vendredi 26 janvier 2007

Actualités du Centre. Présidentielles 2007 - Tribune libre de Jean-Pierre Roux, historien, dans Le Monde La balle au centre, enfin !

Des sondages le disaient bien avant l'ouverture de la campagne présidentielle : deux Françaises et Français sur trois ne veulent plus marcher au pas cadencé du droite-gauche, dénoncent la vieille règle du jeu constitutionnelle et les modes d'élections à la hache qui remettent aux ténors et élus, de l'UMP comme du PS, le soin de régner partout en solo alterné. Et alors qu'ils ne séduisent pas plus d'un tiers des électeurs. 
Pourquoi ne pas entendre un candidat hors norme mais entêté de morale civique et d'union nationale, un modéré immodérément républicain qui tient un discours pour adultes, refuse la guerre des deux camps et demande de retrousser les manches ? Pourquoi, depuis que les sondages deviennent plus favorables à François Bayrou, ces piaillements de la gauche chabichou et de la droite rambo, sans parler du sourire des extrémistes patentés ? Pourquoi tant de condescendance parce qu'un centriste de SAMU revient au vif du vrai débat et souhaite aider à donner les premiers soins à la patiente si mal en point ?
Il n'est ni incongru ni illégitime d'avoir aujourd'hui à compter avec ce représentant d'une famille politique souvent effacée dans l'alignement gauche-droite, désunie et impuissante plus qu'à son tour mais qui, malgré tout, a gardé l'oeil et l'esprit vifs, l'âme en paix et le coeur à l'aise depuis... la Révolution. Quand une poignée d'Impartiaux voyaient déjà dans l'affrontement orchestré entre droite et gauche une promesse de guerre civile et une garantie d'impuissance.
Cette famille est restée durant deux siècles, de Guizot à Barre, de Ferry à Schuman, de Gambetta à Simone Veil, une force centripète postée à l'affût entre ultras et jacobins, entre étatistes et libéraux, entre autoritaires et révolutionnaires. Elle a su, temporairement mais non sans succès, négocier et dépasser des conflits, défendre les libertés, porter la modernité, mobiliser des "couches nouvelles", promouvoir le travail, l'association et l'instruction. Ce centre démocratique a réuni des libéraux assagis, des non-conformistes prophétiques, des néo-constructeurs, des gestionnaires avisés, des notables populaires, des sociaux-démocrates avoués, des résistants non encartés, des rénovateurs et des personnalistes de tout poil.
Forcer le destin
Et, surtout, il a rameuté des catholiques sociaux puis des démocrates chrétiens en quête d'une nouvelle République et des radicaux solidaristes, mendésistes et réformateurs. Il a été copieusement défait et raillé par de Gaulle et les gaullistes au temps de Monnerville, de Lecanuet et de Poher, tenu en laisse puis désaffecté sous Giscard, méprisé par le PS. Et il n'a jamais pu prendre ses aises dans le présidentialisme et la bipolarisation imposés par la Ve République.
C'est alors que François Bayrou intervient, à l'heure exacte où présidentialisme et bipolarisation sont entrés en déconfiture, où droite et gauche implosent, où le pays menacé voudrait tant reprendre courage. Il a forcé le destin, enfoncé le coin entre majorité et opposition, gagné en popularité et en souffle, engagé une bataille de France profonde où héritage et anticonformisme ne font pas, semble-t-il, si mauvais ménage.
L'héritage ? Ce sont les idées force du centrisme offensif. La promotion d'un humanisme chrétien et laïque, de confession libre et d'instruction obligatoire, qui défend la personne et leste l'individu désemparé, bataille pour la vérité et la justice face à la raison d'Etat, dénonce ceux qui, ayant la puissance et l'argent, croient pouvoir imposer leur matérialisme inégalitaire et pervers.
La valorisation d'une démocratie représentative où les personnes, les collectivités, les associations qui mutualisent et haussent l'art de vivre ensemble seront mieux installées et reconnues, pourront expérimenter, diversifier, participer, corrigeant ainsi notre propension nationale à l'autoritarisme, à l'égalitarisme et à l'idéologisation.
La conviction qu'aucune question nationale ne peut être bien posée et réglée sérieusement si on n'étend pas ses attendus et ses modes de gestion aux deux extrémités, si conflictuelles, si modernes et donc si vivantes et si prometteuses de notre espace-temps, la région et l'Europe.
L'anticonformisme ? C'est cette prétention à concilier centre et vigueur, rassemblement et singularité ; cet allant, pour tout dire, de Béarnais des "fors", ces mini-Constitutions qui vers l'an mil avaient déjà inventé là-bas l'habeas corpus, la démocratie de base et l'art de franchir les cols. C'est cet espoir, inédit dans sa famille, de pouvoir convaincre aussi, au passage, outre les classes moyennes, les abstentionnistes et les extrémistes. Fédérateur et pugnace, voici un centriste plus insolent qu'à l'habitude. Mais moins que jamais insolite ou aventuriste
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