dimanche 31 janvier 2021

Vues du Centre. Le vertige de la présidence Trump interroge notre rapport à la démocratie

Par Alexandre Vatimbella & Aris de Hesselin

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.          
Aris de Hesselin est un avocat international, centriste et un européen, défenseur d’une mondialisation humaniste.
Alexandre Vatimbella est le directeur du CREC.   

Les Etats-Unis et les démocraties en général ne pourront pas faire l’impasse sur une profonde analyse du phénomène Trump et sur une introspection afin d’un «plus jamais ça».

Voilà donc un personnage aux agissements mafieux, comme l’ont décrit maints commentateurs américains, qui a réussi à gouverner la première démocratie et puissance mondiale ainsi qu’à tenter de provoquer un coup d’Etat pour se maintenir au pouvoir sans ayant jamais gagné le vote populaire de ses concitoyens.

Cette première constatation est déjà hautement dérangeante.

La «tragédie américaine» comme ces mêmes commentateurs appellent ces quatre ans qui viennent de s’écouler donne le vertige tellement elle a révélé, au-delà du comportement d’un homme détestable, incompétent, corrompu et menteur, la part sombre d’un pays où après ses méfaits celui-ci a réussi à obtenir 74 millions de voix à la présidentielle, c'est-à-dire un record pour un candidat représentant le Parti républicain (et score seulement battu lors d’une présidentielle par son vainqueur, Joe Biden, qui a obtenu plus de 81 millions de voix) alors même que sa place devrait être derrière les barreaux.

On pourrait gloser sur cette propension à l’idolâtrie que les Américains vouent aux «bad boys», ceux qui défient la loi et le gouvernement, et qui ont fait de crapules comme Jesse James ou Al Capone de véritables icônes en leur temps et dont la mémoire est encore célébrée pour certains.

Sans doute que toute une frange de la population étasunienne se croit toujours au far-West, dans cette période mythique dont le cinéma a produit des légendes dont l’empreinte demeure encore très vivace au pays de la Frontière et des opportunités, où le héros est ce rebelle qui défie les autorités souvent véreuses et corrompues.

Sans doute aussi que la dureté de la société américaine qui récompense au-delà du raisonnable ceux qui réussissent et qui oublient souvent  au-delà de la décence ceux qui n’y arrivent pas, a développé un fort ressentiment à l’encontre du personnel politique et de pouvoirs publics qui n’agissent pas et que ces faux justiciers semblent punir et se placer aux côtés des oubliés à la grande joie de tous les John et Jane Doe (monsieur et madame Tou-le-monde).

De même, nous sommes face à un pays relativement neuf dont les soubresauts peuvent également être expliqués par ce manque de maturité d’une société qui n’existe que comme une entité libre que depuis moins de 250 ans.

Cependant, si tout cela est exact, cela ne suffit nullement à expliquer le phénomène Trump et n’est même pas la part la plus importante de la réponse à nos interrogations sur ce qui a pu déraper, non pas uniquement en 2016 lors de la victoire du populiste démagogue mais bien en amont.

Les raisons qui l’ont porté au pouvoir peuvent être divisées en deux catégories: celles qui sont locales et concernent les Etats-Unis en tant qu’entité et celles qui sont globales et concernent le régime démocratique en tant que tel (et la nature humaine plus  vastement).

Dans les raisons locales, il y a le paysage politique qui date de bien avant Trump ainsi que les institutions et la Constitution sans oublier les profondes racines de la société américaine et les mythes (fondateurs mais aussi qui se sont constitués au fil de son histoire) qui définissent des parties plus ou moins importantes de la population et qui sont interprétés différemment selon ses orientations partisanes.

Ce qui est le cas, par exemple, du rêve américain où chacun met ce qu’il veut.

Pendant longtemps –avant même de recevoir l’appellation de rêve par James Truslow Adams –, il était néanmoins une sorte de ciment social parce qu’il unifiait les individus dans une quête identique d’une meilleure vie même si le contenu de celle-ci différait parfois du tout au tout d’une personne à une autre.

Car, de par la relative jeunesse et de par ses multiples strates ainsi que ses myriades d’origine, la société américaine ne peut être soudée que par des concepts, des représentations ou des mythes plus que par une appartenance nationale.

Ce n’est pas pour rien que l’on dit que les Etats-Unis sont une idée avant d’être un pays.

C’est même une possibilité avec tout ce que les divergences que ce terme implique.

De ce point de vue, la glorification du drapeau qui est affiché fièrement partout peut signifier qu’il joue comme une sorte de point de rencontre improbable mais nécessaire de toutes les Amériques qui se confrontent et s’affrontent.

Les Etats-Unis sont quand même un pays qui a connu une des pires guerres civiles où les questions identitaires étaient aussi importantes que les questions économiques, sociales et sociétales.

C’est tellement vrai que les divisions entre le Sud et le Nord demeurent vivaces alors que celle-ci a eu lieu il y a plus de cent cinquante ans et que la fracture est sans doute aujourd’hui plus profonde que les restes de celle de la Révolution en France qui a pourtant divisé le pays profondément et durablement.

C’est d’autant plus vrai que les politiques, plus particulièrement le Parti républicain mais aussi une frange du Parti démocrate, au lieu de jouer un rôle modérateur sur les divisions et de prôner une union dans la différence, ont décidé de faire de celles-ci un argument majeur de leur discours, un creuset électoral et une arme politique de première importance.

La responsabilité des républicains, non pas dans la création d’irréconciabilités entre Américains, mais dans leur instrumentalisation pour des gains électoraux, est, ici, gigantesque.

Dans les raisons globales, dont certaines sont nées aux Etats-Unis ou sont plus fortement prégnantes dans le pays, il y a ce dévoiement des valeurs et des principes démocratiques dont un des principaux est l’individualisme et son corolaire, l’autonomisation débridée, qui s’est transformé en un comportement égoïste irresponsable irrespectueux et consumériste, terreau du populisme et de l’extrémisme.

La volonté du nouveau président, Joe Biden, un centriste assumé, de réconcilier le pays et de refonder le pacte national est, certes, salutaire mais va se heurter à des écueils immenses et pas simplement à cause des quatre années de présidence de Trump.

C'est dans la revitalisation voire dans la redéfinition d’un mythe commun comme le rêve que se trouve en partie une réponse aux divisions.

Mais cela ne suffira pas.

Parce que le vertige de présidence populiste qui s’achève interroge la capacité d’un peuple de pouvoir gérer et faire fonctionner un régime aussi fragile que la démocratie dans la durée.

Jusque là, les Etats-Unis étaient la preuve qu’elle existait alors que tous les autres pays du monde ont connu des à-coups nombreux dans leur marche vers la démocratie sans oublier ceux qui n’ont jamais réussi à l’établir.

Or, voilà que l’archétype démocratique vacille dangereusement de par l’action répétée mais non extrêmement violente d’une frange de politiciens radicaux et extrémistes, de groupes séditieux, d’idéologues haineux et d’un personnage que l’on verrait plus jouer le méchant dans un film des Marx brothers ou un dessin animé de Walt Disney…

Oui, il faudra interroger avec une grande attention et une précision particulière, le rapport que l’humain entretient avec l’idée de la démocratie sans faire l’impasse sur comment pourrait évoluer ce binôme, comment un approfondissement est possible ou souhaitable, comment, en définitive, nous nous voyons et comment nous respectons les autres.

 

Alexandre Vatimbella & Aris de Hesselin

 

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