la même chose que la légalité qui permet aujourd’hui l’existence du Front national et sa liberté de parole, celles-ci lui étant reconnue même si cela pose un problème majeur du fonctionnement des régimes démocratiques et républicains.
Reste que c’est une autre histoire, sans doute fondamentale et qu’il faudra un jour traiter et dont la problématique se résume à cette contradiction majeure: comment la démocratie peut-elle donner la liberté de dire et d’agir à ceux qui veulent la détruire, donc à détruire la liberté, faisant donc en sorte de permettre à la liberté de détruire la liberté…
Dans l’Histoire, nombre de régimes totalitaires et dictatoriaux sont arrivés au pouvoir de la sorte.
Rappelons en l’espèce cette règle fort simple: il y a besoin que d’un seul individu sur terre qui veut sa liberté pour que tout régime liberticide et totalitaire que défendent les extrémistes n’ait aucune légitimité.
Car ce n’est pas la loi de la majorité qui prime mais bien le respect des droits de la minorité, fondement indépassable de la démocratie.
Mais revenons plus prosaïquement à cette élection et à la faute des médias.
D’abord, par cette sorte d’égalité entre les deux candidats, Macron et Le Pen – je ne parle pas ici de l’égalité de temps de parole qui est contenue dans la loi –, c’est-à-dire que, par exemple, les propos mensongers et irresponsables de Le Pen sont traités de la même façon que de simples faits et réalités cités par Macron.
C’est encore pire lorsque, face aux mensonges de Le Pen, ils mettent la réalité en balance comme s’il s’agissait de deux interprétations possibles de celle-ci.
C’est derrière l’équité entre les candidats que les journalistes se retranchent pour défendre cette drôle de manière d’agir qui est d’accepter le mensonge au nom de la justice…
C’est exactement grâce à cette supercherie que Trump a pu débiter autant de «fake news» pendant sa campagne et qu’il a continué depuis le premier jour où il s’est installé à la Maison blanche.
On pensait la leçon retenue, et bien, pas du tout!
Ensuite en jouant le jeu peu ragoûtant du sensationnalisme, du buzz et du faux suspens.
Ainsi, comment une chaine comme BFMTV ou un journal comme le JDD peuvent-ils titrer dimanche 30 avril que rien n’est joué (et ils ne sont pas les seuls) alors que les seules mesures qu’ils ont pour l’affirmer, sont des sondages qui donnent Macron à 60% des intentions de vote?!
Peut-être qu’in fine, Emmanuel Macron sera battu mais au moment où ces médias ont fait leur choux gras de cette pseudo-incertitude, ils débitent un énorme mensonge.
Dès lors, il s’agit rien de moins que de faire du racolage pour augmenter son taux d’audience ou son tirage, c’est-à-dire pour gagner plus d’argent sur le dos de la vérité.
C’est exactement grâce à ce manquement grave de la déontologie que Trump a pu exister.
En s’appuyant sur cette couverture sensationnaliste des médias sans lien avec ce qui se passait réellement, cela lui a permis d’être constamment dans le salon des Américains avec cette idée qu’il pouvait concrètement devenir le président des Etats-Unis alors qu’aucun élément ne le corroborait (rappelons une énième fois qu’Hillary Clinton a gagné le suffrage universel et que Trump a remporté l’élection grâce au système électoral et que cette victoire était imprévisible par les médias et les analystes malgré ce que disent de manière éhontée certains d’entre eux).
Ce n’est pas le fait de rapporter les mensonges de Le Pen qui est grave mais de leur donner la légitimité d’une réalité en ne les contredisant pas systématiquement.
Bien entendu, il est fort possible que des médias au niveau de leur direction ou de leur rédaction, aient choisi Le Pen contre Macron, ceci pouvant expliquer cela dans certains cas.
Ainsi, quand on en voit certains renvoyer dos à dos Macron et Le Pen plus ou moins subtilement, on comprend que les valeurs de la démocratie ne sont pas les leurs.
Mais, ici, je voulais parler de ce comportement journalistique irresponsable d’une presse démocratique pas d’une prise de position partisane.
Comme l’expliquait Théophraste Renaudot, le «créateur» de la presse en France au XVII° siècle, «La Gazette (son journal, NDLR) ne ment pas, même quand elle rapporte quelque nouvelle fausse qui lui a été donnée pour véritable. Il n’y a donc que le seul mensonge qu’elle controuverait à dessein qui la puisse rendre digne de ce blâme».
Et il ajoutait que le journaliste doit «éclaircir ce qui est obscur» et que si «un grand nombre de nouvelles courent sur la place», la presse doit «les vérifier et rechercher la vérité».
Rien a changé depuis cette époque où existaient déjà les falsificateurs de la réalité face à ceux qui voulaient faire un travail honnête et digne, les seuls qui ont l’honneur d’être appelés journalistes.

Jean-François Borrou


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