jeudi 27 mai 2021

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Le logiciel de la presse erroné face aux nouvelles menaces contre la démocratie

Par définition, une presse libre n’existe que dans un pays de liberté.

Cette évidence est bonne à rappeler à tous ceux qui ont tendance à l’oublier.

Pouvoir dire et écrire ce que l’on veut grâce à la liberté d’opinion, à la liberté d’expression et à la liberté de la presse est l’apanage d’une démocratie républicaine.

Et cette dernière est le socle de la libre parole.

Il n’est pas question, pour moi, ici, de refaire le débat sur l’utilisation de la liberté par ses ennemis pour tuer la liberté, le lecteur pourra lire mon point de vue par ailleurs (lire ici).

Non, ce dont je veux parler c’est de la responsabilité des médias face aux nouvelles menaces qui pèsent contre notre liberté.

Bien entendu, cette nouveauté emprunte largement à l’ancien mais pas seulement.

Et ce que j’entends par nouveauté c’est également un temps nouveau qui est également le retour d’un cycle qui semble inéluctable dans une démocratie républicaine où, à périodes répétées, l’hydre autoritaire et totalitaire revient en force pour abattre l’édifice démocratique en s’appuyant sur les frustrations d’une partie de la population, que celles-ci s’appuient sur du réel ou du fantasmé.

Nous sommes dans une de ces périodes comme nous l’étions dans les années de l’entre-deux guerres par exemple ou lorsque Bonaparte prit le pouvoir pour faire cesser la «chienlit» de la Révolution.

Et la presse semble incapable de prendre la mesure du défi qui se présente et qui pourrait bien, à terme, tuer sa liberté et donc la liberté tout court.

Pourtant, au début des années 1980, quand, en France, l’extrême-droite relève la tête – en même temps que l’extrême-gauche commence à se déliter avec la chute lente mais inéluctable du Parti communiste –, les journalistes dans leur immense majorité tentent de mettre un pare-feu face au Front national en refusant de reprendre ses déclarations ou d’inviter ses dirigeants à s’exprimer dans leurs colonnes, dans leurs studios et sur leurs plateaux.

Cela n’empêche, certes pas, la montée des thèses fascistes défendues par ce parti dans l’opinion – ainsi que les accros à ce pacte antifasciste –  mais cela permet qu’un interdit démocratique demeure, celui d’empêcher les ennemis de la liberté d’utiliser la presse pour la supprimer.

Et, dans la foulée, de montrer du doigt les menaces que leurs thèses recèlent.

Mais ce pare-feu va, petit à petit, de déliter puis céder d’autant plus que la mémoire collective oublie dangereusement les régimes totalitaires de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie et que le monde de l’extrême-droite discret au sortir de la Deuxième guerre mondiale se décomplexe et peut à nouveau faire de la propagande et du prosélytisme afin de retrouver son espace politique et électoral.

Ceux qui pensaient que les thèses totalitaires qui charrient les idées les plus repoussantes auraient disparu comme par enchantement, tombent de haut mais refusent alors la fatalité d’une résurgence à terme victorieuse de leurs propagateurs.

Pour autant, dans un premier temps, ils minimisent une menace dont ils pensent qu’elle est encore lointaine.

Le réveil sera d’autant plus cauchemardesque.

Dès 1986, pour torpiller une victoire écrasante de la Droite aux législatives, François Mitterrand change à la va-vite le système électoral pour permettre à des dizaines de députés du Front national de siège à l’Assemblée nationale afin de créer la zizanie entre eux et les représentants de la droite républicaine.

Si le président socialiste porte une lourde responsabilité dans le début de cette fameuse «dédiabolisation» de l’extrême-droite, il n’a tout de même pas créé cette dernière, ni son ascension.

Et en 2002, c’est le coup de tonnerre avec la présence de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle en lieu et place de celui qui faisait pourtant figure de prochain président de la république, Lionel Jospin.

Ce dernier coup de semonce n’a toujours pas été pris à la mesure du challenge qu’il posait à la démocratie par la presse.

Dès lors, est-il étonnant que Marine Le Pen ait été au second tour de la présidentielle de 2017 face à Emmanuel Macron et que sa présence ait été vue somme toute comme «normale».

Normale, elle l’était bien sûr puisqu’elle a obtenu le nombre de voix nécessaire pour y être.

Normale dans une démocratie républicaine, assurément non!

Et le fait que tous les sondages actuels disent qu’elle sera au second tour en 2022 montre bien que cette démocratie républicaine s’est bien mal défendue.

Evidemment, elle n’est pas la seule comme l’a montré l’élection de Trump aux Etats-Unis en 2016 ou la présence d’autocrates au pouvoir en Hongrie, en Pologne, en Turquie, en Russie (où il y eut des élections libres, ne l’oublions pas, avant la mainmise de Poutine sur le pays), aux Philippines, au Brésil.

