mardi 3 décembre 2019

Une Semaine en Centrisme. Etats-Unis – Les démocrates ont-ils exaucés les vœux des républicains en virant à gauche?

Si les républicains ont toujours voulu présenter des démocrates comme des dangereux gauchistes, voire des communistes infiltrés – la véhémence de leurs attaques à l’encontre de Franklin Roosevelt est à ce titre très caractéristique –, une stratégie systématique en ce sens a été mise en place depuis les années 1990 lors de la présidence de Bill Clinton – en particulier avec l’activiste Newt Gingrich, alors speaker de la Chambre des représentants – puis a pris une dimension quasiment quotidienne lors de la présidence de Barack Obama et est devenue désormais du domaine de l’hystérie.
Cette stratégie avait un objectif, faire en sorte de diaboliser les démocrates pour que les électeurs – en particulier les «independents» modérés – se détournent de ceux-ci par peur et rejet d’adjectifs comme «liberal», «socialiste», extrême-gauche», etc. qui sont souvent des épouvantails pour une partie de la classe moyenne notamment des petites villes et des campagnes.
Pour ce faire, les républicains ont mis en place une tactique à double détente: invectiver constamment les démocrates tout en refusant toute collaboration avec des derniers et en menant, parallèlement, une désinformation constante qui consistait à délibérément déplacer de manière illégitime, le curseur politique qui leur permettait alors de placer les démocrates à gauche en les accusant de dérive gauchiste et eux au centre-droit tout en faisant en sorte de mener une politique de droite radicale voire extrémiste.
Tout ceci a, d’une part, été bien expliqué par nombre de politologues et politistes américains (avec, en particulier, un ouvrage référence écrit par deux universitaires, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre républicain, Norman Onrstein intitulé «It’s Even Worse Than It Looks: How The American Constitutionnal Sytem Collided With The New Politicis Of Extremism»), et d’autre part, bien fonctionné auprès, sinon du grand public, en tout cas de nombre de médias qui se sont laissé prendre par cette propagande très simpliste mais efficace.
Un autre but des républicains dans l’affaire était de réellement radicaliser les démocrates, c'est-à-dire de faire en sorte de créer une opposition dure de leur part en réaction à ces accusations et de permettre, dans le même dans, à la gauche démocrate, de retrouver une légitimité en démontrant l’inanité, selon elle, de la part des centristes du parti de vouloir mener une politique équilibrée et consensuelle, surtout de continuer à rechercher le compromis avec des républicains modérés (il est vrai de moins en moins nombreux car éliminés systématiquement lors des primaires, les militants radicaux et extrémistes étant, dans les deux partis, surreprésentés alors lors de ces scrutins).
Et force est de reconnaitre que cette stratégie primaire a, en partie, fonctionné.
L’opposition plus frontale des démocrates s’est bien produite mais, non pas par leur radicalisation mais tout simplement parce qu’il fallait s’opposer à des républicains devenus des radicaux et des extrémistes dans leur majorité.
Néanmoins, cela a créé cette impression, reprise de manière éhontée (et peu professionnelle) par nombre de médias, d’une radicalisation des démocrates.
De même que la relégitimisation de la gauche démocrate, qui était discréditée après ses multiples échecs électoraux (le plus cuisant étant celui de leur candidat à la présidence en 1972, George McGovern, face à Richard Nixon), s’est également produite ce qui a permis au socialiste Bernie Sanders (qui n’est pas membre du Parti démocrate) d’être un concurrent crédible face à Hillary Clinton lors des primaire démocrates de 2016 et qu’aujourd’hui pour les primaires de 2020, ce soit le cas d’Elizabeth Warren (liberal de gauche) et du même Sanders face au favori actuel, le centriste Joe Biden.
Ces deux candidats à la primaire et tout un mouvement très à gauche à l’intérieur du parti (avec comme cheffe de file, entre autres, la représentante de New York, Alexandria Occasio-Cortez, qui se définit comme socialiste et qui est devenue l’égérie de tout ce qui est à gauche dans le parti) sont, a priori, du pain béni pour les républicains, pour l’instant, et pour Donald Trump en vue de sa possible (et cauchemardesque) réélection.
Dans la presse américaine, en tout cas, le débat est désormais lancé ce qui est d’abord une victoire pour le Parti républicain mais aussi pour tout ce que le pays compte de gens de gauche et tout cela au détriment du Centre.
Ainsi, on a vu fleurir tout une série d’articles, de reportages et d’enquêtes qui pointaient un déplacement vers la gauche du Parti démocrate avec, en particulier, cette Une un brin provocatrice du New York Magazine, titrée «When did everyone become a socialist?» (quand est-ce que nous sommes tous devenus socialistes?).
Un des derniers du genre est paru dans le Washington Post (et repris par CNN) et il qualifie Barack Obama de «conservateur», le journaliste l’ayant écrit prétextant un changement dans le paysage politique du pays pour caractériser l’ancien président alors que son centrisme est indiscutable!
Qu’en est-il donc, en réalité, de la soi-disant gauchisation du Parti démocrate?
La réponse à question cette invite à une certaine nuance.
D’abord, il y a effectivement une vague de gauche qui a émergé ces trois dernières années (mandat de Trump) avec, par exemple, une hausse du nombre de militants des Democratic Socialists of America, elle est avant tout extérieur au Parti démocrate.
Et si l’on parle du positionnement général du parti, il semble que si déplacement il y a, il est relativement modéré.
Car si les démocrates aujourd’hui défendent une assurance santé universelle, une augmentation significative des salaires, des impôts plus élevés pour les riches et les ultras-riches, des protections pour certaines minorités, le droit des femmes à disposer de leur corps, c’est essentiellement parce que les républicains ont adopté des législations très à droite qui ont largement été désastreuses pour les plus pauvres et les classes moyennes.
Toutes les positionnements que l’on vient de citer sont défendus par les centristes dans une vision de juste équilibre et de méritocratie ainsi que de liberté de l’individu qui sont ici remis en cause par les radicaux et les extrémistes républicains.
En revanche, on peut dire que la gauche démocrate a retrouvé des couleurs mais est également capable d’influencer la ligne politique du parti, souvent à la marge, parfois de manière plus évidente.
Et, c’est vrai également, qu’elle tente d’exercer une forte pression sur la direction du parti pour que celle-ci épouse leur idéologie.
Néanmoins, le Parti démocrate reste encore une formation de centre-gauche avec un fort courant centriste libéral et progressiste (au sens français des termes).
Cependant, une gauchisation n’est pas à exclure si le candidat démocrate désigné lors des primaires était un centriste et ne parvenait pas à battre Donald Trump lors de l’élection générale de 2020 (Actuellement, Joe Biden possède 11 points d’avance sur Sanders dans la moyenne des sondages concernant les primaires et 13 points sur Trump dans le dernier sondage sur la présidentielle).
Car l’«accident historique» de 2016 n’en serait plus un et impliquerait – peut-être pour le pire – un examen de conscience des démocrates qui pourraient les déporter vers une gauche plus appuyée voire radicale, ce qui pourrait les éloigner du pouvoir pendant longtemps alors même que la démographie électorale joue en leur faveur.

Alexandre Vatimbella
Directeur du CREC

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