samedi 10 novembre 2012

Vue du Centre. La victoire de Barack Obama et la génération «post-partisane»

Dans cette rubrique, nous publions les points de vue de personnalités centristes qui ne reflètent pas nécessairement ceux du CREC. Ces points de vue ont pour but d’ouvrir le débat et de faire progresser la pensée centriste.
Olivier Nataf, Vice-Président MoDem Etats-Unis, membre co-fondateur des «Démocrates d’Amérique du Nord», et auteur du blog politique «Des Mots Crates» (www.desmotscrates.com)

Le Centre est une conviction, pas une hésitation. Ca n’est pas «ni gauche ni droite», ou «un peu de gauche un peu de droite», c’est une troisième voie différente et indépendante. En France depuis trente ans, la gauche et la droite se sont succédées au pouvoir et ont entrainé le pays dans une spirale d’alternance, un manque dramatique de continuité dans l’action publique et aucune place pour l’alternative équilibrée qui pourrait nous faire aller de l’avant.
«Aller de l’avant»… «Forward»… était le thème de la campagne qui a permis la réélection du Président Barack Obama. Après avoir passé les quatre dernières années à empêcher les Etats-Unis de sombrer dans la récession tout en mettant en place les fondations du redressement productif, l’heure et venue pour le Président Obama de concrétiser l’espoir (Hope) et le changement (Change we can believe in) qui l’avaient fait élire en 2008.
Car nous l’avons bien vu, dans le royaume du bipartisme que sont les Etats-Unis, on a vite fait de rendre le gouvernement impuissant et paralysé devant les décisions majeures qui doivent être prises. Il n’y a pas de Centre aux Etats-Unis, mais il existe chez certains politiciens une volonté, mise à rude épreuve, de dépasser la division démocrate-républicain. Obama a essayé, il a échoué.
Sur la base de ces premières remarques, je pense que l’on peut se rendre compte de l’importance du pluralisme et de l’équilibre que représente le Centre pour deux raisons principales, mais qui différent un peu dans nos deux pays.
D’abord pour le déblocage partisan et donc une réelle possibilité de progrès, ce qui est valable aussi bien pour la France que pour les Etats-Unis.
Ensuite, pour le choix d’un projet de société moderne, fondé sur la liberté d’entreprendre, la solidarité, la responsabilité, qui existe aux Etats-Unis avec les démocrates, mais qui doit encore émerger en France face au socialisme et au néolibéralisme qui caractérisent nos deux principaux partis et leurs alliés.
En schématisant et en se basant sur notre modèle français, on pourrait dire que la France a une gauche et une droite, et les Etats-Unis un centre et une droite. On voit donc bien la limite de ce vocabulaire à deux dimensions car, en fonction du pays, les projets et les idéologies qui se cachent derrière les positions gauche-centre-droit peuvent être bien différents.
Je n’ai jamais cru en la victoire de Mitt Romney, mais je me suis quand même trompé: j’avais prévu une grande défaite pour lui.
C’est incroyable de se dire que la principale raison pour ce score serré, au moins sur le plan du vote populaire (51% vs. 49%), est sans doute la bonne performance de Romney et le raté d’Obama au premier débat. Je crois pouvoir dire que jamais un débat n’a eu autant de poids sur une élection américaine, et je continue à croire que c’est pour une raison bien précise: Romney y a gagné une dimension essentielle à tout homme qui prétend devenir le leader d’un de nos pays, la légitimité (d’ailleurs celle du nouveau président français peut se discuter, ce qui expliquerait pas mal de choses). Le manque d’engouement dans le camp républicain durant la primaire, et la profonde conviction qu’il ne tiendrait pas face au Professeur Obama lui ont finalement donné une opportunité de montrer très simplement une dimension d’homme d’Etat juste en tenant tête au président, lui-même absent lors de ce premier débat.
Mais attardons-nous plutôt sur le nombre de votes, et l’analyse change quelques peu. Romney a obtenu 2 millions de votes de moins par rapport à McCain en 2008. Vous me voyez venir, cela signifie qu’Obama 2012 a perdu 9 millions de voix par rapport a Obama 2008. Les américains ont donc moins voté qu’en 2008 ou même qu’en 2004 (Bush/Kerry), mais surtout ont beaucoup moins soutenu le candidat Obama, président sortant.
Cette victoire, il semble cependant la devoir au fait que l’Amérique ait changé, plus qu’au fait qu’il ait changé l’Amérique.
En effet, les journalistes américains ne parlent que de ça, cette analyse qui fait l’effet d’une sonnette d’alarme pour les républicains. D’abord, Obama a été élu grâce aux femmes qui représentent 54% des votants et ont voté à 55% pour Obama. Ensuite les latinos, le groupe ethnique dont la population croît le plus rapidement aux Etats-Unis, lui ont donné des Etats comme le Colorado, le Nevada et la Floride, traditionnellement très disputés voire à tendance républicaine. Enfin, les jeunes qui sont encore allés voter en masse (mais moins qu’en 2008) ont contribué à sa victoire dans des Etats clefs comme l’Ohio. Une grande question est donc sur les lèvres de nombreux journalistes: quel est le poids des hommes blancs dans les élections américaines de nos jours? Et d’autres questions s’empressent de suivre, par exemple: que doivent faire les républicains pour regagner la confiance des femmes, des jeunes, des hispaniques, mais aussi des banlieues qu’ils avaient tendance à gagner avant (en général lieu de vie des plus aisés) mais qu’ils ont perdu à des endroits stratégiques cette année (ce qui est lié aussi au vote des femmes)?
Au delà de ces calculs, et une fois la gueule de bois des républicains et l’ivresse des démocrates passées, il restera la situation d’avant-hier: un pays très divisé, un Sénat confirmé par les démocrates avec trois sièges supplémentaires (grâce à des femmes nouvellement élues), une Chambre des représentants toujours sous contrôle républicain, et des décisions urgentes sur la dette publique et le budget avant la fin de l’année. Le jeu partisan de l’année dernière avait fait perdre aux Etats-Unis leur fameux triple A, l'agence de notation Standard and Poor's jugeant à l’époque que les disputes partisanes représentaient un risque pour l’économie américaine.
Dès le lendemain de l’élection, le président a eu au téléphone les représentants démocrates et républicains du Senat et de la Chambre pour les appeler à travailler ensemble. Un pas que nous avons bien du mal à faire en France, malgré les risques avérés que cela représente.
Barack Obama à maintenant une chance de rentrer dans l’histoire par la grande porte, en passant d’un statut de symbole à celui de grand Président des Etats-Unis. Le Reagan des démocrates, le Kennedy des temps modernes, l’Obama de la génération future – la génération post-partisane.
Olivier Nataf