Oui, le mouvement qui porte l’extrême-droite et la montée du populisme qui permet ses victoires concernent toutes les démocraties du monde.

En Espagne, c’est Vox, parti franquiste qui à le vent en poupe, tout comme en Allemagne, l‘AfD, le parti néo-nazi.

Et il n’y a pas si longtemps, c’est le parti fasciste de la Ligue qui était au gouvernement en Italie.

Dans ce paysage extrêmement préoccupant, la presse n’a pas remplie son rôle quand il le fallait.

Pire, aujourd’hui, pour des raisons multiples qui vont d’idéologies inquiétantes à de simples motifs commerciaux, elle a très largement ouvert ses portes à tous les extrémistes, les radicaux et les populistes qui veulent abattre la démocratie.

Et face aux réseaux sociaux, non seulement elle n’a pas été la digue de la responsabilité et du sérieux de l’information mais elle s’est mise à copier internet pour tenter d’assurer sa survie économique.

Même les médias de service public, pourtant à l’abri de déboires financiers, ont joué le mimétisme avec cette presse commerciale et ces réseaux sociaux.

Mais la presse n’est et ne peut être qu’une pâle copie de ces réseaux si elle veut les singer.

Ceux-ci  auront toujours un temps d’avance et une image romantique positive auprès de ceux qui veulent les croire ou qui tombent dans le panneau de leur information biaisée par rapport à une presse devenue, par sa propre volonté d’ailleurs, une institution en s’autoproclamant «quatrième pouvoir», une énorme erreur de communication…

Parce qu’aujourd’hui, un des succès des réseaux sociaux, c’est bien d’être le lieu contre tous les pouvoirs institutionnalisés.

Pourtant, le fait d’être cette institution aurait pu permettre à la presse d’être ce lieu de responsabilité où l’on informe d’abord et où l’on permet au citoyen de prendre la mesure des périls contre sa liberté.

Au contraire de cela, elle a joué l’irresponsabilité au nom d’une liberté qui impose justement de la responsabilité pour être effective…

Aujourd’hui, la presse ne remplit pas son devoir démocratique en mettant, par exemple, sur le même pied un Emmanuel Macron et une Marine Le Pen, une Hillary Clinton et Donald Trump dans ce que certains ont appelé les «fausses équivalences» qui aboutit à ce que les propos mensongers des extrémistes soient mis sur le même plan que les dires vérifiés des démocrates, où les positions et les personnalités des apprentis autocrates soient traitées de la même manière que celle des candidats des partis démocratiques.

On a vu le résultat en grandeur nature qui s’est produit aux Etats-Unis où, in fine, un personnage comme Trump a pu parvenir à la Maison blanche grâce à une dédiabolisation venue des médias eux-mêmes et qui a tenté un coup d’Etat à la fin de son mandat pour demeurer au pouvoir.

Un Trump qui est un modèle pour Marine Le Pen, tout comme l’est Poutine qui tue des opposants et musèle les médias qui ne sont pas à ses ordres.

Il est urgent que la presse évolue vers une prise de conscience de sa responsabilité dans la protection de la démocratie qui seule lui permet d’exister.

Et quand je dis qu’elle doit évoluer, c’est parce que le temps soi-disant béni où elle était ce phare de la liberté n’a jamais existé!

Cependant, on pouvait penser qu’en accumulant de l’expérience et en formant mieux ses journalistes, elle serait capable de remplir sa mission d’informer du mieux possible le citoyen pour que ce soit celui-ci qui se fasse sa propre opinion tout en lui rappelant que s’il pouvait le faire c’est bien parce qu’il y avait une presse libre, dont la liberté était uniquement garantie par un régime démocratique.

Cela n’a pas été le cas et la défiance qui pèse désormais sur la démocratie vient en partie de ses erreurs, voire de ses fautes ou, pire, d’une volonté affirmée par certains médias d’être des éléments subversifs à l’encontre de la démocratie républicaine.

Peut-on espérer un sursaut et voir le logiciel journalistique être enfin mis aux normes des gigantesques défis qui se présente à la démocratie en ce XXI° siècle?

Les solutions existent, comme par exemple, un service public de l’information géré par une autorité indépendante et contraint par une charte précise de remplir sa mission indispensable à la formation d’un citoyen responsable et capable de prendre des décisions en toute connaissance de cause pour ses intérêts et ceux de sa communauté tout en respectant les valeurs, les principes et les règles de la démocratie.

Mais, seuls les organes de presse commerciaux eux-mêmes peuvent décider de devenir enfin ce pourquoi ils existent in fine dans une démocratie: promouvoir la liberté.

 

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