jeudi 11 octobre 2018

Regards Centristes. 16 – Centrisme, peuple, populace, populisme

 
Regards Centristes est une série d’études du CREC qui se penchent sur une question politique, économique, sociale ou sociétale sous le prisme d’une vision centriste. Seizième numéro consacré à la vision du Centrisme de concepts comme le peuple, la populace, la multitude et le populisme au moment où ce dernier fait un retour en force dans le débat politique en fragilisant les piliers de la démocratie républicaine libérale.



Le Centrisme du XXI° siècle est la théorie politique de l’émancipation de l’individu dans un lien social rénové où dominent la solidarité et la tolérance dans le respect afin de créer une société équilibrée et juste.

Ainsi, ses racines puisent dans le libéralisme, la démocratie chrétienne et le radicalisme, principalement où il cherche son inspiration.

Toutes ces pensées politiques ont placé la démocratie républicaine au cœur de leur conception de l’organisation de la société humaine.

Elles reconnaissent donc l’élément central qu’est le peuple dans le gouvernement des humains.

Cependant, dans le même temps, les libéraux veulent émanciper l’individu et se méfient du peuple en tant que foule en mouvement, entité agissante dans sa possible manipulation mais aussi dans ses réactions épidermiques et ses excès (moments où il se transforme en populace, ensemble plus ou moins organisé et violent).

Les chrétiens, eux, s’adressent à une personne, c’est-à-dire à un individu libre et égal dans une communauté qui respecte sa différence parce que Jésus parlait d’un Dieu émancipateur auquel chacun confie son âme pour son salut, avant de s’adresser à une communauté constituée (qui devint la chrétienté par la suite, en réalité la réunion de toutes ces personnes).

De leur côté, les radicaux portent les idéaux de la révolution française, liberté et égalité, pour un individu, dans une république qui les unit mais ne les fonde pas en une masse indifférenciée.

Il ne s’agit pas ici de faire un cours sur ce qu’est le peuple, tant la philosophie politique et les sciences politiques ont noirci des centaines de milliers de pages à cet effet, d’Aristote à Hobbes, de Rousseau à Hegel en passant par Spinoza et Marx.

Disons que le peuple, en prenant des définitions grand public est «l’ensemble des humains vivant en société sur un territoire déterminé et qui, ayant parfois une communauté d'origine, présentent une homogénéité relative de civilisation et sont liés par un certain nombre de coutumes et d'institutions communes.»

Néanmoins, pour Hegel, ce peuple n’est qu’un «être-ensemble (…) une masse sans forme dont le mouvement et l’action ne serait de ce fait qu’élémentaire, irrationnelle, sauvage et redoutable» quand il n’est pas organisé.

C’est également ce que pensait Hobbes (mais il résolvait le problème par la monarchie absolue…).

Dès lors, dans sa traduction politique la plus commune aujourd’hui, c’est «l’ensemble des individus constituant une nation, vivant sur un même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes institutions politiques.»

Cependant, le peuple demeure largement une fiction comme l’explique le philosophe du droit, Hans Kelsen:

«Mais d’où peut résulter cette unité (du peuple)? Elle apparaît tout à fait problématique tant qu’on ne considère que les faits sensibles. Divisé par oppositions nationales, religieuses et économiques, le peuple se présente aux regards du sociologue plutôt comme une multiplicité de groupes distincts que comme une masse cohérente d’un seul tenant.»

Et de répondre:

«En vérité, le peuple n’apparaît qu’un, en un sens quelque peu précis, que du seul point de vue juridique: la soumission de tous ses membres au même ordre étatique.»

Cependant, malgré ces difficultés, il semble bien impossible de créer un gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple (définition populaire de la démocratie donnée notamment par Abraham Lincoln sur le champ de bataille de Gettysburg lors de la Guerre de sécession), sans le peuple!

Encore faut-il s’entendre sur la place du peuple dans la démocratie républicaine libérale et, surtout, sur son pouvoir.

Le peuple donne la légitimité au système mais il ne saurait avoir tous les pouvoirs même par ses représentants interposés.

Il doit évidemment être dépositaire de la souveraineté de la communauté, celui qui vote mais pas celui qui est habilité à détruire un régime qui le dépasse par sa grandeur et sa hauteur.

Explications: oui, le peuple doit gérer la démocratie républicaine, non, il ne peut décider de la supprimer parce qu’il n’a pas de légitimité à le faire, ne serait-ce que parce qu’il ne peut supprimer la liberté à un seul de ses membres si celui-ci n’est pas d’accord, ni à supprimer la liberté pour les générations futures.

Citons encore une fois Kelsen:

«le ‘peuple’ n’est donc point – contrairement à la conception naïve que l’on s’en fait – un ensemble, un conglomérat d’individus mais uniquement un système d’actes individuels déterminés et régis par l’ordre étatique. Car l’individu n’appartient jamais à une collectivité sociale – même à celle qui établit sur lui l’emprise la plus forte, l’Etat – par la totalité de son être, de ses fonctions et de sa vie physique et psychique.»

Et il ajoute, «surtout dans un Etat dont l’idée de liberté détermine la forme d’organisation».



Les centristes se sont toujours méfiés de la populace (qui ne concerne pas seulement ceux d’«en bas», loin de là) et du populisme et se méfient de l’appellation «peuple» et de son utilisation notamment depuis que celui-ci est devenu pour certains un moyen d’attaquer les institutions démocratiques et pour d’autres, parfois les mêmes, d’en faire une arme culturelle ou ethnique pour exclure l’autre.

Ainsi, nombre de nationalismes, à l’opposé de celui de la France et des Etats-Unis, lors de leurs révolutions respectives, n’ont pas vocation à l’universel mais à définir un peuple sur des critères restrictifs aboutissant, volontairement ou non, à établir des relations agressives et violente avec l’autre, celui qui n’en fait pas partie, avec les autres, les autres peuples forgés sur le même modèle nationaliste (on en voit quotidiennement la résurgence dans l’Union européenne, organisation qui devait justement dépassé ce nationalisme étriqué).



Les centristes sont donc les défenseurs des droits de l’humain («droits de l’homme») mais insiste sur la nécessité d’un lien social qui permet de faire réellement communauté notamment sans sa dimension émancipatrice et dans celle d’une solidarité envers l’autre, surtout dans une notion plus large encore de respect qui impose, à côté des droits de l’individu, des devoirs envers l’autre et les l’autres dans la responsabilité de sa liberté et de sa différence (individualité).

En un mot, le «peuple» ne peut priver l’individu de sa liberté, attenter à sa différence et le priver de ses libertés mais celui-ci ne peut revendiquer sa complète autonomie vis-à-vis de la collectivité.

Cette dialectique était bien posée par Jean-Jacques Rousseau (même si sa réponse a abouti à une théorie des plus liberticides!):

«Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéissent pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant.»

Et les dangers de la toute puissance de la majorité sont posés avec une absolue clarté par Alexis de Tocqueville:

«Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la minorité? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts? Pour moi, je ne saurais le croire; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs.»



Les centristes sont également de farouches opposants aux «mouvements de foule» venus d’une populace (une multitude plus ou mois organisée) et de sa traduction politique, le populisme (à noter que le populisme consiste à flatter – le peuple la populace, la multitude – dans sa définition européenne alors qu’aux Etats-Unis, il peut être utilisé comme «être proche du peuple» même si, de plus en plus, il est utilisé dans son acceptation européenne), c'est-à-dire la reconnaissance qu’un groupe majoritaire ou non soit considéré comme l’expression de toute la communauté et puisse agir à sa guise, en particulier dans ses pires travers.

N’oublions que le populisme et la populace (au sens de mouvement de foule populiste venu du comportement d’une partie ou de la majorité des citoyens) a permis à Hitler de prendre le pouvoir démocratiquement.

Staline et Mao ont été pleurés par une très grande partie de leur peuple que personne n’a contrainte à le faire.

Trump, Poutine, Orban, Erdogan, Salvini ou Duterte ont séduit leur peuple qui les a portés au pouvoir.



Pour le Centrisme, la démocratie républicaine libérale représentative forte est la réponse la meilleure.

Mais elle doit être organisée pour éviter le populisme et la démagogie d’une part et d’autre part pour favoriser la responsabilité et la protection égale de tous, notamment de la minorité.



Alexandre Vatimbella avec l’équipe du CREC





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